Unité panafricaine : l'Afrique peut-elle faire face à l'offre ?
L'idée des Etats-Unis d’Afrique est le résultat de la vision de l’unité panafricaine. Gichinga Ndirangu présente le cas pour les Etats-Unis d'Afrique et indique certaines pierres d'achoppement majeures qui doivent être surmontées avant que le rêve d'une Afrique unie de Nkrumah ne devienne une réalité.
Au prochain sommet de l’Union Africaine qui se tiendra à Accra au Ghana, une proposition cherchant à établir un gouvernement d’union continental sera débattue. Accra est symbolique, sinon l'hôte significatif pour ce débat.
C'était là que le père fondateur du Ghana, Dr Kwame Nkrumah, lança pour la première fois son exhortation célèbre pour l'unité panafricaine et dit que l'indépendance du Ghana signifiait peu tant que le continent entier n’était pas libéré. C'était l'avis de Nkrumah qu'en l’absence d’un front uni commun, l'Afrique resterait enchaînée par le néocolonialisme.
C'était la période précédant le ré lancement de l’Union Africaine en 2002 qui a été témoin du débat renouvelé sur l'unité panafricaine. L'homme fort de la Libye, Muammar Gaddafi, alors un opposant coriace de l'impérialisme occidental, défia les leaders africains de s'unir d’un commun accord pour planifier leur destin commun sans être enchaînés par l'Occident. Gaddafi a encouragé le commerce accru parmi les Africains, la création d'institutions continentales communes incluant un gouvernement fédéral et la libre circulation des personnes à travers les frontières. Lors de son ré-lancement à Durban, l’Union Africaine prit les rênes des mains de la Libye en réaffirmant son engagement envers la vision pan africaine sans toutefois mettre en place une stratégie spécifique.
Le leadership de certains dirigeants clefs du continent – Thabo Mbeki d'Afrique du Sud, Olusegun Obasanjo du Nigeria, Bouteflika d'Algérie et Abdoulaye Wade du Sénégal – préféra créer à sa place le Nouveau Partenariat pour le Développement Africain (NEPAD), que l'on a vu comme une tentative de développer une structure de politique vers une vision unifiée sur le développement de l'Afrique et soutenir, en partie, le panafricanisme.
La vision du NEPAD s’est avérée être limitée se préoccupant plus de la mobilisation de ressources que de la vision de cohésion sociale et politique de l'Afrique. Pourtant l'offre pour cette année d'un gouvernement d’union revisite les tentatives de consolider l'intégration politique, sociale et économique panafricaine et établit des points de référence importants dans la disposition d'une vision renouvelée pour l'unité continentale.
L'espoir, quoique non assuré, à travers l'Afrique, est que le débat de cette année déplacera la vision panafricaine de Nkrumah au-delà de sa stagnation de cinquante ans. Il n'y a aucun doute que c'est un débat dont le temps est venu, même si ce ne serait pas parce que la proposition d’un gouvernement d’union réaffirme finalement la quête d'unir les peuples de l'Afrique à travers un fil commun de valeurs partagées et un but commun.
Dans ce débat, il y a beaucoup de voix critiques qui revendiquent l'idée d'une unité africaine, mais avisent que l'heure du fédéralisme panafricain n’est pas encore venue. De plus, l'ardeur des Afro pessimistes dans les rangs de l’Union Africaine est conduite par la volonté de consolider la souveraineté nationale et l'hégémonie régionale plutôt qu'un rejet complet de la vision panafricaine.
Tandis que les espoirs sont hauts, il faudra du temps et des efforts pour atteindre un consensus sur cette proposition à cause de la disparité des positions aussi bien que des fortes demandes qui seront placées sur chaque État pour réaliser un gouvernement d’union. La proposition AU veut que le gouvernement d’union prenne la forme d’une entente transitoire précédant l'intégration politique complète sous la bannière des « Etats-Unis d'Afrique ».
Cette entente transitoire implique que la réalisation de la vision panafricaine demandera plus de travail, de consultation et de conviction. Même alors, la vision transitoire est hardie dans son intention et prévoit l'établissement de systèmes parlementaires et juridiques, des institutions financières continentales communes et des politiques monétaires et des procédures standardisées, entre autres. C’est sur ces propositions préliminaires que l'on fera appel aux leaders de l'Afrique à se concentrer et réfléchir au sommet d’Accra en juin.
Après beaucoup d'années de conflits fratricides intra et inter états, le besoin d’exploiter le potentiel de l'Afrique autour d'une unité de but est un impératif nécessaire. Au cœur de cela, l'offre d'un gouvernement d’union doit être orientée vers la transformation de l'Afrique par la création de stratégies bien pensées qui promeuvent l'intégration et non l'isolement ou la balkanisation de n'importe quel pays ou région.
La proposition devrait être utilisée pour catalyser une politique de développement et des programmes qui soient centrés sur les peuples et enracinés dans les meilleures traditions, cultures et valeurs africaines. L'idéal d'une Afrique centrée sur le peuple et unie est celui qui doit être le bienvenu et promu. C'est aussi un préalable dans un monde de plus en plus mondialisé qui a démontré la valeur qui réside dans la consolidation des intérêts partagés et que ceux-ci mènent à la formulation des politiques et leur mise en œuvre.
Non limitée à l’union politique, l'offre d'un gouvernement d’union s’impliquera aussi dans les concepts et les faits d'intégration économique potentielle. Le colonialisme a légué sur la plupart des états africains l'inégalité économique et l'injustice sociale qui ont étouffé l'intégration des économies d'Afrique au marché mondial. Le commerce interafricain a été restreint par une politique inadéquate et l'appui institutionnel aux niveaux nationaux et régionaux ainsi que la limitation structurelle interne qui ont réduit la portée de l’exploitation des opportunités économiques du continent dans toute sa potentialité.
Tandis que l'intégration économique a été une priorité clef mais élusive pour le leadership de l'Afrique depuis le début des indépendances politiques, ce qui avait manqué c’était le travail de mains pour prendre ce but au-delà de la sphère de la conjecture et l'optimisme. En 1963, l'Organisation de l’Unité Africaine a dévoilé sa proposition d'établir un marché commun africain continental que l’on attendait s'unir dans une communauté panafricaine tirant les sphères économiques, sociales et politiques. Le plan d’action de Lagos et le traité d’Abuja en 1991 qui ont établi ensemble la Communauté Economique Africaine (CEA) avaient parlé de la nécessité d’une telle union économique africaine. Alors que cette ambition n’a pas encore atteint sa pleine maturité, l’Union Africaine continue à prendre soin des diverses Communautés Economiques Régionales (CER) comme des composantes essentielles dans sa quête de l’union économique continental.
Encore dans l'entente actuelle, il se trouve le souci que l'Afrique s’engage dans des négociations d’agréments commerciaux multiples, qui risquent de saper ses propres priorités de développement. La vue commune est qu'il y a une portée limitée pour exploiter judicieusement le potentiel d'intégration régionale et que de nouvelles concessions sont accordées par les partenaires commerciaux de l'Afrique.
Les vues de l’Union Africaine approfondissent l’intégration économique régionale comme un pilier important dans la transformation structurelle de l'Afrique. Étant donné la complexité de l’intégration régionale en Afrique, il y a le souci partagé selon lequel un accent excessif sur la libéralisation commerciale aux négociations en cours avec l'Union Européenne (l'UE) et d'autres puissances commerciales pourrait anéantir précipitamment plutôt que consolider l'intégration économique.
La vérité est que cette libéralisation commerciale et les échanges commerciaux ne sont pas une fin en eux-mêmes, mais un moyen d'aider le continent à répondre à ses défis du développement. Les négociations commerciales en cours entre des pays africains et l'UE ont montré la complexité de consolider les liens économiques parmi les pays africains qui subissent déjà des pressions dans les négociations avec l'UE sous de nouvelles configurations à l'extérieur de leurs groupements économiques naturels et traditionnels.
Les régions actuellement en pourparlers avec l'UE ont été sévèrement perturbées par leur adhésion à différentes configurations de négociation. En conséquence, il y a un risque de pays entreprenant des engagements commerciaux avec l'UE au détriment de leurs partenaires commerciaux traditionnels avec qui ils peuvent avoir des accords différents au niveau régional.
Dans la nouvelle dispense économique mondiale d'aujourd'hui, il y a peu d'alternatives à l'intégration économique comme une stratégie dans la promotion du développement socio-économique durable. Il est évident que seulement en serrant les rangs dans les structures d'initiatives de niveau continental comme la Communauté Économique africaine et l’Union Africaine, l'Afrique peut éviter une marginalisation plus prononcée.
La proposition d’union reconnaît que certains gouvernements africains ont fait des efforts décidés vers la consolidation de blocs économiques régionaux avec l'appui actif de l'UA. Mais l'histoire de consolider l'unité continentale est limitée par beaucoup de facteurs incluant le manque de volonté politique, la prise de conscience limitée parmi un grand segment de la population de l'Afrique et la dépendance accrue à l'aide externe.
L'Union Africaine doit donc travailler à la fourniture d'une structure appropriée, qui renforce le partenariat entre des gouvernements nationaux, les représentants des peuples, la société civile et d'autres participants vers la promotion du développement économique et social du continent.
D’une part un gouvernement d’union garantira les intérêts du continent et d’autre part il affirmera son rôle dans les affaires mondiales tout en se fondant sur la capacité collective du continent d’influencer celles-ci depuis une position de force et d'unité. Mais, la proposition actuelle pourrait faire halte dans ses traces si le débat est simplement limité aux halls sanctifiés de l’Union Africaine sans participation active des peuples africains.
Depuis 2002, l'UA a renouvelé l'élan vers des structures de gouvernance plus efficaces et responsables.
Le prochain défi auquel il faut faire face dans la consolidation de l'unité continentale, doit impliquer la mise en place d’efforts concertés au niveau national pour développer des institutions et des processus qui puissent promouvoir la nouvelle architecture continentale souhaitée et qui soit enracinée dans la participation des populations.
Le débat doit inclure les voix et les perspectives d'une vaste gamme de populations africaines à travers la participation d'institutions clefs comme les parlements nationaux et régionaux, des organisations de société civiles et les médias. Cette participation élargira et approfondira le débat qui sera en fin de compte africain.
* Gichinga Ndirangu est consultant Kenyan.
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* Cet article a d’abord paru dans l’édition anglaise de Pambazuka News n° 298.
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