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Y en marre doit mener le combat du contexte et des logiques politiques et sociales qui l’ont en vérité mis au monde : la défense des intérêts inaliénables et non négociables des populations et de la nation sénégalaise. Encore faudrait-il que Yem en ait les moyens et la volonté.

Le problème avec Y’en a marre (Yem) (1) ce n’est pas davantage les agissements du mouvement que son positionnement dans la vie politique depuis le départ de Wade. Il y a d’abord la relation qu’elle est censée établir et maintenir avec les sénégalais dont il n’a fait que partager en réalité le combat ; cela mérite quand bien même d’être rappelé avec force. Il y a ensuite l’enjeu de son combat dans un contexte politique différent et en évolution. Cela a donc un sens lorsque d’aucuns manifestent un certain inconfort avec la posture de Yem.

Yem est né dans un contexte que tout le monde connaît : le refus de la dictature du Pds (Ndlr : parti d’Abdoulaye Wade, anciennement au pouvoir) et de son projet de confiscation du pouvoir, combat qui est donc national, à ne pas attribuer à quelque personne ou groupe que ce soit. Cela veut dire ceci : Yem ne peut pas revenir dire que voila, «maintenant voici mon combat, voila comment je veux le mener, et ainsi de suite». Autrement dit, Yem doit mener le combat du contexte et des logiques politiques et sociales qui l’ont en vérité mis au monde : la défense des intérêts inaliénables et non négociables des populations et de la nation sénégalaise. Encore faudrait-il que Yem en ait les moyens et la volonté. Pour commencer, un sentiment dépourvu de toute ambiguïté que le contexte a changé. Ce dont nous tardons franchement à être certifié.

Au contraire, si nous observons le mouvement Yem depuis le départ de Wade qu’est ce qu’il est devenu ? Qu’est ce qu’il est en train de faire depuis ? Du moins pour ce qu’on a bien voulu nous laisser voir. Quel discours Yem a-t-il produit dans le contexte politique post-Wade ? Quelles idées et propositions concrètes ce mouvement a-t-il mis en avant sur des débats d’une grande vitalité comme, par exemple, la réforme de l’Enseignement supérieur, la réforme foncière en cours, l’Acte 3 de la décentralisation, la couverture maladie universelle (Cmu), les difficultés ou les hésitations de la classe politique au pouvoir à renoncer aux valeurs qu’elle a pourtant combattues au coté des sénégalais et de Yem lui-même ? Certes nous ne parlons pas ici d’élections ou d’émeutes, mais il s’agit bien de savoir combien et a quel profit le peuple risque de devoir dépenser dans un avenir très poche. On aurait pu comprendre, eu égard à ce vide inquiétant tout de même, si Yem avait pris le temps, après le départ de Wade, de s’enfermer avec tous les acteurs qui auraient pu lui être utile, pour enfin dire clairement en quoi consiste la notion de Nts (Ndlr : Nouveau type de Sénégalais) et dans quelle mesure on peut aménager dans l’agenda gouvernemental une action politique qui permettrait de la mettre en œuvre. Mais, au risque de paraître trop caricatural, Yem ne donne pas l’impression d’avoir fait quelque chose de tout cela. Ni un bilan de son action, ni sa remise en cause, ni un bond en avant !

Que fait ce mouvement depuis ? Il tente de survivre et de faire (re)vivre ses membres, du moins sa hiérarchie. Sinon, qu’est ce qui justifierait la recherche effrénée de notoriété et de financements en dehors des populations et des bonnes volontés qui avaient prêté leurs mains fortes aux premières heures du mouvement ? Pourquoi Yem parle-t-il maintenant beaucoup moins aux sénégalais qu’aux dirigeants et aux milieux politiques ? Peut-on tenir la plèbe éveillée si on ne veut pas dormir avec elle dans les taudis ? Au coté des Sénégalais et uniquement à leur coté, Yem est tout de même parvenu à faire partir Wade sans des figures comme Laurent Fabius, Georges Soros, et d’autres célébrités locales et étrangères, avec qui il affiche toute sa fierté aujourd’hui.

Alors, pourquoi Yem ne pourrait-il pas faire appliquer les volontés des Sénégalais dans les mêmes conditions ? Yem connait-il ou tient-il toujours aux enjeux véritables et aux principes de son combat originel, lequel reste inchangé dans sa portée et sa forme, même si, comme le porte à penser l’anomie dans laquelle le mouvement est emprisonné, le temps est peut-être venu d’en réactualiser les modalités et en recalibrer les objectifs ?

Le cas échéant, comment expliquer les nombreux liens que Yem s’efforce laborieusement de tisser un peu partout avec des institutions, des personnalités et des groupes qui, qu’on l’admette ou pas, sont en réalité des ennemis clairement identifiés du Sénégal, à moins que l’on veuille chercher des raccourcis ou des euphémismes conciliatoires ? Cela est connu de tous ceux qui ont une idée assez lucide de la situation politique nationale et de la présence étrangère dans notre pays, ces personnalités et institutions accrochées çà et là n’ont cure de la promotion de la démocratie au Sénégal. Les intérêts de leurs pays respectifs et des mécènes qui les soutiennent passent devant ceux du Sénégal et de son progrès.

Ces célébrités et institutions, soi-disant privées, civiles ou neutres, promeuvent la démocratie et le progrès, avant tout selon les règles, les principes, les objectifs et les volontés de pays étrangers et des lobbies qui les font exister. Elles sont avec nous tant que nous fonctionnons selon leurs attentes, ce qui est le cas encore si on regarde de plus prêt les principes, les objectifs et la matrice fondamentale de notre politique gouvernementale, ou bien encore la culture politique à l’œuvre au sein de notre classe politique. Sous ce rapport, ces institutions et groupes qui tentent de nous leurrer avec leur prétendue sympathie pour le combat introuvable d’ailleurs de Yem et son héroïsme illégitime, restent dans le fond des ennemis du Sénégal. D’autant plus que ces institutions et ces personnalités politiques sont des alliés de la classe politique, de tout régime au pouvoir, et non de la nation sénégalaise comprise comme un peuple et ses intérêts vitaux.

Du coup, Yem ne saurait réclamer la crédibilité qu’il avait commencé à bâtir, laquelle de toute façon ne pouvait être que passagère étant donné le contexte de la naissance du mouvement et l’objet originel de son combat. Yem n’a pas encore eu le charisme qui fait que chaque Sénégalais puisse le percevoir comme étant nettement distinct et suffisamment distancié par rapport aux différentes forces politiques, cela du point de vue de ses idées comme de celui de ses méthodes; qu’il s’agisse du pouvoir, de l’opposition ou de la société Civile classique, bref de toute l’élite politique. Ce qui nous amène à dire qu’avec ce nouveau feeling du « peopling » ou du « jet-setting politique » qui anime Yem, la populace reste sur ses fins. Il est temps que l’on sache réellement qui est du coté du peuple et comment on peut lui restituer son bien qui n’est rien d’autre que l’Etat.

Jusqu’à ce que l’on nous convainc de retirer nos conjectures, nous continuerons de croire qu’il n’y a pas au sein de Yem une idée claire de ce qu’est censé être ce mouvement et de sa mission véritable dans le nouveau contexte de l’après-Wade. Pour le moment, nous voyons bien des personnages dans l’agitation, tout près de se voir en héros, en messies, en vis-à-vis des hautes personnalités de l’Etat et de la politique du monde.

C’est assez simple, c’est une loi de la nature : le propre de toute forme est de se transformer, d’être lancée en mouvement. Si tel n’est pas le cas, c’est qu’il n’y a véritablement aucune forme. Ce qu’il n’est pas non plus raisonnable de souhaiter naturellement qu’il arrive au mouvement Yem.

NOTE
1) Y’en a marre est un mouvement de jeunes dont la mobilisation avait été déterminante dans la contestation du régime d’Abdoulaye Wade et dans sa chute à la présidentielle de 2012.

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** Abubakr Tandian, Bayreuth International Graduate School of African Studies-BIGSAS, anime le blog http://tandiapublicintellectual.wordpress.com/
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