Des affaires judiciaires comme le dossier qui oppose l’Etat du Sénégal à Arcelor-Mittal et l’affaire Karim Wade, ne se gagnent pas sur le terrain judicaire. On sait combien de tels cas peuvent être connectés aux réseaux internationaux dans leurs divers domaines de compétences. Au contraire, les procès ne sont très souvent que le couronnement final des vraies batailles et des vraies victoires qui auront été menés sur le plan politique, diplomatique et parfois sécuritaire.
Le géant franco-indien Arcelor-Mittal est présent dans le secteur minier du Sénégal depuis les toutes premières années de la magistrature de l’ancien président Abdoulaye Wade. Cette multinationale a particulièrement eu la chance d’avoir fait nommer et traité avec tous les pontes de l’ancien régime - dont un certains se retrouvent d’ailleurs dans le nouveau régime - dans le secteur de l’énergie et des mines, y compris, notre actuel président (Ndlr : Macky Sall). Alors, je crois qu’il ne faut pas aller trop loin pour tenter de comprendre pourquoi le gouvernement du Sénégal se permettrait de violer lui-même sa propre loi et de vicier ses propres procédures pour perdre cinq fois plus d’argent qu’il ne devrait se faire rembourser (1). En effet, c’est un grand paradoxe que de voir tout l’édifice moralisateur du régime actuel être de plus en secoué par autant d’incohérences.
Puisqu’on y est, le fait que la France se permette de classer sans suite la demande de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) sur l’affaire Karim Wade n’est pas non plus sans signification et sans relation avec cette affaire de suicide financier qui scandalise plus d’un patriote. (2) Cette relation on la trouve dans le fait suivant : le « deal » sulfureux sur l’affaire Arcelor-Mittal ainsi que le mépris de la France à l’égard d’une demande et d’une affaire de justice que porte à cœur tout le peuple sénégalais prouvent nettement que nos institutions républicaines n’inspirent ni le respect ni l’autorité sur le plan international.
Si tel n’était pas le cas, la France ne se permettrait pas autant d’indélicatesse et de faux-souverainisme judiciaire dans l’affaire Karim Wade. Si tel n’était pas le cas, notre gouvernement ne serait pas allé jusqu’à la fornication avec le géant minier franco-indien pour se priver de financement qu’il est pourtant prompt à aller quémander ailleurs avec si grande peine.
Dans les deux affaires, le peuple sénégalais trouve bien des raisons de s’inquiéter outre mesure. En tout cas, plus que ne devait l’y pousser la lenteur et les incertitudes qui caractérisent la marche du pays depuis la seconde alternance électorale de mars 2012. Certes, les grands dossiers d’Etat sont instruits avec de l’expertise gouvernementale et de la diplomatie, mais ils n’aboutissent que grâce à la légitimité et à l’autorité des institutions suprêmes. A défaut de la puissance militaire et économique, ces dossiers aboutissent parce que l’autorité républicaine inspire la crainte diplomatique, le respect et la crédibilité à tous ses partenaires internationaux. Visiblement, le Sénégal ne se trouve guère dans ce confort idéal des relations internationales.
Depuis sa mise en route officiel et politique, le Plan Sénégal émergent (Pse) n’a suscité que des engagements non formels de financement dont on ne détaille jamais les modalités au citoyen lambda. On préfère mettre en surbrillance les gros chiffres de sommes colossales promises par quelques partenaires providentiels. Se pourrait-il que le Pse ait justifié le refus de coopération de la part gouvernements étrangers sur l’affaire Karim Wade ?
Se pourrait-il que les faveurs concédées sur le papier à Arcelor-Mittal soient des sacrifices bien calculés de la part du nouveau régime pour se faire financer son Pse ? La tentation de croire à ces deux éventualités est tout de même très grande si l’on sait que le Pse, rappelons-le, est le seul cheval de bataille, la seule carte majeure, du gouvernement actuel. Il se pourrait également qu’il s’agisse de simples opérations de concussion et de corruption politique et financière.
L’affaire Karim Wade est apparemment une affaire d’Etat pour la simple et bonne raison qu’elle concerne de hautes autorités de notre pays et de gouvernements étrangers et d’institutions internationales publiques et privés. On s’en est rendu compte grâce aux grands noms qui ont été cités jusqu’ici dans cette affaire et on sait combien ils peuvent être connectés aux réseaux internationaux dans leurs divers domaines de compétences. Si tel n’était pas le cas la Crei ne serait pas allée jusqu’à l’étranger pour faire ses enquêtes.
De même, des firmes financières internationales de si grande renommée ne seraient pas citées dans cette affaire. En d’autres termes, des affaires comme celles-là, le dossier Arcelor-Mittal et la patate chaude Karim Wade, ne se gagnent pas sur le terrain judicaire. Au contraire, les procès ne sont très souvent que le couronnement final des vraies batailles et des vraies victoires qui auront été menés sur le plan politique, diplomatique et parfois sécuritaire. Ces procès sont souvent les artifices qui servent de trompe l’œil aux gouvernements pour donner l’impression que la justice et la gouvernance sont en bon état, pour faire croire à l’opinion qu’ils ont de l’emprise sur ces choses-là.
Malheureusement, le Sénégal n’a pas en sa possession une agence et des services de très haute vitalité comme la Central Intelligence Agency américaine, le Mossad israélien ou le MI6 britannique. La véritable armée, la véritable justice, la véritable sécurité économique et financière d’un Etat sont constituées par ces forces invisibles et efficaces comme la Cia qui ne perdent jamais de temps et de ressources inutilement face à des écueils judiciaires et des guerres médiatiques.
Les grands dossiers d’un Etat se gagnent sur ce terrain invisible, avec ces forces décisives, les seules qui vaillent et qui puissent de manière ultime faire triompher l’intérêt national et faire respecter la souveraineté dans les domaines vitaux que ne peuvent préserver le marchandage diplomatique et le lieu commun de la bureaucratie. C’est ce type d’Etat et d’institutions, cette force politique ultime, qu’il convient de bâtir dans l’avenir pour enfin nous extirper des dommages collatéraux du rapport de force dévastateur entre la faiblesse d’Etat d’une part et l’anarchie internationale de l’autre.
En attendant, on peut bien se faire une bonne religion sur les grosses affaires en cours. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’on ne devrait pas être surpris que dans les semaines ou les mois à venir tout n’eût été finalement que de la routine, la marche (a)normale des choses. En attendant, on peut nettoyer et rebâtir les institutions de la sécurité intérieure, dans tous les domaines, y compris économiques et financiers, et faire en sorte que, même si on devrait y tolérer le trafic de stupéfiants, pour prendre un exemple récent, que ce soit pour la bonne cause au moins, dans l’intérêt suprême de la nation.
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** Abubakr Tandian, Bayreuth International Graduate School of African Studies-BIGSAS
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NOTES
1) En 2007, le Sénégal a octroyé au sidérurgiste mondial Mitall une concession pour l’exploitation des minerais de fer de la Falémé. A la suite des manquements de Mittal à ses obligations, l’Etat du Sénégal avait porté plainte pour obtenir réparation des préjudices subis. En mai 2014, le tribunal arbitral de Paris vidant son délibéré a donné raison au Sénégal, qui réclamati 2 500 milliards de francs Cfa. Mais l’Etat sénégalais a fait arrêter la procédure d’arbitrage et de transiger pour 98 milliards de francs. (http://bit.ly/1jECTZd)
2) La justice française a classé sans suite la plainte déposée par le Sénégal fin novembre 2012 contre Karim Wade pour "enrichissements illicites".
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