Si le tréfonds moral et psychologique qui transforme un rêve légitime en cauchemar inattendu n’est pas extirpé des gènes de nos hommes politiques aux plus hautes fonctions dans l’Etat, la corruption dans la gouvernance a encore de beaux et longs jours devant elle.
Il y a longtemps que les espoirs de modernisation de la vie politique au Sénégal, après la mascarade des Wade, ont été consumés par le régime de Macky Sall. L’heure n’est plus à s’interroger sur les intentions réelles d’un président de la République qui a fini de révéler son véritable visage… C’est l’éternel recommencement dans la recherche d’une (énième) alternative à un régime qui se croit obligé de péter les plombs pour rester aux manettes. Mais en même temps, il devient indispensable que soit mené le travail d’analyse et de compréhension de la mutation que subit le Sénégal depuis plus de trois ans. C’est une nécessité de premier plan.
Si en effet le tréfonds moral et psychologique qui transforme un rêve légitime en cauchemar inattendu n’est pas extirpé des gènes de nos candidats aux plus hautes fonctions dans l’Etat, la corruption dans la gouvernance a encore de beaux et longs jours devant elle.
Toute la décadence du régime Sall se trouve aujourd’hui résumée dans les modifications annoncées du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Ce sont effectivement des lois scélérates issues de magouilles politiciennes qui falsifient le cours naturel du jeu démocratique sénégalais à travers ce qui devrait en être un pilier fondamental : le Parlement. L’objectif visé par le pouvoir n’est pas dans une quelconque « harmonisation » de textes, il vise simplement à une élimination opérationnelle d’adversaires politiques qui ont le tort d’être minoritaires dans l’hémicycle, en dépit du passé récent sulfureux qui peut et doit leur être opposé.
La posture que défendaient hier les responsables du Parti démocratique sénégalais (Pds) – « Une majorité parlementaire doit bien servir à quelque chose ! » - peut être « valablement » invoquée aujourd’hui par leurs collègues de l’Alliance pour la république (Apr). Une transversalité qui démontre le degré d’hypocrisie et de cynisme qui gangrène le débat politique. Les clans passent, les pratiques perdurent. Les populations trinquent.
DEPUTES DE LA CINQUIEME COLONNE
Il ne faudrait pas en vouloir à cette 5e colonne de députés dit « républicains » qui acceptent de tremper leurs mains dans le cambouis du déshonneur et de la trahison de leur serment tout en se tortillant les méninges pour justifier l’inqualifiable. Incapables de voter une loi par eux-mêmes pour l’intérêt des populations et de la démocratie, ils se spécialisent dans l’art de tailler des croupières à des alliés - qui n’auront du reste pas volé cette humiliation – et des opposants – en manque flagrant de crédibilité.
Les petites querelles de borne-fontaine à travers des attaques ad hominem dans les médias suffisent à leur honneur de plaire au prince, en attendant que le fric, bonheur suprême, tombe dans leur escarcelle. Le reste, ils s’en tapent ! Pour avoir assisté à au moins deux séminaires avec eux consacrés aux « réformes » du règlement intérieur, nous sommes en mesure de dire que ces gens qui portent aujourd’hui ces lois scélérates trahissent sans scrupules les convictions qu’ils avaient étalées à Saly.
EXTREMISME
A moins de deux ans de la fin d’un mandat dont on ne sait plus s’il est à 7 ans ou à 5 ans, Macky Sall est entré radicalement dans un agenda dont l’orientation ne semble plus faire de doute : l’extrémisme. Ou plutôt, face aux défis titanesques qui pèsent sur ses épaules, il s’est replié dans l’auto-faiblesse, se faisant enrôler dans la logique la plus dangereuse qu’un homme en quête de réélection puisse emprunter : la fuite en avant. Il ne résiste plus à des proches harponnés par la folie du pouvoir, il se laisse aller, comme porté par ces vagues de l’Atlantique qui le troquent en clandestin dans son propre pouvoir. Pour lui, Dansokho a eu la sagesse de tirer la sonnette d’alarme… On ignore ce qu’il en a fait.
L’ex-futur président, chassé de l’hémicycle par Wade en 2008 et pris en sympathie par une frange du peuple, revient donc sur les lieux du crime wadien en fossoyeur de la démocratie parlementaire, dans des circonstances qui ne l’honorent point. Le projet de loi n°13/2015 est une atteinte grave au principe de séparation des pouvoirs dans la république. Mais dans cette affaire, il ne s’assume pas, comme il en a pris l’habitude.
L’extrémisme de Macky Sall est aussi visible dans la massification des recrutements politiciens de tous bords qui n’en finissent pas d’encombrer le Palais de la république. Reconnaissons-lui une chose néanmoins : à partir du moment où la transhumance politicienne n’est pas intrinsèquement immorale à ses yeux, rien ne l’empêche d’en user à satiété. Mais sur ce plan là, il semble n’avoir rien retenu des mésaventures de son prédécesseur. Tant pis pour lui. Son problème : il ne dispose pas, loin s’en faut, de la capacité de résilience dont Abdoulaye Wade a su faire preuve pour retarder sa chute.
CORRUPTION
D’où l’autre extrémisme auquel il fait recours : la corruption systématique des leviers et moyens de lutte contre…la corruption. Le spectre va d’une partie significative des éditeurs et journalistes de la presse globale aux principaux aboyeurs médiatiques et politiques structurés autour du M23 originel, en passant par des « notables » qui avaient eu le temps de flirter pendant de longues années avec le régime Wade par espèces sonnantes et trébuchantes interposées. Tous sont allés à la soupe, pour parler de manière triviale ! Il est veinard et intelligent, Macky Sall ! Deux atouts qu’on ne peut cependant reprocher à un politicien de posséder, même si le registre des valeurs est à l’envers.
Fallait-il combattre le projet funeste du 23 juin 2011 du clan des Wade et consorts et rester sourd et muet aujourd’hui devant cette agression contre une institution parlementaire déjà scandaleusement affaiblie ? Comme d’habitude, la majorité ultra-mécanique du pouvoir va boucler la question en un tour de main. Alors, l’enjeu est simplement que la démocratie sénégalaise puisse compter sur le comportement républicain de députés non encartés APR afin de sauver l’honneur – s’il en reste - d’une institution dont la vie rime désespérément avec… désespoir.
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** Momar Dieng est journaliste sénégalais. Il anime le blog http://momardieng.blogspot.com
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