Le 10 avril prochain, c’est a tour du Tchad de passer à son élection présidentielle, avec un président Idriss Déby Itno qui va briguer un cinquième mandat. Pour la société civile tchadienne, regroupée autour du mouvement Ça suffit, il est temps de mettre fin à de telles dérives pouvoiristes.
Lorsqu’après plus d’un demi-siècle d’indépendance le Tchad vit encore une douloureuse page de son histoire, par la faute d’un régime qui est érigé en système de gestion basé sur le népotisme, le clientélisme, et la gabegie ;
Lorsque l’Etat tchadien déliquescent, aujourd’hui déstructuré, livré à des individus sans foi ni loi, utilise des pratiques discriminatoires pour creuser des fossés entre les Tchadiens ;
Lorsque la Justice, dernier recours des citoyens devient un moyen permanent d’intimidation, d’élimination systématique d’opposants ou d’exclusion des concurrents ;
Lorsque l’économie est dans une situation de délabrement total, alors que les scandales comme autant d’esclandres de toutes sortent se multiplient à l’infini impunément ;
Lorsque les ressources de l’Etat, purement et simplement privatisés au profit d’une famille ou de quelques courtisans du régime, crée un fort sentiment d’injustice et de spoliation sans précédent dans l’histoire du pays ;
Lorsque l’accroissement des inégalités, depuis l’engrangement des revenus pétroliers pendant une dizaine d’années, accroit les formes de pauvreté, accentue la misère et augmente le pouvoir des riches en intensifiant la corruption au sein de la classe dirigeante.
Lorsque l’administration publique, épine dorsale de la gouvernance d’un pays, est confisquée et confiée à des courtisans, des analphabètes et des laudateurs du régime qui ne connaissent souvent rien de celle-ci. Les administrateurs sont souvent de simple « clients » du régime, récompensés pour service rendu.
Lorsque la corruption devient un phénomène majeur qui affecte l’administration publique, l’Etat et les élus et répand dans tous les aspects de la vie grâce au règne de la monétarisation et de la dégradation de toutes les normes inhibant les égoïsmes ;
Lorsque l’insécurité atteint des proportions inquiétantes et que tous les jours des citoyens sont assassinés, violentés, violés sans que des mesures fortes et adéquates ne soient prises et appliquées effectivement. Lorsque le goût du lucre prend souvent le dessus sur le devoir national de protéger les citoyens ;
Lorsque les forces de défense et de sécurité, socle sur lequel repose le pays, deviennent un problème en ce sens qu’après 25 ans de règne du Mps, elles n’ont connu aucune réforme véritable et dans sa composition, demeure vraisemblablement une milice ;
Lorsqu’à des millions des jeunes Tchadiens (75°/° de la population) sans emplois, l’on promet la construction d’un chemin de fer, d’un aéroport international ou d’un centre d’affaires devant créer des emplois, alors qu’au même moment l’on obstrue le chemin des entreprises, soit en chassant ceux qui en sont les promoteurs, soit en décourageant toutes les initiatives courageuses de la jeunesse estudiantine ou paysanne ;
Lorsqu’on obstrue l’intégration de nouveaux diplômés à la Fonction publique, alors que les incompétents, des analphabètes, des détenteurs de faux diplômes remplissent les bureaux des services publics ;
Lorsque toute une population de onze millions d’habitants est paupérisée alors que la manne pétrolière, comme il a été à plusieurs fois relevé, ne profite qu’à une minorité. Lorsqu’aucune mesure tangible n’a été prise face à la hausse de prix des denrées de première nécessité et que la population, déjà démunie, face à une cherté de vie qui la paupérise davantage et que même survivre relève du miracle pour beaucoup de Tchadiens ;
Lorsque, avec la crise sociale actuelle, le pouvoir s’emploie inlassablement à réduire le champ des libertés fondamentales, pourtant garanties par la Constitution ;
Lorsque la Loi 17 de 2010, qui est une avancée en matière de liberté de presse en ce qu’elle dépénalise la diffamation et les injures, subit perpétuellement des modifications qui visent à y inclure des mesures fortement répressives et privatives de liberté ;
Lorsque, les conflits sociocommunautaires sont attisés par certains administrateurs, militaires, etc. ;
Lorsque les libertés individuelles et collectives sont confisquées et les lois de la République foulées au pied ;
Lorsque les populations dans les campagnes sont arnaquées par les Cb, les agents des eaux et forêts, les douaniers, certains sous-préfets, etc. ;
Le rubicond a été franchi depuis fort longtemps. L’heure de l’action a sonné !
La solution à ce désastre serait-elle dans la pieuse espérance d’une application saine, objective et impartiale de la règle de droit ou dans une profession déjà incantatoire en justice qui, dans les conditions actuelles, a déjà abdiqué, soit par intérêt, soit par incompétence, soit encore par connivence ou par peur.
Les risques sont majeurs. Le pays se trouve donc dans une situation extrêmement dangereuse et encourt :
- Un enlisement de la crise sociale et politique ;
- Une résurgence des rebellions ;
- Un péril islamiste et la multiplication des attentats ;
- Une fuite des capitaux ;
- Une inflation ;
- Un bradage des entreprises publiques et parapubliques ;
- Un déclin du système éducatif
- Une recrudescence des maladies pandémiques et endémiques ;
- Une dislocation du tissu social ;
- Une augmentation de la délinquance, de la prostitution, du brigandage, du banditisme ;
- Une accentuation de la paupérisation de la population ;
- Une exacerbation des conflits communautaires ;
- Une résurgence des justices parallèles et privées.
De ce qui précède, il convient de douter. De la même manière l’on doit douter que la solution aux problèmes économiques actuels puisse résider dans des analyses économiques stériles. Aujourd’hui, les cris de désespoir, de ras-le-bol, les protestations platoniques et vaines, la résignation passive face au rouleau compresseur du pouvoir ne sont plus une réponse suffisante au mal que le gouvernement Mps a fait.
LA REPONSE N’EST PAS DANS UNE ATTITUDE ATTENTIVE.
Si près de 75% des jeunes actifs sont sans emplois et n’entretiennent le moindre espoir d’en avoir ; si les caisses de l’Etat sont désespérément exsangues, que les opérateurs économiques ont déserté les lieux ; si le coton a perdu sa blancheur, que le cheptel bovin ne connait plus de prospérité et que le baril de pétrole ne tient plus aucune hausse de prix ; la cause n’est plus seulement dans l’amateurisme managérial mais dans l’incapacité politique de celles et ceux qui gouvernent le pays.
« Aucun peuple au monde ne supporterait d’être ainsi agressé au plus profond de son être, en se laissant voler sa souveraineté ou sa citoyenneté au nom d’un désintérêt supérieur, d’une priorité donnée aux nouvelles minorités et d’une culture de l’excuse exonérant ces dernières, le cas échéant, d’avoir à rendre des comptes à la hauteur de ses actes illégaux ».
Les maux dont souffre le Tchad ont d’abord leur source dans la politique, leur solution passe par une réponse politique. C’est dans la conscience et dans une saine, exigeante et positive action politique que résident les solutions.
Faut-il que le président de la République démissionne pour ouvrir une période de transition. Cette affirmation est avant tout une interpellation citoyenne. Chaque citoyen doit en être habité et aller au secours de la nation rendue si vulnérable par tant de désastres, atteinte dans sa fondation et dans sa structure, elle attend le salut National par l’engagement de chaque citoyen.
Les chapelles politiques et les cénacles intellectuels cristallisent le débat sur les objectifs inavoués du candidat Mps. On aurait bien tort de considérer que le salut national du Tchad réside dans le simple départ de l’actuel locataire du palais Rose en 2016. Il est évident que les enjeux sont d’abord pour le Tchad en tant qu’Etat, pour le citoyen en tant que personne juridique, pour l’unité nationale en tant que fondation et pour l’indignation en tant que manifestation.
L’ETAT EST UN ENJEU CERTAIN
L’indifférence à l’égard de la situation de déclin comateux conduit, à terme, à la désagrégation de l’Etat par voie de rupture des liens sociaux qui le protègent, par sa vulnérabilité aux atteintes extérieures. Déjà, la diversion politicienne nous éloigne de la protection de nos frontières et, en conséquence, ouvre la porte à l’incursion des islamistes et à l’occupation de notre territoire par Boko-Haram. Il faut encore rappeler que, progressivement, à l’Etat formel se substitue un Etat mafieux dans lequel tout se vend. Les parrains de cet Etat mafieux ont confisqué les rênes démocratiques à leur profit. La décision de quelques-uns devient l’obligation de tous. Le droit lui-même devient l’expression et l’exécution d’une personne. Or, qui dit volonté unique, dit opinion unique. C’est de l’existence durable de l’Etat qu’il s’agit, dans son intégrité, dans sa structuration, dans sa composition.
LE CITOYEN CONSTITUE EGALEMENT UN ENJEU IMPORTANT
Les libertés individuelles et collectives sont confisquée et les lois de la République foulées au pied. Les droits du citoyen se volatilisent et se réduisent comme peau de chagrin. Le parquet de N’Djaména n’a jamais été, à travers toute son histoire, sollicité avec autant de constance et de fréquence que pendant la période de sinistre mémoire de dictature de Hissein Habré. C’est une méthode inventée par le gouvernement pour déstabiliser toute velléité de contestation. Le vœu de liberté intègre désormais la corbeille des voeux adressés au Tchad. La pression psychologique qui pèse sur les citoyens a des conséquences sociales et économiques certaines.
L’UNITE NATIONALE, LA FONDATION
La survie de l’unité nationale constitue un véritable enjeu. Elle est devenue difficile par la perversité de l’action politique qualifiée par certains, bien à tort, de régionalisme. Ce n’est pas que le régionalisme doit être célébré. Mais à considérer qu’il ait une justification sociologique, il faut encore qu’il soit juste.
A l’évidence, le Tchad se porte très mal à cause d’une gestion scandaleuse, scabreuse soutenue par une politique de clientélisme abêtissant. Au lieu de l’émergence ou de la refondation de notre pays, dont on a saoulé la population depuis 1990, on assiste à la démolition effrénée de celui-ci, pan par pan, par une machine gloutonne animée par des prédateurs, qu’aucun sacrifice ne peut dédouaner. Il ne suffit plus de ruminer silencieusement et isolément ses propres chagrins en attendant une hypothétique alternance qui s’est toujours révélée comme une cérémonie festive des corrompus pour continuer la bêtise humaine contre l’intelligence et le bien-être collectif.
Nous devions vaincre la fatalité. Il faut espérer et voir fleurir la fierté nationale, travaillée ardemment pour une alternative porteuse des éléments de satisfaction des besoins fondamentaux, de culture élevée et de progrès social. Il s’agit d’opérer une rupture d’avec les errements et les perditions du présent. C’est une question de responsabilité vis-à-vis du Tchad, vis-à-vis des générations futures auxquelles nous devons préparer et léguer un espace vivable, viable et épanouissant.
Il nous faut construire et mettre en marche une nouvelle vision et un nouveau corps de pratique politique, sociale et culturelle. Or, pour élaborer, construire et mettre en marche une telle vision d’un avenir meilleur pour le Tchad, il faut d’abord oser refuser l’état actuel des choses, fait de chômage, de pillage, de matraquage médiatique, de harcèlement fiscal, de torture morale, d’arrestation arbitraire, de tripatouillages des lois, de corruption, de népotisme et de théâtralisation de la vie sociopolitique.
L’INDIGNATION EST UN DEVOIR
L’indignation contre l’horreur et la pourriture est le premier pas dans la voie du salut. Thomas Sankara avait absolument raison, lorsqu’il affirmait qu’il n’y a pas raison à avoir pitié de l’esclave qui ne se révolte pas contre sa condition. Il a fallu que les hommes et des femmes s’indignent contre l’esclavage pour qu’il y ait la proclamation des Droits de l’homme ; il a fallu que des hommes et des femmes s’indignent contre la colonisation pour qu’il y ait la décolonisation. Et alors, il faut bien que des hommes et des femmes s’indignent contre l’autocratie pour qu’il y ait la démocratie au Tchad.
En somme, la déliquescence de la situation nationale, exige une clairvoyance de tous les instants pour éviter de tomber dans les amalgames faciles et les pièges savamment orchestrés par les tenants d’un régime pervers.
LES DEFIS SONT PLUS EXIGEANTS
La situation appelle qu’on sonne la mobilisation pour relever un double défi : éviter de tomber dans le piège de l’exacerbation des passions identitaires et régionalistes ; administrer une résistance collective aux manœuvres de diversion en cours pour distraire le peuple et le détourner des préoccupations qui l’assaillent au quotidien du fait de la mal gouvernance ambiante.
LE PIEGE DU REGIONALISME
Le temps est venu de lever les tabous qui entourent le régionalisme au Tchad. Il n’existe en réalité aucune fracture Nord Sud au Tchad. Mais plutôt un plan mis en œuvre par un lobby de profiteurs pour opposer les Tchadiens d’une région à une autre.
Il faut éviter une mauvaise lecture de ce phénomène à travers des globalisations faciles pour ne pas tomber dans le piège des cerveaux de la manœuvre dont l’objectif principal est de pousser les populations du Sud du Tchad à la stigmatisation de leurs frères du Nord du pays pour amener à un repli identitaire que l’on utilisera honteusement pour conserver le pouvoir.
Surfer sur la fibre ethnique et régionaliste pour sonner la trompette du rassemblement des « frères » par l’activation des peurs et des émotions est une stratégie surannée qui suffisamment fait du mal au Tchad pour être perpétuée. Il convient donc de lutter contre ce mal qui participe plus d’une stratégie de conservation du pouvoir que d’une volonté de favoriser et de développer sa région d’appartenance.
LA RESISTANCE AUX MANŒUVRES DE DIVERSION
L’inflation, l’Idhn l’Imi, le Doing Busines, le taux de chômage, la dette intérieure, la pauvreté, le budget fictif de l’Etat… Au vu de ces indicateurs, le pouvoir officiel et les institutions se sont discrédités par leur inefficacité, leur lâcheté et le manque d’autorité. Le pouvoir fait croire à une réelle volonté de promouvoir la vertu, alors que tout relève d’une stratégie bien pensée de diversion pour détourner le peuple des préoccupations essentielles nationales et urgentes que sont la mauvaise gestion économique, l’opacité entourant la gestion pétrolière, le chômage accentué des jeunes, l’alternance démocratique.
Le Tchad, bon dernier au plan économique dans l’Ueac, et dernier dans l’accès à l’Internet et ce, malgré l’avènement de la fibre optique présentée comme la bouée de sauvetage dans ce domaine, évolue d’échec en échec. Les nouveaux moyens de communication offerts par le Web et ses réseaux sociaux ne sont toujours pas exploités par les jeunes, ce monde en ébullition tenu en marge.
La stratégie des interventions militaires dans la sous-région en Centrafrique, au Mali et au Nigeria est de détourner et de fixer l’attention des citoyens sur des dossiers fabriqués de toutes pièces pour éviter les réactions certes légitimes, mais incontrôlées. Mais plus que le détournement des attentions c’est une stratégie qui vise, in fine, à prédisposer les esprits à des grâces et amnisties générales, voire aux auto amnisties comme porte de sortie. Ce qui fonde nos espoirs, c’est l’assurance que les Tchadiens ne se reconnaissent pas dans cette dictature dite du développement qui a fait de nous le dernier sur l’échelle du progrès dans la sous-région.
EN CONCLUSION : L’ESPOIR ET L’ESPERANCE !
Dans un tel contexte, avec de tels enjeux, face à de tels défis, la construction de l’espérance devient une nécessité vitale. Or, il est possible, en dépit des turbulences politiques, d’offrir à ce pays la chance de résurrection. Les citoyens sont nombreux à attendre que sonne le glas de ralliement en vue de la concrétisation de cette espérance. Il faut donc, dès à présent, transformer les familles en cénacle de construction, de l’avenir et de l’espérance. Les vagues actuelles ne doivent point nous divertir de cet objectif primordial. Il faut bien que les forces positives agissent en vue de l’endiguement du déclin.
Les différentes initiatives doivent former une coalition pour échanger sur la finalité, les conditions et les modalités d’une remontée sans jamais régresser. En vérité, la société civile, oubliée depuis 25 ans, veut désormais prendre la place qui est la sienne en participant pleinement aux décisions concernant l’avenir laissé jusqu’à présent à des laudateurs.
Elle exige du président de la République qui a cautionné le désastre actuel et qui continue à s’accumuler, de se ressaisir s’il veut éviter de voir la colère exploser au premier prétexte. Le peuple Tchadien est exaspéré par l’autisme de ses représentants.
Suite au Mémorandum de l’Union des syndicats du Tchad du 30 décembre 2015, la société civile est bien décidée à consolider sa place face à cet Etat impotent. C’est la seule alternative et plus qu’une révolte, c’est une dynamique d’une sourde insurrection du « spectateur engagé ». Faute d’acteurs patriotiques, à la mesure des défis exigeants, la société civile endosse elle-même le rôle de l’homme providentiel attendu. Il faut que se construise, en vue de cette action politique, une alternative citoyenne crédible. Car le président Deby s’est disqualifié et ne peut plus diriger le pays.
ACTIONS URGENTES
Devant ce péril et pour sauver la République, le président Déby, s’il est conscient, doit démissionner. Un Gouvernement de transition chargé de proposer et organiser des élections libres sera indispensable. Les forces sociales doivent se mobiliser pour soutenir cette revendication. Les partis politiques doivent assumer leur responsabilité et jouer leur rôle de porteurs de projet de société afin de remettre le Tchad debout.
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** Le mouvement « Ça suffit est une plateforme qui regroupe des Associations de défense des droits humains, des syndicats et associations des jeunes. Le 24 février 2016 elle avait appelé à l’instauration d’une «ville morte» au Tchad
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