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En Afrique de l’Ouest, il est un dicton qui décrit le pouvoir actuel d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire : "quand un singe monte très haut dans un arbre, on finit pas voir son cul".

Ouattara a été théoriquement responsable de la Côte d’Ivoire depuis que l’armée française et les Nations Unies ont loué des hélicoptères ukrainiens pour attaquer le palais présidentiel et enlever le président Gbagbo, légitimement élu. La "victoire" était supposée permettre une transition démocratique, au cours de laquelle la population oublierait que Ouattara a perdu les élections, et serait contrainte de croire que les bandes de voyous rebelles, mercenaires étrangers, Dozos et autres tueurs, responsables de la mort de milliers de civils ivoiriens, deviendraient mystérieusement des démocrates respectueux de la loi. Ce qui c’est passé en réalité est que les abus de pouvoir qui se sont étalés sur plusieurs décennies dans la moitié nord de la Côte d’Ivoire, des rebelles opérant sous le nom de Forces Nouvelles, on§ été étendus pour mettre en coupe réglée le sud conquis.

Ouattara n’a pas de prise sur le pays malgré son titre. Il vit dans la crainte d’être assassiné de la main de ceux qui l’ont mis au pouvoir. Il voyage sans cesse, généralement à l’étranger, tant il a peur d’être assassiné. Guillaume Kigbafori Soro, le chef au plan national des Forces Nouvelles, nommé Premier ministre sous la contrainte par Gbagbo, suite aux Accords de Paix de Ouagadougou, est depuis mars 2012 président de l’Assemblée Nationale. Lui aussi a peur d’être tué et se cache derrière un cordon de gardes du corps partout où il va. Il se souvient de la tentative d’assassinat à son encontre en 2007, lorsque l’avion dans lequel il se trouvait était sur la piste de l’aéroport de Bouaké et avait été attaqué, faisant quatre morts et dix blessés. Il avait accusé des bandes rivales dans les Forces Nouvelles. Le fait qu’il soit chrétien n’a pas amélioré sa situation auprès d’un leadership rebelle largement musulman.

Au cours de la rébellion de 2002, les forces rebelles étaient composées principalement de musulmans du nord, auxquels s’ajoutent des musulmans du Burkina Faso, du Niger et du Mali. Le président Blaise Campaoré était le meneur de la rébellion et était en relation étroite avec Mamadou Tandja du Niger et Amadou Toumani Touré du Mali. Ces trois étaient le point de contact entre les sponsors français de la rébellion et Ouattara, connu comme le Parrain de la rébellion. Les mercenaires étrangers venant de la Sierra Leone et du Libéria ont combattu pour l’argent et le pillage mais n’avaient que peu d’influence sur la rébellion. La division du pays entre le nord et le sud, une frontière patrouillée par les troupes françaises et plus tard par les Casques Bleus, a permis que le nord soit divisé en "com zones" contrôlées par des seigneurs de la guerre autoproclamés et généralement intouchables.

La division du pays a entraîné l’exode des fonctionnaires, des éducateurs, des médecins et autres membres de la classe professionnelle du nord vers le sud. Les paysans pauvres qui restèrent ne payèrent pas d’impôts, de loyers, de droits de douane, encore moins pour les services fournis par le gouvernement central. Ces redevances étaient payées aux seigneurs de la guerre. Les riches récoltes de cacao, de coton, de bois dur, normalement exportées du nord vers les marchés mondiaux, passaient en contrebande par le Burkina Faso, le Togo et le Mali pour finir dans les mains d’intermédiaires français. Aucun impôt n’était payé au gouvernement central basé dans le sud, aucun revenu ne parvenait aux légitimes propriétaires des récoltes. Les mines de diamant et d’or, et des mines de métaux de moindre importance ont été accaparées par d’importants seigneurs de la guerre qui exportaient leurs biens de contrebande par le Burkina Faso où Campaoré avait une part du profit. Il n’y avait aucun contrôle douanier et aucun compte n’était tenu pour le manque à gagner. En échange, des seigneurs de la guerre de moindre importance étaient autorisés à amener des scooters pour les vendre, exonérés de taxe.

Ceci est devenu un système bien rôdé de "taxation parallèle". La Côte d’Ivoire a peut-être un seul président mais elle a deux "trésoreries" La première est la trésorerie officielle. L’autre est alimentée par les péages routiers continuels, des loyers et autres taxes prélevées par des anciens rebelles. Au cours de la rébellion, le gouvernement a été aboli et seuls les rebelles encaissaient "les taxes". Ceci n’a pas changé même avec l’arrivée de Ouattara au pouvoir. En août 2011, l’International Crises Group (Icg) a publié une étude [1] qui disait :

"Les anciens rebelles des Forces nouvelles, qui ont aidé Ouattara a gagner le pouvoir par la force à Abidjan, jouent un rôle disproportionné dans les Frci. Les soldats du mouvement du Premier ministre Soro dominent Abidjan et l’ouest, en plus du nord du pays qu’ils ont contrôlé ces 8 dernières années. Ils sont mal formés, indisciplinés et commandés par des seigneurs de la guerre qui ne sont pas en position d’imposer l’autorité de la loi. Si le gouvernement ne parvient pas à s’imposer rapidement aux commandants des régions sous la coupe des Forces nouvelles, l’autorité du président subira un dommage irréparable"

L’Icg reconnaît qu’il n’y a pas de justice possible dans un tel système, où l’impunité règne en maître. Il recommande que "l’intégralité du système de justice civil soit remis sur pied si l’on veut mettre un terme à l’impunité. Le nord du pays n’a pas eu de tribunal pendant 8 ans. Dans des régions demeurées sous contrôle gouvernemental, les juges ont souvent été nommés selon des critères ethniques ou politiques. Il était facile de payer des pots de vin pour obtenir le jugement approprié" [2]

La situation en Côte d’Ivoire s’est aggravée au cours de 2012 et au début de 2013. Les Nations Unies ont dépêché un groupe d’experts pour examiner la situation du pays. Leurs conclusions accablantes ont été publiées dans un rapport au secrétaire général en avril 2013. [3] Le rapport fait état d’une situation qui dégénère. Les seigneurs de la guerre et commandants militaires de Côte d’Ivoire se font des centaines de millions de dollars en pillant l’exportation du cacao et autres ressources du pays, selon ce rapport d’experts des Nations unies.

Les dirigeants des milices des Forces nouvelles, qui ont pris parti pour le président Alassane Ouattara lors de sa confrontation avec Laurent Gbagbo en 2011, font partie d’un "réseau militaire et économique" qui profite d’un système de contrebande étendu et d’un réseau parallèle de taxe, selon les experts. Les anciens chefs rebelles ont été intégrés dans l’armée nationale "sans que les commandants aient renoncé à leurs activités économiques prédatrices, style seigneur de la guerre, qu’ils ont maintenant étendu à tout le territoire ivoirien". Les points saillants du rapport montrent que :

(a) Bien que la Côte d’Ivoire soit le premier exportateur mondial de cacao, elle a perdu environ 153 000 tonnes sur un total de 1,47 millions de tonnes produites au cours de la saison de 2011-2012, au profit des contrebandiers, selon les chiffres du gouvernement cités par les experts. La valeur du cacao perdu est estimée à 400 millions de dollars, dont une bonne partie est allée au Ghana, disent les experts.

(b) Un tiers des 450 000 tonnes de noix de cajou du pays, d’une valeur d’environ 130 millions de dollars, a été perdu au profit des contrebandiers. La Côte d’Ivoire est le deuxième producteur mondial de ces noix.

(c) La Côte d’Ivoire est le quatrième exportateur mondial de graines de coton en Afrique de l’Ouest, après le Burkina Faso, le Bénin et le Mali. Pour la saison 2011/2012, l’exportation du coton se montait à 130 000 tonnes. Les estimations indiquent qu’au cours de cette période 2000 tonnes sont sorties du pays en contrebande, représentant une perte de 1 million de dollars et 100 000 dollars en revenu fiscal.

(d) En Côte d’Ivoire, l’industrie du bois est traditionnellement l’une des plus affectée par les activités prédatrices des contrebandiers qui génère des revenus et permet aussi l’acquisition illicite d’armes. L’Icg a recueilli des preuves et des témoignages fiables concernant l’exploitations illégales et le trafic de bois de teck actuellement exacerbé par des anciens combattants des Forces Nouvelles travaillant pour des compagnies exploitant illégalement le bois à Bouaké, ceci en raison de leur connaissance des forêts. Par exemple, entre février et décembre 2012, il y a eu sept saisies de grumes pour un total de 478,6 m³.

(e) La contrebande et les réseaux illégaux ont tous deux un impact sur les exportations et les importations. L’économie du pays a aussi été affectée par les flux de produits étrangers et le gouvernement a été dans l’incapacité d’obtenir des taxes d’importation sur toute une série de produits, y compris le sucre (dont un stock invendu de 60 000 tonnes pour la saison 2011/2012), des milliers de tonnes d’engrais et une grande variété de produits alimentaires.

(f) La Côte d’Ivoire est particulièrement sous-développée dans le domaine de l’exploitation des mines d’or, compte tenu de sa géologie et de sa ceinture de néphrite riche en ores d’or. Il est également possible de conclure que l’extraction artisanale et à petite échelle va probablement croître en parallèle avec l’industrie minière. Selon les chiffres obtenus du ministère, les exportations d’or, produit par les grandes mines d’or exploitées industriellement en 2012, dépassaient les 600 millions de dollars au cours mondial actuel de l’or. Chose intéressante, ces mêmes chiffres officiels mentionnent également 213 kg d’or, d’une valeur approximative de 12 millions de dollars sous la rubrique "autres". Dans ce cas, "autres " fait référence à la trentaine de détenteurs de licence pour l’achat et l’exportation, accordés par le ministère, ce qui représente, pour 2011, une augmentation de 3000% de l’exportation d’or par les détenteurs de licence pour la petite industrie d’extraction, lesquels, officiellement, exportent 6,6 kg d’or. Comme les détenteurs de ces licences n’achètent pas l’or des compagnies minières établies, Icg en déduit que l’or est acheté auprès des orpailleurs artisanaux qui exploitent les mines d’or éparpillées dans le pays. Les estimations de la valeur réelle de ces extractions artisanales pourraient facilement être multiplié par cinq. Chose intéressante, et bien que l’exploitation artisanale à petite échelle soit légale en Côte d’Ivoire, c'est-à-dire qu’il y a des dispositions dans la législation actuelle qui permettent d’obtenir une licence, le ministère n’a pas octroyé de telle licence. Icg en conclut que les détenteurs de permis d’importation et d’exportation achètent l’or illégalement extrait mais légalement exporté.

Le Groupe d’Experts a laissé de côté la question de la quantité massive de diamants sortie en contrebande chaque année par les seigneurs de la guerre. Au Burkina Faso, sous les auspices de Blaise Campaoré, les principaux seigneurs de la guerre de Côte d’Ivoire ont été introduits auprès des acheteurs du Hezbollah et d’Al Qaeda. La Côte d’Ivoire a des mines de diamants. L’extraction illégale de diamants dans le nord du pays se poursuit et fournit une quantité substantielle de diamants à Al Qaeda, en particulier à Al Qaeda islamique du Maghreb (Aqmi).

Il y a quatre grandes mines : Bobi, Diarabala, Seguela et Tortiya. En 2012, les Etats-Unis ont envoyé une équipe de la Cia pour découvrir ce qu’il se passait. Elle a tenté de remonter aux origines d’environs 300 000 carats extraits en Côte d’Ivoire en 2011 et qui ont généré des gains de 25 millions de dollars. Ce marché est surtout contrôlé par deux seigneurs de la guerre : Issiaka Ouattara, alias "Wattao" et Hervé Touré, alias "Vetcho". Les diamants sortent en contrebande principalement par le Mali et la Guinée avant d’aboutir sur le marché international à Tel Aviv.

Le groupe d’experts a souligné le problème de "la trésorerie parallèle". Il a écrit qu’il y avait un réseau militaro économique incrusté dans l’administration ivoirienne. Ce réseau a adopté un système de taxation similaire à celui utilisé par l’ancienne trésorerie centrale des Forces nouvelles, "la Centrale", mais a un peu changé et opère actuellement de façon plus discrète. Un système de taxation parallèle a donc été mis en place pour différentes activités commerciales, y compris l’agriculture (cacao, coton et noix de cajou), le commerce, l’extraction artisanale et le transport. Le réseau a recruté d’anciens étudiants de la ville centrale de Bouaké pour les placer dans toutes les principales villes pour gérer les revenus qu’il obtient.

Le rapport cite nommément Martin Kouakou Fofie, qui était sur la liste des sanctions des Nations Unies, Ouattara Issaika, Hervé Touré, Kone Zakaria et Cherif Ousmane comme étant tous à "des postes stratégiques" avec des quantités significatives d’armes.

Et le président Alassane Ouattara dans tout cela ? Il est impuissant face aux alliés qui l’ont porté au pouvoir. Les Français sont satisfaits de collaborer avec les seigneurs de la guerre comme ils l’ont fait au cours de la décennie écoulée. Des compagnies françaises participent au transport et à la commercialisation des biens de contrebande cependant qu’ils traversent le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Togo. Ouattara n’a aucun pouvoir. Il n’a aucun contrôle sur l’économie ou la politique du pays et se trouve totalement isolé et dépourvu de contact avec les Frci dirigés par les seigneurs de la guerre, la Gendarmerie et ce qui tient lieu d’administration civile au niveau local.

C’est un gouvernement fondé sur le racket, la contrebande et l’usage arbitraire du pouvoir par des voyous non élus qui opèrent en toute impunité. C’est une suprême ironie que les Nations Unies envoient un groupe d’experts pour mettre en lumière les échecs des Nations Unies dans sa guerre illégale et peu judicieuse contre Gbagbo et le peuple de Côte d’Ivoire. Alors que les actions et la complicité des Français dans la promotion et le soutien à un tel système ne devrait surprendre personne, on aurait néanmoins espéré mieux de la part des Nations Unies

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** Dr. Gary K. Busch est un syndicaliste international, un intellectuel, un homme d’affaire et un consultant en affaires politique et commerciales depuis 40 ans – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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NOTES

[1] ICG, “ A Critical Period for Ensuring Stability in Cote D’Ivoire”, Africa Report N°176 – 1 August 2011
[2] ibid
[3] Final report of the Group of Experts on Côte d’Ivoire pursuant to paragraph 16 of Security Council resolution 2045 (2012) 17 April 2013.