La crise politique perdure à Madagascar, avec les fausses solutions et les rendez-vous manqués dans la recherche d’un retour à la stabilité politique. Pour les membres de l’Observatoire de la vie publique, il est temps de sortir de ce cycle que fait que tout se délite et que le peuple malgache commence à se trouver en perte de repères.
Si l’interminable feuilleton de la transition (Ndlr : à Madagascar) amuse les acteurs politiques, il exaspère le citoyen, spectateur désillusionné et ignoré. Chacun en connaît le scénario : l’encre de la énième feuille de route à peine sèche, les opportunismes s’affichent pour former un gouvernement dit d’union nationale à base de reniements et d’ambitions personnelles, là où devrait primer le service du bien commun. Cet assemblage hétéroclite d’intérêts contradictoires en témoigne : notre société ne dispose plus aujourd’hui d’aucun point de repère…
Cette perte de repère est à la source de la pagaille dans laquelle vit le pays. Lorsque les responsables ne veulent ou ne peuvent prendre leurs responsabilités, le citoyen impuissant et mécontent en subit les conséquences : capitale et grandes villes paralysées par les vendeurs à la sauvette et l’indiscipline des taxi-be et d’autres usagers, sous le regard complice des policiers ; prolifération des points de vente de boissons alcoolisées à côté des écoles et des églises, au mépris de la loi et du respect des enfants ; insécurité galopante, en ville comme dans les campagnes, grâce à la complicité de militaires, de gendarmes ou de policiers ; mépris pour leurs concitoyens de la part de politiciens à peine nommés : villas somptueuses, voitures de luxe, train de vie ostentatoire et autres formes d’étalage de richesse ; trafic persistant de bois de rose, d’or et de pierres précieuses, mise en cause d’un chef de région, implication de militaires, sans poursuite ni suite judiciaire aucune ; corruption aux douanes, avec la protection de hauts responsables politiques et administratifs, les affaires les plus médiatisées sont étouffées ; silence de la majorité des intellectuels et des grands corps de la nation, oublieux du service public et obnubilés par leurs avantages corporatistes et leurs visées politiques ; magouilles dans les concours d’accès à l’Ecole nationale d’administration, à l’Ecole nationale de la magistrature et des greffes, aux écoles militaires, aux universités.
UNE FEUILLE DE ROUTE A EPISODES
En matière politique, le panorama est tout aussi inconsistant. Après avoir annoncé trois échéances électorales successives, le président de la Transition s’en remet désormais aux autres. Mais nul ne sait à qui il revient de décider des dates et de la nature du ou des scrutins, pourtant annoncés pour 2011 : à la CENI, au Parlement de Transition, au Gouvernement, à d’anonymes techniciens de l’OIF ou de l’ONU ? Combien de mois le citoyen devra-t-il patienter, pour apprendre finalement que le temps manque pour organiser les élections en 2011 ?
Entre une feuille de route paraphée par une poignée de politiciens et les dispositions transitoires d’une constitution adoptée au suffrage universel, à laquelle faut-il donner prééminence ? L’article 116 de la Constitution stipule que la Haute Cour Constitutionnelle « statue sur le contentieux des opérations de référendum, de l’élection du Président de la République et des élections des députés et sénateurs (…et) proclame le résultat officiel des élections présidentielles, législatives et des consultations par référendum ». La Feuille de route par contre, en son article 11, indique que « une Cour Électorale Spéciale devra être créée à titre exceptionnel et provisoire. Elle sera chargée du contentieux électoral et de la proclamation des résultats définitifs des élections présidentielles et législatives. Le fonctionnement, la composition et la compétence de ladite Cour seront fixés par une loi adoptée par le Parlement de Transition ». Ne serait-ce pas encore un moyen de contourner le suffrage universel, par des arrangements tacites ?
Heureusement, la feuille de route (art. 25) tient le même langage que la constitution (art. 168) à propos du Filankevitry ny Fampihavanana Malagasy (Conseil de la réconciliation malgache). Mais est-il réellement nécessaire d’y installer 48 membres ? La liste de tous les amis à caser est longue, il est vrai, mais ces institutions ont-elles vocation à résorber le chômage technique des politiciens ? Les juges de la Cour suprême des États-Unis ne sont que neuf. Neuf personnes compétentes et représentatives suffiraient pour un Conseil de la réconciliation qui ne devrait durer que le temps de la transition elle-même. Mais comme le sens même du mot transition est fondamentalement incompréhensible pour la majorité de nos politiciens, un tel scénario paraît bien improbable.
LES TERGIVERSATIONS DE LA SADC
Faut-il prendre encore au sérieux les chefs d’État de la SADC, théoriquement en charge de l’équipe de médiation, et dont les tergiversations laissent dubitatif ? L’incapacité de la « troïka », le 31 mars dernier, à accepter ou à désavouer un processus mis au point par son propre médiateur (par ailleurs félicité pour son travail !) disqualifie une SADC qui, à ce jour, a fait preuve pour beaucoup d’observateurs de manque de compréhension des réalités malgaches.
L’objectif inavoué de la SADC et de l’Union africaine serait-il de faire traîner en longueur la crise malgache, et d’arriver à une transition de 10 ans sur le modèle ivoirien ? Nombreux sont les observateurs qui se demandent pourquoi ces chefs d’Etat ne comprennent pas l’urgence de la situation et les souffrances du peuple malgache, condamné à rester perpétuellement otage de politiciens opportunistes et véreux. Aussi est-il préférable que soient tenues les élections promises pour cette année, afin que soit menée à terme la Transition et pour que le pays puisse enfin espérer sortir de la crise actuelle.
Dans l’immédiat, il faut que l’épisode joué à Gaborone soit le dernier, et que soit fixée une échéance impérative pour la fin de la transition. Y arriver d’ici à la fin de 2011 est encore possible, du moins en ce qui concerne les législatives auxquelles le SeFaFi revendique de donner la priorité. Et pour clore une fois pour toutes cet interminable feuilleton, que chaque participant de la réunion de Gaborone soit persuadé qu’il ne peut pas tout obtenir pour lui. Mais la question demeure de savoir qui décide : les partis politiques, le pouvoir de transition, la SADC, l’Union africaine ou la fantomatique communauté internationale ?
Beaucoup ont intérêt à prolonger la situation actuelle, les uns parce qu’ils en profitent personnellement, les autres parce qu’ils en attendent que la situation pourrisse davantage encore – soit par la pauvreté croissante, soit par l’insécurité qu’alimentent les tentatives d’attentat et les cambriolages en série. Sans parler de tout ce qui se passe en coulisses pour recomposer les coalitions économico-politiques et asseoir de nouveaux pactes de répartition de privilèges au détriment de la démocratie et du peuple.
DES INSTITUTIONS TRANSITOIRES
La prochaine étape consistera en la mise en place des institutions de la Transition. Elle implique la recomposition (et non pas l’élargissement) du Congrès de la Transition et du Conseil supérieur de Transition, la création du Conseil de la réconciliation malgache et l’entrée de représentants de l’opposition dans les structures de la Commission électorale nationale indépendante.
Il convient d’insister d’abord sur le caractère transitoire de ces institutions, à l’exception de la CENI. Le but n’est pas de distribuer le plus grand nombre de sièges au plus grand nombre d’amis, mais d’assurer une bonne représentation des principaux courants politiques. Les prétentions des uns et des autres, hélas, montrent qu’ils ne recherchent que leurs avantages personnels.
Aussi la société civile est-elle en droit de connaître l’ensemble des avantages financiers et matériels accordés à ces représentants nommés, censés être au service de la population : émoluments, indemnités, primes, tickets carburant, crédits téléphoniques, nombre et salaire des assistants, etc. Cet argent appartient au peuple, les citoyens doivent donc être informés de l’usage qui en est fait. Rappelons enfin avec force que le Parlement de Transition ne peut légiférer hors des domaines définis par les dispositions transitoires de la Constitution et la Feuille de route. Cela concerne spécialement ce qui, d’après l’article 88 de la constitution, relève d’une loi organique.
Ainsi, « les règles régissant les compétences, les modalités d‘organisation et de fonctionnement des Collectivités Territoriales Décentralisées, ainsi que celles de la gestion de leurs propres affaires » (art. 88-4°). Il n’appartient pas non plus à ces instances d’engager l’avenir en matière de politique de santé, de réforme de l’enseignement, de contrats miniers, politique pétrolière, d’investissements à long terme…
Oui, le pouvoir de la Transition se doit de justifier sa raison d’être : gérer le bien commun de la nation, en attendant que de vraies élections portent au pouvoir, dans les plus brefs délais, des responsables issus du choix populaire.
ENCORE ET TOUJOURS L’AMNISTIE
Le SeFaFi ne peut pas ne pas revenir sur la question de l’amnistie. La question qui se pose en premier lieu est de savoir pourquoi, dans la dernière Feuille de route, le détournement de fonds publics a été retranché des faits non amnistiables, alors qu’il figurait dans la version précédente. Pareil revirement est inacceptable pour toute conscience citoyenne. Mais comme le même document (art. 18) parle « d’une amnistie large pour tous les évènements politiques intervenus entre 2002 et 2009 », on peut logiquement en déduire qu’avoir détourné des fonds publics pendant cette période n’est pas amnistiable, un détournement de fonds publics ne constituant pas un « événement politique » !
Mais personne n’est dupe : derrière la question de l’amnistie, se cache celle de l’inéligibilité de certains candidats. En d’autres termes, faut-il satisfaire les intérêts particuliers d’anciens politiciens auteurs de délits autres que politiques, et qui ambitionnent d’être à nouveau candidats ? Ou faut-il donner la préférence à l’intérêt général du pays et l’urgence de la sortie de crise ?
Antananarivo, le 1er juin 2011
* Signataires : Ralison Andriamandranto,
Gatien Horace,
Sahondra Rabenarivo,
Roger Bruno Rabenilaina,
Ketakandriana Rafitoson, Henri Raharijaona, Annie Rakotoniaina, Noro Razafimandimby, Sylvain Urfer
Présidente d’honneur :
Madeleine Ramaholimihaso
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