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« 908 années suffiraient », selon Jan Tibergen, pour voir les « remèdes » de la Banque mondiale guérir nos pays sous ajustement structurel de leurs maux sociaux. « 908 années », répondent les masses africaines de Tunis à Ouagadougou en passant par le Caire en cette année 2011, « c’est plus que nous ne pouvons attendre. C’est trop ! ».

Le 28 mai 2010, à Dakar se tenait un sommet organisé par des jeunes panafricanistes révolutionnaires. Un des thèmes, oh combien prémonitoire, abordés, avait été «Vers une nouvelle vague de luttes de libération populaire et démocratique ». Depuis lors, les peuples tunisiens et égyptiens ont porté au plus haut sommet cette lutte en chassant des pouvoirs vendus à l’impérialisme et dont les média impérialistes occidentaux feignaient de découvrir le caractère despotique.

Les révolutions tunisiennes et égyptiennes sont à la fois un aboutissement inachevé et une étape d’un long processus encore en cours dans d’autres pays africains et du monde arabe. Processus qui prend racine dans le terreau des politiques de re-colonisation de nos pays. Processus qui s’alimente de toutes les luttes multiformes comme autant d’ailes nécessaires à son envol libérateur.

DES DESASTRES DE LA SOUMISSION A TINA…

Depuis trois décennies, à la faveur de la défaite de l’URSS, de la chute du mur de Berlin et de leurs impacts négatifs sur les organisations et militants anti-impérialistes, l’idéologie dominante a martelé qu’il n’y avait aucune alternative au semi colonialisme, aucune alternative aux diktats du Fmi et de la Banque mondiale. There Is No Alternative ou TINA !

TINA était devenu le surnom de la « fin de l’histoire » chère à Fukuyama. Mais le drame ne résidait pas seulement dans le coup de force des think tanks (boîtes à idées) qui prennent leur désir pour la réalité. Il résidait aussi dans le fait que les semi colonisés l’intériorisèrent et que les différentes factions politiques africaines collaboratrices au consensus de Bretton Woods l’appliquèrent, causant ainsi des désastres innommables pour les travailleurs et les peuples. L’anti-impérialisme comme discours politique devint ringard. Les organisations anti-impérialistes se scindèrent entre celles qui opéraient une mue pour s’adapter et celles dont l’entêtement en faisait les lanternes rouges politiques, du point de vue électoral, dans nos pays. Et cela mit le peuple devant ces deux termes de l’alternative : ou bien trouver absurde ce que les anti-impérialistes disent, ou bien trouver absurde ce que le Fmi, la Banque mondiale et nos pouvoirs semi coloniaux font.

Continuer ou changer ? Nos peuples et nos travailleurs sont tout sauf dénués de bon sens en comprenant qu’il fallait changer ! Sauf que CHANGER signifiait d’abord pour eux CHANGER de régime. Ainsi, du Cap Vert au Bénin, du Mali au Sénégal le vent de l’alternance avait soufflé. Et les alternances furent obtenues de hautes luttes par les peuples mettant un coup d’arrêt aux monopartismes militaires et civils. Mais alternances auxquelles les impérialistes ont su s’adapter.

Les alternances entre Démocrates et Républicains aux Etats Unis, entre la Droite et la Sociale démocratie en France… ont permis, malgré les réformettes, de garder intacte la nature capitaliste des régimes en place. Il fallait donc aussi des alternances pour conjurer toute révolution tout en pérennisant l’exploitation impérialiste de nos pays. Les régimes passent mais la réalité demeure de plus en plus dure : 0,5% de l’humanité s’engraisse avec 36% de la richesse mondiale, 55% survivent avec 2%. Ainsi « en humanité capitaliste, la misère est massive et la richesse homéopathique ! ». Résultats : émigration piroguière, crise alimentaire, chômage, crises des secteurs éducatifs et sanitaires, crise de l’agriculture…

…A L’AFRIQUE TOUCHEE PAR LE « VENT » SUD AMERICAIN…

Les révolutions tunisiennes et égyptiennes sont en ce sens des mouvements anti-systémiques qui prolongent les avancées démocratiques et anti-libéraux initiées par les victoires des gauches sud-américaines, bolivariennes ayant pour point d’appui la formidable résistance cubaine. Des mouvements contre le système dominant qui opprime peuples et travailleurs du Sud. Elles signifient que les peuples exigent une alternative au pillage de leurs pays. Pillage signifiant misère pour les peuples du Sud, pillage permettant, certes en raison de la crise de moins en moins le maintien par les bourgeoisies du Nord d’un niveau de vie relativement acceptable pour leurs peuples et bien sûr pillage rendant possible le drainage de 36% des richesses mondiales par 0,5% de l’humanité.

C’est la même politique libérale qui est aujourd’hui l’objet de l’indignation des Islandais, des Grecs et des Espagnols quand ils disent : « Nous ne sommes pas des marchandises aux mains des politiques et des banquiers ». C’est la même politique libérale que redoutent les Portugais qui voient le Fmi au chevet de leur pays. Tant de misère pour tant de personnes est intenable pendant 908 années. Et cela débouche inévitablement par l’exercice du devoir évoqué par Robespierre : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple l’insurrection est pour le peuple le plus sacré et le plus indispensable des devoirs ».

C’est à la fois un cinglant démenti des dogmes néo-libéraux et une prémonition pour les autres pays du Sud que la Tunisie et l’Egypte passent du statut de « pays modèle » présenté il n’y a guère longtemps par les thinks thanks comme une « success story » au « Ben Ali dégage ! » et au « Moubarack dégage ! », « Blaise Compaoré doit partir »…

… ET A « WADE DEGAGE ! » OU COMMENT EVITER UN REMAKE DE 2000 AU SENEGAL

Choqué par l’attitude du président françafricain Sarkozy jouant les entremetteurs dynastiques entre Wade fils et Obama, au sommet du G8 à Deauville, des internautes sénégalais ont pu déclamer : « Les Sénégalais sont unanimes : Personne ne veut le retour de Faidherbe au Sénégal. Notre pays ne redeviendra pas une colonie ou une préfecture française. Papa président et Tonton Sarkozy n’y pourront rien. Vous feriez mieux d’abandonner votre projet funeste et de laisser le Sénégal en paix. ». « Redevenir » ?! Pourquoi, il n’y a plus « SN Alizé » sur nos mobiles mais « Orange » ? Pourquoi, on ne dit plus Sonees mais Sde en parlant de la société nationale d’eau ? Pourquoi, on ne dit plus Sncf en évoquant la société nationale de chemin de fer mais Transrail ? Pourquoi, a-t-on abandonné la dénomination Sonacos pour le Suneor ? Pourquoi, utilise t-on encore le Cfa qui signifiait Colonie Française d’Afrique ? Qui garantit le Cfa ? Le Sénégal n’a pas besoin de « redevenir » colonie ou préfecture de la France. Il l’est encore et n’a jamais cessé de l’être ! Mais les internautes sénégalais expriment là une indignation bien légitime face au projet fallacieux monarchiste de Wade qui confond « élection » et « trône ».

Dans ce Sénégal, le chaudron de l’histoire bout. Aujourd’hui, face à la « crise multidimensionnelle », se pose plus que jamais la question : où va le Sénégal ? Crise dans l’éducation, crise dans la santé, crise dans l’agriculture, crise du foncier, la crise alimentaire, la crise énergétique, les découpages administratifs, les scandales financiers, le bradage de nos ressources halieutiques, crise politique, crise morale… Le peuple sénégalais à l’instar des autres peuples refuse d’accepter l’inacceptable.

Ce refus objectif, même inconscient, à la soumission à TINA a pris jusqu’ici plusieurs formes. Parmi celles-ci la lutte de la majeure partie de l’opposition politique autour du CPC devenu CPA, Front Siggil Sénégal et enfin Benno, les luttes des syndicats d’enseignants et de la santé. L’émigration piroguière, les émeutes de la faim, les inondations de la banlieue, les reports des élections, l’affaire des chantiers de Thiès, le scandale de l’Anoci (Ndlr : Agence nationale de l’Oci qui pilotait Karim Wade, le fils du président), l’agression de Talla Sylla (Ndlr :un jeune leader de l’opposition) et des journalistes, le saccage de sièges de la presse, la révolte des marchands ambulants et l’impasse politique qui a débouché sur le boycott par la majorité de l’opposition lors des élections législatives de 2007… ont accouché des Assises Nationales du Sénégal (ANS).

Cette impasse politique n’est pas seulement à analyser sous l’angle d’une absence de dialogue entre pouvoir et opposition. Cette impasse a aussi été l’impotence de la Social démocratie comme locomotive de l’opposition politique sénégalaise. Au point qu’il est arrivé, par moments, que la seule opposition au Pds (parti au pouvoir) fût le PDS (Idrissa Seck et Macky Sall – d’ancien membres du parti qui ont fait défection). Les mouvements « Dafa doy ! », « Y en a marre », « Yamalé »… sont aussi le symptôme du stérile et vain républicanisme social démocrate arboré par Benno.

Les multiples candidatures indépendantes déclarées et annoncées montrent aussi la faiblesse de l’offre politique en plus du fait qu’elles sont parfois manipulées par la présidence elle même. Tout le débat sur la « candidature de transition », la « candidature d’achèvement », et les lenteurs à édifier le peuple sur la candidature à Benno sont aussi autant de signes de manœuvres sur l’autel desquels, si on y prend garde, seront sacrifiés les intérêts du peuple sénégalais.

Être complice de ces combines politiciennes compromettrait pour longtemps encore la stratégie de notre famille politique : libérer notre peuple du semi colonialisme et de ses collabos ! Beaucoup de nos compatriotes favorables au départ de Wade se posent encore la question de savoir qui pour remplacer Wade à la tête de notre pays ? Une offre politique qui s’articule autour des libéraux du pouvoir et des libéraux de l’opposition d’une part et de la social démocratie unie ou désunie d’autre part dont les candidats se préparent, comme tout messie ou leader providentiel, à « la rencontre d’un homme avec son peuple ». Dans cette perspective, grand est le danger de voir la Gauche démocratique et anti impérialiste éparpillée et donc isolée entre les différents candidats social démocrates. Pourquoi choisirions nous Moustapha Niasse au lieu de Ousmane Tanor Dieng ? Cela obéirait à quelle tactique de gauche que de faire de Tanor notre candidat ? Mais surtout cela sera au service de quelle stratégie ?

Aujourd’hui plus que jamais, se pose la nécessité d’une rupture de Gauche qui passe par l’accélération du processus vers l’unité de la gauche et l’impulsion de la construction du front "Wade dégage !" avec les « y en a marre », « Dafa doy seuk ! », « Yamalé », ce qui pourrait pousser Benno sur le terrain...

Le seuil critique atteint par notre pays, la mobilisation de tous et de chacun, les affrontements sporadiques qui préparent l’affrontement final, la prise de conscience d’une bonne partie des sénégalais que l’alternance seule ne suffit plus, la réalité qu’aucune organisation ou famille politique seule ne peut gagner…s ont autant d’éléments qui militent en faveur d’une démarche de gauche pour préparer le « Wade dégage ! ».

Préparer le « Wade dégage ! » est devenu incontournable. Les coups de force du charcutage clientéliste et électoraliste des collectivités locales est là pour le montrer. La récente décision en faveur des travailleurs de JLS et de Bara Tall (Ndlr : une entreprise nationale dépouillée par le régime) vient de montrer que tout est à arracher aux libéraux. Tout sera obtenu de hautes luttes face aux Wade. Et c’est dès à présent que tout doit être préparé pour imposer au pouvoir issu de la deuxième alternance politique au Sénégal l’application des décisions issues des Assises Nationales. Cela aussi est une des leçons à tirer du champ libre laissé à Wade après 2000 et de la tactique d’opposition dite républicaine opposée aux différends coups de force de Wade et des libéraux. Pour ce faire, mettons nous à l’urgente tâche de l’heure, par le regroupement de toutes les forces qui vont accomplir le « Wade dégage ! » et imposer le respect des conclusions des Assises Nationales. Cette tâche est celle de la rencontre du peuple sénégalais avec lui-même.

DES REVOLUTIONS EN COURS MAIS INACHEVEES

Pour conclure, les révolutions tunisiennes et égyptiennes devront nous dire à terme si elles vont déboucher sur l’édification d’Etats anti-impérialistes comme en Amérique du sud, ou à l’image des Etats comme les BRIC qui remettent davantage en cause l’unipolarité capitaliste et impérialiste assassine pour les peuples et travailleurs du monde, ou si les impérialistes et leurs alliés nationaux collabos apatrides vont comme lors de la première phase de décolonisation il y a 50 ans encore réussir à endiguer les velléités anti-impérialistes, nationalistes, patriotiques et démocratiques de nos peuples. Souhaitons aux peuples tunisiens et égyptiens que leurs révolutions s’approfondissent et frayent la voie à l’alternative émancipatrice. Et que cette vague révolutionnaire traverse l’Afrique du Nord au Sud. Au Sénégal, l’alternative devra être frayée par les mouvements sociaux et forces politiques, syndicales…de gauche démocratiques et anti-impérialistes.

Dans cette perspective nous devons clarifier notre stratégie et notre tactique dans la période à venir.

Notre stratégie est l’unification de notre famille politique en force indépendante des familles libérale et social démocrate. En force qui pèse au service de notre peuple et des travailleurs vers la conquête du pouvoir. En force qui aspire, pour ce faire, à avoir une liste unique lors des prochaines élections législatives sans les socio démocrates et contre les libéraux. Liste qui pourra être élaborée dans le cadre du CNP/CNG.

Notre tactique est l’édification du front « Wade dégage ! » ou « Ablaye abal nu ! » avec un candidat présidentiel issu des Assises Nationales, pour un gouvernement de transition qui mettra sur pied un régime parlementaire, fera l’audit de la gestion avant et pendant l’alternance et organisera des législatives avec un scrutin proportionnel intégral.

* Guy Marius Sagna est membre de Ferñent / Mouvement des Travailleurs Panafricains – Sénégal

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