L’Espagne renforce ses frontières après l'irruption des réfugiés africains
L’année dernière, le journal britannique « Sunday Herald Online » a indiqué dans son reportage que « …des milliers d’hommes forts, jeunes, à la frontière faite de rasoir de fil de fer de ces possessions espagnoles à moitié oubliées, ont lancé leur raid le plus spectaculaire jamais vu contre la forteresse européenne…. » Sokari Ekine explique que ce qui pousse la plupart des Africains à abandonner leurs pays d’origine est la crise sociale. Elle discute le fait que la réponse des pays occidentaux de l’Europe au problème est influencée par un préjudice culturel contre ceux qui proviennent du soi-disant « Tiers-Monde ».
Les rapports indiquent que 20.000 hommes, femmes et enfants ont atteint les côtes de l’Espagne depuis le début de l’année, 1.300 d’entre eux étant arrivés il y a deux semaines. Dans huit mois, les nombres seront trois fois plus élevés par rapport à l’année dernière. Ceux qui parviennent à atteindre les côtes, souvent après avoir nagé une centaine de mètres, arrivent à demi-morts et éparpillés sur les plages parmi les touristes qui prennent leurs bains de soleil.
Dans un article intitulé « The Canaries, The Threatened Paradise » (en français, Les Canaries, Paradis Menacé), le quotidien espagnol El Pais a écrit : « Ce qui était, il y a quelques années, un égouttement lent et sporadique de pateras (bateaux en bois), qui débarquaient dix, douze Marocains, Sénégalais, Guinéens ou Gambiens sur les plages de Fuerteventura, est devenu une arrivée presque quotidienne de bateaux avec 80, 90, une centaine de Sub-Sahariens , la plupart du temps».
Des arguments se bousculent entre les diverses autorités des provinces et des cités quant aux nombres de migrants que chacun accepte d’accueillir parmi ceux en provenance des deux points de débarquement, les Canaries et l’Andalousie. Jusqu’à présent, le nombre de gens qui ont été déportés dans leurs pays d’origine est à peu près 1.800.
Il y a une diversité de réalités autour de l’Immigration en Espagne et en Europe. Le pays a bénéficié d’une main d’œuvre marocaine et ouest - africaine qui est bon marché sur les sites de construction et dans leur secteur agricole, ce qui a conduit à une croissance de 2,6% de l’économie pendant les 10 dernières années. Les projections sont telles que sans le travail des immigrants, elle aurait baissé de 0,6% chaque année. Une croissance reflétant les mêmes chiffres s’applique à l’ensemble de l’Europe.
Aussi longtemps que l’Espagne continue de bénéficier des avantages d’une main d’œuvre à bon marché, la rhétorique du gouvernement espagnol selon laquelle il ne va plus tolérer l’arrivée continue de migrants ne peut pas être prise au sérieux. La différence entre aujourd’hui et il y a une année peut s’expliquer en termes de nombres.
Une autre réalité pour les Espagnols est qu’ils se trouvent confrontés au fait que l’Espagne est l’espace géographique où l’Europe « baise presque l’Afrique » (Caryl Phillips, The European Tribe), ou est-ce juste le contraire ? Le contraste entre l’Espagne et l’Afrique est remarquable. L’existence de la pauvreté de ceux qui habitent cette dernière et l’existence de riches Espagnols juste de l’autre côté est ce qui pousse avec force beaucoup de gens à traverser la Méditerranée dans des chaloupes bancales. Pour certains de ces gens, c’est comme si l’Espagne était une terre promise.
Certains quittent leurs propres pays à cause des guerres et des conflits interminables. Et il faut souligner que pour chaque migrant, irrégulier ou régulier, il y a des familles entières – et dans certains cas des communautés – qui survivent grâce aux envois de ceux qui parviennent à traverser.
L’Espagne et l’UE sont à présent en train d’initier un nombre de projets et de politiques dans une tentative de ralentir, et finalement de stopper, la migration des Africains vers leurs côtes. Cependant, les politiques proposées ressemblent à quelqu’un qui utiliserait un chiffon pour essayer de stopper un robinet qui goutte. Ceci appelle à une question : ces politiques visent-elles à réduire les nombres ou à éparpiller les arrivées plutôt qu’à stopper l’immigration purement et simplement ?
Une ONG espagnole est en train d’ouvrir une école au Sénégal pour 800 élèves. L’objectif est d’éduquer tant les femmes (qui forment jusqu’à 50% de la population de l’école) que les hommes. Le but ultime de l’école est de communiquer des aptitudes à ces jeunes gens et jeunes filles afin qu’ils puissent trouver l’emploi dans leurs pays d’origine, plutôt que d’être poussés à traverser la Mer Méditerranée pour l’Europe.
Il y a des millions de jeunes qui sont présentement en train d’essayer de migrer vers le Nord – cette nouvelle politique devrait être reproduite des centaines de fois dans les pays à travers l’Afrique de l’Ouest, du Nord et de l’Est de même que le Sud-Est de l’Asie, le Moyen-Orient et au-delà. L’école est un pas positif mais la réalité est qu’il s’agit d’un sac de farine parmi un million de gens affamés.
En juillet, dans un autre signe de désespoir, le gouvernement espagnol a signé un accord sans précédent avec le Sénégal pour permettre à la Guardia civil (Garde Civile) de patrouiller les eaux sénégalaises en vue d’empêcher les migrants de quitter leur terre natale. L’UE est en train de mettre sur pied un programme qui permettrait de financer une série de camps de transit à travers le continent et au Nord de l’Afrique (depuis l’Ukraine jusqu’en Libye) en tant que partie d’un « système de contrôle » holistique en accompagnement de l’accord de Schengen, la fermeture des deux enclaves espagnoles au Maroc, Ceuta et Melilla, qui va effectivement « faire la ceinture autour de l’Europe par un fil de fer barbelé »
La contradiction est que beaucoup de pays européens telles que la Bretagne et l’Espagne ont désespérément besoin de migration accrue à la suite de la chute des taux de natalité et de l’émigration de leurs propres citoyens autochtones. Il y a quelque 4 millions d’Espagnols qui travaillent à l’étranger et seulement 2 millions d’étrangers en Espagne. La procédure contournée autour de la nécessité de la main d’œuvre des migrants – professionnels, possédant ou ne possédant pas des aptitudes – est de présenter l’immigration « légale » en termes d’économie et répondre à des besoins temporels, pendant qu’on se sert des demandeurs d’asile et des réfugiés comme moyen de rejeter la migration « illégale » suivant des arguments ethniques et nationalistes.
Il n’y a aucun doute que les politiques espagnoles et européennes en matière d’immigration ont un élément racial fort. Ces nouvelles politiques sont-elles dirigées contre l’arrêt du mouvement des migrants africains, en réponse à la disponibilité de la main d’œuvre peu coûteuse en provenance de la Roumanie et de la Bulgarie ? Il est important de noter que ces deux pays vont bientôt rejoindre l’UE.
Je ne pense pas que l’Espagne ait atteint le point de saturation dans ses besoins de main d’œuvre à bon marché mais maintenant les Africains sont en compétition pour des emplois avec des gens de l’Europe orientale qui arrivent également en grands nombres.
Bien évidemment, l’attrait de l’argent liquide gagné en Espagne pousse les migrants à risquer leurs vies (souvent à plusieurs reprises) pour atteindre l’Europe. L’une des pires tragédies a commencé le jour de Noël de l’année dernière, lorsqu’à peu près 53 Sénégalais, dont la plupart venaient du village de Casamance, ont quitté par bateau le Cap Vert pour les Canaries. Le bateau était relativement grand mais ne disposait ni de couverture ni d’abri. Il semble qu’il y aurait eu un peu de chaos à propos du départ du bateau vu qu’apparemment l’Espagnol en charge du bateau a sauté de ce dernier à la dernière minute. Les rapports disent que cinq des Sénégalais ont aussi quitté le bateau et qu’un autre fut pris de peur après que le bateau a démarré et a sauté puis rejoint la côte à la nage.
On pense que le bateau aurait passé par la Mauritanie mais qu’une fois arrivé à Nouadhibou (Mauritanie) il y a eu une tempête et que les passagers ont perdu le contrôle du bateau. Ils ont alors commencé à appeler des amis et leurs familles. L’une des personnes qui furent appelées était un pirate espagnol. Quelques heures plus tard ils furent sauvés par un autre bateau qui les tira vers le milieu de l’océan et puis les abandonna. Ils n’avaient que 40 litres de carburant, qui s’épuisa et, comme si cela ne suffisait pas, ils ont dû faire face aux tempêtes et les hautes eaux de l’Atlantique.
Les rapports indiquent qu’il y a eu une série de tempêtes, avec approximativement une tempête tous les dix jours, et des hauts vents ont poussé le bateau vers Barbade au bout d’une période de quatre mois. Les gens sont morts de faim et de soif, leurs corps étaient jetés hors du bateau l’un après l’autre au fur et à mesure qu’ils mourraient.
Il y a beaucoup d’Ouest-Africains qui ont réussi à se créer des vies en Espagne et ailleurs en Europe mais beaucoup demeurent également appauvris et vulnérables. Chose intéressante, j’ai dernièrement eu la chance d’avoir une causerie avec une personne qui est arrivée par bateau il y a deux mois en provenance de la Mauritanie et qui avait été envoyée à Grenade à partir des Canaries par le gouvernement. Tout son dossier fut traité avec le schéma selon lequel il allait travailler sur un site de construction et devait obtenir ses papiers en deux ans.
Nul besoin de dire qu’il y a très peu de chance pour cette personne d’obtenir des documents en deux ans. Plus probablement, elle sera exploitée et on se débarrassera d’elle lorsqu’elle ne répondra plus à ses objectifs.
A Grenade, il y a une augmentation remarquable des nombres d’hommes essentiellement Sénégalais dans les rues comparativement à il y a une armée. J’ai mentionné ceci à ma tresseuse de cheveux qui a été résidente à Grenade depuis cinq ans. Elle a répliqué, « Il y en a beaucoup trop qui viennent aujourd’hui. On n’était pas nombreux avant. Actuellement, il y en a beaucoup trop et il n’y a aucune occupation pour eux, la seule source de revenu qui leur est ouverte est la vente de CD. Ça ce n’est pas une vie».
En termes de droits juridiques et de statut, les migrants peuvent être divisés en trois groupes : l’élite éduquée et les experts, qui sont sujets à très peu de restrictions et de désavantages sociaux ; la masse de migrants qui d’habitude cherchent du travail saisonnier, dont les droits sont sérieusement restreints et dont la situation est caractérisée par des conditions de travail pauvres, un haut niveau de chômage, et de pauvres conditions de vie ; et des « étrangers irréguliers » dont on a besoin sur le marché du travail, mais qui sont politiquement exclus et n’ont pas quelques droits que ce soit.
L’ironie est qu’il y a seulement 30 ans, des milliers de migrants espagnols saisonniers, spécialement en provenance d’Andalousie, passaient leurs étés en travaillant au nord de l’Europe, de l’Allemagne et de la France principalement en cueillant des fruits, mais aussi sur des sites de construction et comme travailleurs occasionnels, juste comme les Marocains et les gens de l’Afrique de l’Ouest le font en Espagne aujourd’hui. A cette époque, les frontières étaient ouvertes et la couleur de la peau n’était pas un problème. Il est intéressant de noter jusqu’à quel point les relations internationales se sont détériorées, mais, chose plus importante, la manière dont l’Etat des affaires semble être influencé par un préjudice culturel contre ceux qui proviennent du soi-disant « Tiers Monde ».
*Sokari Ekine produit le blogue Black Looks (Regards Noirs),
*Ce texte a d’abord paru dans l’édition anglaise de Pambazuka News n° : 269.
Voir : www.pambazuka.org