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La communauté internationale est devenue prompte à imposer des sanctions. Mais quand elle manque d’intelligence, voire de discernement, jusqu’à faire souffrir les populations plutôt que les dirigeants qu’elles sont sensées viser, on tombe dans une hérésie que Ndimby évoque dans le cas de Madagascar.

Les sanctions de la communauté internationale contribuent à appauvrir et affamer les couches les plus vulnérables de la population malgache. Voilà en résumé ce qu’a déclaré à l’issue de sa mission à Madagascar le Rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter. Ce sont les décisions prises par la communauté internationale dans la gestion de la crise malgache qui sont ainsi pointées du doigt. Il ne s’agit pas ici des sanctions mises en place par l’Union africaine (UA) en mars 2010, et qui ont eu une portée beaucoup plus symbolique qu’autre chose sur les 109 personnes ciblées (interdiction de voyage et gel des avoirs en Afrique). Ces sanctions n’ont servi à rien, tout comme les suspensions de Madagascar des organisations telles que l’UA, l’OIF ou la SADC.

Les sanctions économiques ont, quant à elles, eu un effet plus dévastateur sur les Malgaches : la suspension de l’aide budgétaire, dans un pays où trois quarts du programme d’investissement public est apporté par les bailleurs de fonds, la suspension de l’AGOA, qui a résulté en plusieurs centaines de milliers de pertes d’emplois directs et indirects, la mise au ralenti des projets de développement financés par les partenaires techniques et économiques, alors que lesdits projets devaient protéger les pauvres. De plus, les entreprises sont asphyxiées par la crise, mais aussi par des « redressements d’office » imposés par le fisc, mais qui semblent plus tenir de la roulette russe que d’une quelconque rationalité.

La paupérisation de la population est une réalité, et les victimes se lancent dans l’informel pour joindre les deux bouts. Cela se voit dans les rues, où les vendeurs sont de plus en plus nombreux. Et cela se voit dans les journaux où des « salons de massage » en nombre croissant proposent leurs services tout en résorbant le chômage féminin.

Au final, les décisions prises par la communauté internationale ont eu des effets pervers sur la population, mais ont été inefficaces à faire dévier le pouvoir hâtif de son autisme et de son unilatéralisme. Celui-ci devrait donc ne pas avoir l’indécence d’utiliser les déclarations de M. de Schutter pour sa propagande.

On note toutefois que la communauté internationale ne découvre pas les dommages collatéraux des sanctions économiques avec la crise malgache. Dès 2000, le Rapport Bossuyt sur les sanctions économiques avait été présenté devant la Commission des droits de l’homme de l’ONU. Mais il est regrettable que les leçons des effets des sanctions générales n’aient pas été tirées par les décideurs, que ce soit après les 500.000 enfants irakiens morts ou les 100.000 employés du textile birman devenus chômeurs. Pour ne citer que ces deux cas.

Ceci étant dit, il faut se poser la question de la culpabilité et de la responsabilité dans ce genre de situation. La Communauté internationale qui a imposé ces sanctions n’a fait qu’agir en réaction au coup d’État du 17 mars 2009. Autrement dit, pas de coup d’État, pas de sanctions. Le coupable est donc tout trouvé. Chercher à justifier le coup d’État avec des raisonnements foireux risque de nous mener très loin, des errements de Ravalomanana jusqu’à la décolonisation mal faite. De plus, si les sanctions ont perduré, c’est à cause du régime de transition qui a refusé de souscrire à un bon sens minimum dans la résolution de la crise. Si Rajoelina avait eu le courage de ne pas renier sa signature de Maputo sous la pression de la clique qui l’entoure, on n’en serait pas là.

La communauté internationale doit donc redéfinir les sanctions mises en place pour mettre la pression sur le régime hâtif, afin d’en faire des sanctions ciblées, réellement « intelligentes » selon le vocabulaire onusien. S’attaquer de manière aveugle à tout un peuple innocent pour exprimer son indignation à une poignée de coupables est une hérésie. Car il faut être un crétin patenté pour croire que l’arrivée d’Andry Rajoelina au pouvoir résulte de la volonté de la majorité.

Par conséquent, la communauté internationale doit se remettre en question, et les sanctions revues et corrigées. Dans leur conception, afin d’atteindre uniquement ceux qui le méritent. Dans leur application, afin de colmater les brèches béantes ouvertes par le comportement de la France au sein de l’Union européenne (UE) et de l’Île Maurice au sein de la SADC, et qui sont ressenties par le régime de transition comme des encouragements à persister dans l’erreur. Car on se demande encore comment des dirigeants frappés de sanction peuvent investir dans l’achat de villas de luxe à Maurice. Ou voyager comme si de rien n’était vers Paris.

En outre, les sanctions ciblées doivent impérativement concerner l’UE pour pouvoir espérer une efficacité. Car il va s’en dire qu’une interdiction de voyage ou un gel des avoirs en Europe aurait une autre portée pour les dirigeants hâtifs que les sanctions de l’UA. Mais depuis 2009, la France protège le régime de transition des sanctions européennes qui sont les seules à pouvoir compter, d’où l’inefficacité de la diplomatie coercitive sur la HAT.

Le deuxième problème est que les services internationaux spécialisés chargés de traquer les flux d’argent suspects des dirigeants dans le monde entier semblent aveugles et muets au sujet du cas malgache. Alors que les fortunes amassées par les dictateurs africains font les choux gras de la presse française, il n’y a que radio-trottoir Madagasikara qui véhicule les informations sur les Hummer d’un tel ou les investissements immobiliers d’un autre.

Le troisième et dernier problème réside dans le comportement de certains États, qui privilégient leurs intérêts particuliers au lieu de contribuer à l’effort de sauvegarde de la démocratie. On ne parle pas seulement de la France, mais aussi de la Chine dont l’entreprise nationale Wisco collabore sans sourciller avec le pouvoir actuel, et dont les douanes ne s’embarrassent pas de préjugés sur la provenance des containers de bois de rose qui arrivent dans ses ports.

On note que malgré leur envergure sur le plan international, les États-Unis ne pèsent pas lourd à Madagascar par rapport à la France, et ne peuvent donc espérer prendre un leadership dans le dossier malgache. En effet, l’Oncle Sam n’a ni les liens historiques avec l’Hexagone, ni le nombre d’expatriés, ni le volume d’échanges commerciaux, ni la masse critique de membres de l’élite formés en France, si élite il y a, et qui seront toujours quelque part atteints de francophilie plus ou moins grave.

C’est donc dans ce contexte complexe que la communauté internationale doit effectuer un dosage. D’une part, la nécessité de sanctions afin de ramener à la raison un régime violant à tour de bras les principes de la démocratie et de la bonne gouvernance. D’autre part, la nécessité d’éviter les dommages collatéraux. Car ceux qui espèrent que le poids de sa souffrance va réveiller la population de sa torpeur, se trompent lourdement.

La communauté internationale doit donc faire un choix. Ou bien se dire que les sanctions sont inefficaces, et alors se défroquer complètement en quittant son comportement incohérent de vierge folle avec ses oui - non - peut-être - finalement non. Ou bien se donner une chance de les rendre efficaces, et les reformater en conséquence.

On notera pour terminer qu’avant de jouer les père-la-morale avec le Rapport de M. de Schutter, l’ONU devrait aussi être un peu plus cohérente avec les efforts internationaux pour ramener ce régime issu d’un coup d’État dans le droit chemin, au lieu d’inviter ses représentants aux sessions de ses Sommets. Car dénoncer les impacts des sanctions est noble, sauf quand on contribue à leur inefficacité, et qu’on ne bouge pas le petit doigt pour mettre la pression. Ailleurs, le Conseil de Sécurité a pris l’initiative de sanctions ciblées pour mettre un coup d’arrêt au trafic de ressources minières et forestières qui renforçaient des régimes indélicats (Libéria, Sierra Leone, etc).

On a souvent raillé le comportement fantasque des leaders des quatre mouvances. Mais sans doute, dans la distribution de bonnets d’ânes, la communauté internationale ne serait pas en reste.

* Ndimby A. a publié ce texte dans Madagascar-Tribune.com du 25 juillet 2011

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