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Février 2011 verra affluer vers Dakar les représentants des mouvements sociaux d’Afrique et du reste du monde. C’est la deuxième fois, après le Kenya en 2007, que l’Afrique va ainsi accueillir cet événement qui est cadre de réflexion, de partage et d’action pour un l’émergence d’un «autre monde». Pour Boubacar Diop, le Sénégal a les atouts historiques, politiques, culturelles, sociales qu’il faut, comme pays de convergence, pour accueillir un tel mouvement.

Le Sénégal, point de ralliement des mouvements sociaux d’Afrique et du monde en 2011, fait partie des pays qui servent de trait d’union entre le versant septentrional sahélien, désertique et le versant tropical et humide du continent africain. Il constitue la pointe la plus avancée du continent africain vers l’Océan Atlantique. Cette position géostratégique fait que les explorateurs de l’Antiquité, ceux du Moyen Age et ceux des temps modernes n’ont pas manqué d’évoquer cette escale ou ce Finistère africain. Dans la mythographie antique, elle occupe une place dans la Corne du Couchant en Afrique de l’Ouest, à l’opposé de l’Ethiopie, de la Somalie ou de Djibouti qui sont dans la Corne du levant. Il s’y ajoute que l’Ile de Gorée constitue une des mémoires les plus vivantes de la douloureuse expérience de la traite négrière. Le grand historien Abdoulaye Ly a su montrer la place du Sénégal dans le hideux commerce triangulaire esclavagiste au début des temps modernes.

Mondialisation hideuse

Le Sénégal est donc un focus géographique et historique : c’est une Afrique en miniature. Il offre au nord et au centre un paysage sahélien, sémi désertique, une plaine d’une altitude rarement supérieure à 100 m avec toutefois quelques élévations sur la côte ouest (Mamelles de Dakar, 105 m), au Centre (Plateau de Thiès, 128 m), au Sud-Est (Collines de Kédougou, 581 m). Le climat est varié du fait de l’action contrastée des vents saisonniers : la mousson du sud ouest, l’alizé du nord ouest, l’harmattan du nord-est. Les températures sont douces sur la bordure atlantique, élevées à l’intérieur des terres.

Le Sénégal c’est l’Afrique des fleuves, des bras de mer, (Sénégal, Gambie, Casamance, Sine-Saloum). C’est l’Afrique des lacs (Guiers, Lac Rose), c’est l’Afrique des parcs d’animaux sauvages (Parc de Niokolokoba), il abrite une zone d’hibernation des oiseaux venant de l’Europe et de l’Amérique (parc de Djoudj). C’est aussi la côte atlantique rocheuse et découpée (Cap-Vert), sablonneuse (de Saint-Louis à Dakar, de Dakar à la pointe de Sangomar) puis marécageuse (jusqu’au Cap Roxo). Il est véritablement un miroir africain par les souvenirs qu’il déclenche : le pays est évoqué dans les débats sur les voyages antiques d’Hannon le Carthaginois, d’Euthymène de Marseille, de Polybe le gréco-romain. Le site de Saint-Louis du Sénégal, lieu du duel millénaire entre le fleuve et la mer est en repérage depuis très longtemps.

Le fleuve Sénégal dans la mythologie antique est une des apparitions du Nil souterrain, du Niger maghrébin, saharien, sahélien ; le Tekruur, le Jolof ont fait partie des grands empires médiévaux (Ghana, Mali). Il a participé à l’expansion almoravide, arabo-musulmane en Espagne. Nous sommes dans une zone de convoitise, voire d’affrontements intenses entre les colons européens (Portugais, Hollandais, Anglais, Français) du XVe au XIXe siècle de notre ère. Gorée est miroir de l’humain. Une partie du pays a fait partie du Gaabu (une tentative de renaissance du Ghana et du Mali anciens).

Le Sénégal c’est aussi l’expérience de royaumes dissidents : Tekruur, Jolof, Siin, Saalum, Kajoor, Bawol. C’est l’affirmation, la coexistence, l’affrontement parfois entre formations sociales iréniques pacifiques et agonistiques, guerrières, des sociétés acéphales horizontales (Casamance) et de républiques précoces (le pays lébu), d’anachorètes musulmans (phénomène njaambur – njaambur), d’enclaves ou d’oasis musulmanes, chrétiennes ou syncrétiques. Le pays est cité en exemple comme foyer de dialogue islamo-chrétien..

Aujourd’hui, il partage le même héritage historique avec les pays limitrophes (Mauritanie, Mali, Guiné-Bissau, Guinée Conakry) et avec l’enclave gambienne : certaines langues sénégalaises sont parlées sur une très grande partie de l’Ouest africain (pulaar, mandika, soninké), d’autres sont partagées avec les voisins (wolof, sereer, créole portugais, hasanya-arabe). Le Sénégal c’est l’Afrique poreuse à tous les souffles (ainsi s’exprimait le poète Léopold Sédar Sanghor) et jalouse de son identité et de son panafricanisme. Albouri NDIAYE, roi du Jolof à terminé son combat contre le colonialisme français au Niger.

Le Sénégal, c’est une Afrique qui a tenté l’assimilation (Blaise Diagne fut le premier député négro africain à l’Assemblé Nationale française), c’est une Afrique qui a participé aux grands rassemblements émancipateurs du début du siècle dernier (Lamine Senghor fut présent à la Conférence anti-impérialiste de Bruxelles de 1927 à côté du Vietnamien Hocchi Min et a été un farouche adversaire de Blaise Diagne, son compatriote).

Le Sénégal fut au cœur de la lutte émancipatrice des cheminots du Dakar-Niger en 1947. C’est un pays qui a fait l’expérience d’alternance démocratique pendant la période coloniale et postcoloniale. Une des spécificités sénégalaises c’est donc l’intensité des controverses, c’est la précocité et la multifonctionnalité de ses productions artistiques attestées par des fouilles archéologiques (amas coquilliers, mégalithes). Ce sont aussi ses productions littéraires en français, en arabe et en langues nationales sénégalaises avec des caractères arabes ou latins, c’est aussi sa production théâtrale, cinématographique et musicale. Les peintres Papa Ibra Tall, Kalidou Kassé, Jacob Yacouba, Viye Diba, les sculpteurs Ousmane Sow, Ababacar Sedikh Traoré, Vieux Dimé, l’architecte Pierre Goudiaby Atepa, sont des références. Le pays a été initiateur du premier Festival Mondial des Arts Nègres (1966) et a œuvré pour d’autres éditions.

Cheikh Moussa Camara, Cheikh Ahmadou Bamba, Elhadj Malick Sy etc. ont apporté une grande contribution à la production en langue arabe ; concernant la production en français et dans certains cas en langues nationales, Cheikh Anta Diop (théoricien de l’Egypte nègre et du fédéralisme africain), Léopold Sédar Senghor (chantre de la négritude et de la francophonie), Birago Diop (conteur), Ousmane Socé Diop (romancier), Cheikh Alioune Ndao (dramaturge, romancier), Cheikh Hamidou Kane (romancier), Boubacar Boris Diop (romancier, dramaturge), Mariama Ba (romancière), Aminata Sow Fall (romancière), etc., sont des références. C’est le pays des femmes de Nder, exemplaires dans la lutte anti esclavagiste, c’est les pays d’Alin Sitooy Jaata, la reine charismatique exemplaire dans la sérénité contre le colonialisme.

Sur le plan cinématographique, c’est le pays de Sembène Ousmane et de Djibril Diop Mambéty deux figures, deux styles, deux générations de cinéastes africains. Le même contraste est apprécié concernant la production musicale qui offre des styles contrastés : Youssou Ndour, Baaba Maal, Ismaïla Lo, Wasis Diop, Coumba Gawlo Seck, le Xalam II, Doudou Ndiaye Rose, Didier Awadi etc.

Des musées, bibliothèques, instituts d’universités, une presse dynamique, des revues spécialisées classent, conservent et vivifient ce riche patrimoine. Cet Art, cette culture sont dans les marchés, les rues, les stades. Ils se déploient lors des compétitions sportives, et festivités traditionnelles).

La renaissance africaine

Le Sénégal est un pays qui se construit, qui se cherche. Sera-t-il la Grèce Noire dont rêvait le poète Senghor, la Suisse ou le Taïwan dont rêvent certains émules des dragons asiatiques, le Cuba africain ou le Sénégal que ses habitants veulent ?

Le pays est dirigé actuellement par Maître Abdoulaye Wade, un des initiateurs du Nouveau Partenariat Pour le Développement de l’Afrique (NEPAD). Son avenir dépendra-t-il de l’investissement intellectuel, artistique, du label démocratique, de l’articulation Art-culture et économie ? L’avenir le dira. Il a quelque chose à offrir au monde, à l’Afrique, il a beaucoup à apprendre de l’Afrique et du monde.

Les mouvements sociaux sénégalais sont mobilisés dans la lutte pour un nouvel ordre mondial sur le plan politique, économique et culturel, contre la corruption, pour l’autosuffisance alimentaire l’émancipation des mouvements de travailleurs, de femmes, de jeunes, de migrants. Ils vont tirer profit de l’expérience des éditions du Forum Social Mondial, Ouest africain, Sénégalais depuis 2001. Ils sont à l’écoute des mouvements sociaux d’Afrique et du monde et sont solidaires pour lutter contre les discriminations, les préjugés, les occupations de terre, les guerres. Dakar doit être le ralliement de ceux et celles qui veulent célébrer les funérailles d’un monde de brutalités et d’injustice et de ceux qui veulent astiquer le berceau de l’humanité, la terre mère Afrique.

* Boubacar Diop «Buuba», Professeur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, est membre du Conseil du Forum Social Africain, des Forums Sociaux ouest africain et sénégalais, ainsi que du Comité de pilotage du FSM 2011

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