Démocratie et développement

Au risque de choquer, je suis de ceux qui se passeraient de démocratie si au moins il y avait progrès et justice. Progrès dans le sens d’une amélioration progressive de tous les aspects de la vie publique : infrastructures, éducation, environnement, donnant espoir d’un monde meilleur pour les générations à venir. Justice dans le sens d’une meilleure égalité : des chances, devant l’administration et devant la loi, et surtout qu’il n’y ait pas abus, enrichissement sans cause, corruption généralisée, clientélisme et du reste.

Article Image Caption | Source
A B

Au risque de surprendre, je suis moins démocrate que légaliste, car Etat autoritaire ou démocrate : gouverner c’est édicter - faire la loi, réglementer la vie, et punir tout contrevenant. Tout est après, entre démocratie et dictature, question de nuance et de degré.

Deux grands ouvrages viennent d’être publiés en 2011 sur les « modernisateurs » de la Corée du Sud (Park Chung Hee) et de la Chine (Deng Xiaoping). Ce n’étaient surtout pas des démocrates. Mais sur une vingtaine d’années au pouvoir, ils ont emmené leurs pays respectifs d’un état de pauvreté sans doute similaire au nôtre vers l’ère moderne (avec tout ce que cela implique aussi, surtout en Chine). Tous deux l’ont fait par la loi et par la politique petit « p » (policy).

Park Chung Hee est mort assassiné en 1978 et Deng Xiaoping en 1997. Ce n’est que maintenant, à l’aide d’un travail méticuleux de chercheurs respectivement coréens et chinois, que ces ouvrages d’analyse sortent. Parce que, semblerait-il, les gens veulent comprendre le « secret du succès » et, il faut le dire, s’il y a alternative fiable et imitable au modèle occidental.

Dans les deux cas, une chose est certaine. Le pouvoir s’est reposé sur une bureaucratie forte. La Corée du Sud, colonisée par le Japon, était dotée d’une bureaucratie fière, professionnelle et compétente, d’une part, et d’un secteur privé nationaliste et performant, d’autre part. Les épargnes importantes et « forcées » par l’Etat (comme nos 13% de cotisations CNAPS) ont été acheminées vers l’industrialisation « forcée » de la Corée, et le secteur privé en a fait bon usage (en général) : Hyundai, Kia, Samsung viennent dominer aujourd’hui les marchés mondiaux, même à Madagascar… ce sont leurs grands-pères que Park a « utilisés » pour son programme tenace, implacable, nationaliste et fier de modernisation.

L’ouvrage sur Park consacre un chapitre à la comparaison avec un dictateur de même âge, de la même ère et dans le voisinage : Ferdinand Marcos des Philippines. Le chapitre conclut que Park aurait échoué en Philippines, la bureaucratie technocratique n’y existait pas, mais aussi que le parcours culturel et historique y était différent. Les Philippines avaient une longue tradition de leaders kleptocrates, la politique était avant tout la bataille pour les richesses, le clientélisme dominait sur l’intérêt général, l’armée était destinée à défendre contre les insurrections internes (contrairement à la Corée du Sud, fixée sur le Nord et donc hyper-professionnalisée et moderne), la machine politique dispensait les faveurs, le régime était personnalisé, et la dictature y était même dite conjugale vu l’important rôle joué par son épouse Imelda. Nous qui nous ventons d’être asiatiques n’avons peut-être pas choisi les bons cousins pour le parallélisme.

Deng Xiaoping avait, lui, décidé de changer les formules de taxation des producteurs ruraux, en fixant un plafond au-delà duquel la récolte n’est plus taxée, laissant le reste au paysan et donnant ainsi des incitations pour produire plus et mieux encore. Mais sans la bureaucratie immense du Parti Communiste et l’efficacité et charisme de Deng à la tête de cette dernière, ce type de réforme pragmatique n’aurait jamais fait ses preuves.

Chez nous, les élections viendront tout ou tard. La tendance à confondre élections avec démocratie se perpétuera. Post-crise, la nouvelle vague sera la gouvernance. Certes, dans une démocratie encore fort imparfaite et pour améliorer la qualité des élus, une insistance sur la gouvernance donnera aux citoyens un moyen pour faire pression. Mais comment allons-nous faire pour la modernisation ? A en croire l’histoire, il faut au moins 20 ans, avec sacrifice, travail, chance et leadership pour y arriver. Mais avant tout, il faut la machine administrative, le professionnalisme et les institutions fortes pour promouvoir les objectifs de développement. Pour Park Chung Hee et Deng Xiaoping, il s’agissait de galvaniser les talents/ressources privés vers des objectifs publics, en ayant une relation symbiotique avec le secteur privé et en construisant des institutions étatiques fortes et performantes. Démocratie viendra après….

CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS



* Sahondra Rabenarivo 
est est juriste


** Ne vous faites pas seulement offrir Pambazuka ! Devenez un Ami de Pambazuka et faites un don MAINTENANT pour aider à maintenir Pambazuka LIBRE et INDEPENDANT ! 
http://www.pambazuka.org/fr/friends.php



*** Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur le site de Pambazuka News

NOTES
1) The Park Chung Hee Era, The Transformation of South Korea, edited by Byung-Kook Kim and Ezra F. Vogel, Harvard University Press, 2011.
2) Deng Xiaoping and the Modernisation of China, Ezra F. Vogel, Harvard University Press, 2011.