Criminaliser l’homosexualité: une atteinte des Droits de l’Homme
Si le projet de loi anti-homosexuel est adopté en Ouganda, les conséquences pour les lesbiennes et les homosexuels (LH), et pour tout un chacun dans toute l’Afrique, seront difficiles, écrit Sokari Ekine. «Totalement inhumain», le projet de loi, violerait tous les traités et les législations de l’Union africaine ayant trait au Droit de l’Homme, ainsi que les conventions internationales, que l’Ouganda a ratifié, ajoute-t-il. Il note encore que si ce texte est adopté, il y a de grands risques de voir un certain nombre de pays africains criminaliser eux aussi les relations entre personnes du même sexe. A travers cette critique d’un nouveau livre intitulé «Urgency required : gay and lesbian rights are Human Rights » (Urgency requise : les droits des gays et des lesbiennes sont des droits de l’homme), Ekine soulève la question de savoir s’il peut contribuer à empêcher cette législation qui menace de faire des homosexuels des être’’ illégaux’’ plutôt que des êtres humains ?
L’urgence est requise, au moment où le projet de loi anti-homosexualité doit être examiné par le Parlement ougandais. Des relations entre personnes du même sexe sont déjà illégales dans ce pays, en référence aux sections 140, 141 et 143 des textes qui prévoit des sentences allant de cinq ans à la prison à vie. Ces lois sont basées sur le Code pénal colonial britannique et ne spécifient pas expressément les relations entre les femmes. Il n’empêche que les lesbiennes sont stigmatisées de façon similaire et doivent faire face à la même manifestation et aux mêmes agressions de la part de la société et de l’Etat ougandais. Par ailleurs, le projet de loi anti-homosexualité élargit la définition ‘’d’actes homosexuels’’ et prévoit la peine de mort pour des infractions répétées à l’encontre des séropositifs et pour des relations avec une personne de même sexe âgée de moins de 18 ans.
Similaire au projet de loi sur les mariages entre personne du même sexe au Nigeria, actuellement en préparation, ce texte étend la criminalisation à toute personne qui témoigne pour des personnes impliquées dans des relations entre gens de même sexe, s’associe à eux ou les soutien. Les militants de Droits de l’Homme et les organisations travaillant dans le domaine de la sexualité et du VIH/sida sont dans une situation risquée puisqu’ils tombent eux aussi sous le coup de la loi.
Face à une loi qui institutionnalise la discrimination à l’encontre des lesbiennes et des homosexuels, ceux-ci n’auront aucun recours, ni moral ni légal, s’ils ont attaqués physiquement, violés ou discriminés. Ils ne seront plus des êtres humains mais des illégaux. Les femmes seront plus vulnérables aux attaques de violeurs, ceux-ci pouvant ensuite accuser la femme d’être lesbienne et donc de mériter d’être violée. Dans une société où il est déjà difficile de parler ouvertement du viol, le risque de se voir accusée d’être lesbienne - un être illégal - avec à la clé une sentence de 5 ans de prison, sera une dissuasion additionnelle. Même toucher quelqu’un d’une «façon» homosexuelle est punissable.
En bref, le projet de loi est inhumain et viole les traités et législations de l’Union africaine, ainsi que les conventions internationales sur les Droits de l’Homme que l’Ouganda a signées et ratifiées. Les conséquences horribles pour les LH et pour les droits de chacun en Afrique ne peuvent pas être sous-estimées. En ce moment même, trois hommes homosexuels ont été arrêtés au Malawi et une foule a récemment attaqué une réception de mariage homosexuel au Kenya. Pendant ce temps ,en Ouganda, le comportement et le langage méprisable de Pastor S. a atteint de nouveaux sommets homophobes lorsqu’il a pris la tête d’une manifestation anti-homosexuels, avec des manifestants qui portaient des banderoles disant «Kill gays» (tuez les homosexuels).
La situation est telle que si cette loi devait être adoptée, avec ou sans sentence de mort, il y a des risques pour qu’un certain nombre de pays africains qui criminalisent les relations entre personnes du même sexe, tentent de copier la loi ougandaise.
«Urgency required : gay and lesbian rights are human rights» (Urgency requise : les droits des gays et des lesbiennes sont des droits de l’homme) est un projet admirable et opportun. Dans ce livre, les auteurs s’adonnent à une exploration exhaustive de la situation des droits de LH dans le monde entier. Le livre se base sur les Principes de Yogyarkarta (1) de 2006, avec les prémisses qui affirment que les droits des lesbiennes et des homosexuels sont des Droits Humains.
Le livre est divisé en trois sections :
- une perspective historique et l’exploration des concepts et terminologies ayant trait à l’intimité entre des personnes de même sexe et les transsexuels ;
- une discussion sur la lutte pour les droits des lesbiennes et des homosexuels en Afrique, en Asie et en Amérique latine ;
- et une section qui explore la gamme de stratégies qui font progresser les droits et l’égalité des homosexuels et des lesbiennes.
Le livre commence avec une série d’essais retraçant les racines historiques de l’homosexualité et de l’homophobie en Europe, allant du changement d’attitude qui va de la pathologisation pitoyable des homosexuels et des lesbiennes, les décrivant comme des ‘’ malades ou pervertis’’, des personnes qui ont perdu tout contrôle de leur corps, jusqu’à ce que la décriminalisation soit obtenue, à défaut de la complète acceptation par la société.
La discussion soulève nombre de points intéressants du débat ayant trait à l’homosexualité et à l’homophobie insidieuse qui a cours dans de nombreux pays africains. Le premier concerne le langage et l’expression. Jusqu’au milieu des années 1990, le mot ‘’homosexuel’’ existait à peine et le terme ‘’d’homophobie’’ est apparu au milieu des années 1960. C’est au moment où les homosexuels ont commencé à s’affirmer et à augmenter leur visibilité que nous observons l’arrivée sur scène des institutions religieuses et de psychologie.
Le deuxième point porte sur la lutte pour les droits des homosexuels, par exemple au Pays-Bas où la lutte opposait, d’une part, ceux qui prônaient la sécularisation au détriment des institutions religieuses et leur morale et, d’autre part, la criminalisation par l’Etat avec des lois qui prévoyaient la castration pour des actes homosexuels et les viols, et ce, jusqu’en 1938. Deux des chapitres des plus intéressants sont de la main de Rob Tielman, dans lesquels il compare l’homosexualité dans l’islam, le christianisme et dans l’humanisme dans le contexte néerlandais à celui écrit par Robert Davidson qui recourt à une analyse ‘’fanoniste’’ pour examiner les politiques identitaires.
L’essai de Tielman m’a frappé lorsqu’il parle du débat autour de ‘’l’impérialisme homosexuel’’ qui utilise la différence comme un ‘’symbole de liberté’’ et une façon de rationaliser des politiques d’immigrations racistes et restrictives dans les nations occidentales ou libérales’’. (2) Il identifie huit paradoxes lorsqu’il examine les contradictions entre la libération des homosexuels et la libération islamique.
Je suis d’accord avec la plupart de ces observations ou paradoxes, comme celui qui consiste à dire qu’on ne connaît pas d’homosexuels simplement parce que ceux-ci ne sont pas reconnus comme tel. Ou que l’hostilité à l’égard des LH dans certains pays peut être attribuée au langage et aux expressions. Par exemple, le mot ‘’homosexuel’’ ou ‘’lesbienne’’ n’existe pas dans de nombreuses cultures et langues. Ce qui ne signifie pas que les relations entre personnes du même sexe n’existaient pas. Cela signifie seulement que leur dénomination n’a pas été associée avec la culture occidentale et l’impérialisme.
Tielman évite de justesse de tomber dans le piège de ’’l’impérialisme gay’’ en n’associant pas l’islam et des traditions culturelles, et plus encore en montrant que certaines de ces traditions culturelles pourraient avoir des origines coloniales occidentales. Mais plus loin, il explique que les jeunes immigrants musulmans sont agressivement homophobes lorsque confrontés à l’homosexualité déclarée, différente de l’homosexualité feutrée des pays musulmans. (…)
La première section du chapitre de Davidson, intitulée ’’Homosexualiser la politique, désexualiser l’esprit’’ est de loin la plus provoquante. Il présente de façon convaincante l’argument qui veut qu’appliquer la théorie homosexuelle est une alternative à l’identité conventionnelle. Se fondant sur la théorie de Fanon, ‘’décoloniser l’esprit’’, comme un moyen de déconstruire l’identité en matière de sexualité - ce qu’il désigne sous le terme de ‘’désexualiser l’esprit’’-, il s’éloigne de la logique binaire qui a servi de cadre à la lutte des LH pour leurs droits. En d’autres termes, plutôt que de poursuivre une politique d’imitation dont les objectifs sont que l’Autre - les lesbiennes et les homosexuels - vivent selon les valeurs de l’Un - les hétérosexuels-, le but devrait être d’embrasser la différence et de rejeter l’assimilation.
Comme le colonialisme a fonctionné en imposant sa logique aux colonisés, de même la structure sexuelle dominante impose sa propre rationalité sexuelle. Ce qui inclut par exemple le rejet du mariage entre personnes du même sexe et des catégorisations comme les LH qui nous enferment et nous contrôlent, en impliquant que la sexualité est non seulement immuable mais aussi que le désir sexuel doit être spécifiquement catégorisé. Ces catégories confondent l’activité sexuelle et sont souvent dépourvues de réalité dans la vie des gens.
Dans la deuxième partie de ‘’Urgency required’’ les auteurs présentent des analyses régionales, usant d’un mélange de documentaires détaillés des mouvements de LH et de leurs luttes, des histoires personnelles et des critiques de textes. Encore une fois, la couverture est exhaustive. De surcroît, en considérant les droits des LH dans un contexte global incluant l’Europe et l’Amérique du Nord, aussi bien que des régions spécifiques, ils peuvent souligner les zones de luttes communes, comme la discrimination et les attitudes sociales qui ont un impact négatif sur les LH. Ceci est important, parce qu’il évite les tendances de la presse internationale qui tend à diaboliser certains pays et régions particuliers et à les singulariser comme étant les seuls à être homophobes. La distinction entre pays et régions se fonde sur le degré d’homophobie et sur la criminalisation - ou non- de l’homosexualité.
La section finale de ‘’Urgency required’’ se concentre sur les stratégies de la libération des homosexuels et les travaux de Hivos pour soutenir et faciliter les luttes. Bien que les chapitres soient écrits par du personnel n’appartenant pas à Hivos, les essais ne sont pas critiques et se concentrent sur l’éducation au travers de ‘’Gay games’’ et ‘’ Outgames’’. D’un point de vue africain, il aurait été utile d’explorer les politiques de Hivos en faveur des militants homosexuels sur le continent et certains des résultats découlant d’une plus grande visibilité grâce aux ‘’Gay et Outgame’’ Il est aussi requis d’examiner plus attentivement les stratégies locales mises en œuvre par les militants sur tout le continent, ainsi que par l’inclusion de plus de voix locales plutôt qu’européennes.
Une critique majeure concerne l’introduction qui, bien qu’elle comporte une section ‘’terminologie’’, omet une catégorie rendant celle-ci ainsi doublement invisible. Ceci est encore renforcé par le titre qui ne fait référence qu’aux droits des homosexuels et des lesbiennes. Ceci souligne la nécessité dans laquelle nous nous trouvons d’être plus critique à l’égard du langage et d’être attentif au fait qu’il y a des mots et des terminologies qui excluent.
* Urgency Required: Gay and Lesbian Rights Are Human Rights' est assemblé par Ireen Dubel et Andre Hielkema, publié par Hivos. Le livre peut être commandé chez Hivos pour €15.00 ou il peut être télécharger.
* Sokari Ekine blogs at Black Looks
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