Cote d’Ivoire : Il est temps d’agir pour 2015 !
Les réformes électorales en Côte d’Ivoire doivent être conduites de manière participative afin de garantir que les résultats des élections sont acceptés de tous. Ceci est d’autant plus important que, cette fois-ci, il n’y aura pas de mécanisme extérieur de certification des résultats des élections pour départager les protagonistes en cas de désaccords sérieux sur la gestion des élections.
".. Nous sommes déterminés à ce qu’elles [les élections de 2015] soient transparentes et totalement démocratiques…", affirmait le président Ouattara, fin mars 2014, à Abidjan. Cependant, pour qu’il en soit ainsi, il est urgent qu’un certain nombre de questions/difficultés essentielles pour la bonne gestion des élections soient résolues, et ceci, dans les meilleurs délais. Ces difficultés, pour l’essentiel, existent depuis la présidentielle de 2010 et sont connues de tous. Il s’agit, entre autres, de la restructuration de la Commission électorale indépendante (Cei), de l’actualisation de la liste électorale, du découpage territorial, de l’adoption d’un cadre juridique des élections cohérent.
Doudou Diène, Expert indépendant des Nations Unies en matière de Droits de l’homme, le rappelait ainsi lors de son passage en Côte d’Ivoire en février 2014 : "Alors que l’échéance électorale de 2015 approche, plusieurs questions liées… à l’organisation des élections ne sont toujours pas résolues". Le secrétaire général des Nations Unies en a fait de même dans ses différents rapports sur la Côte d’Ivoire dès 2012. Dans la plupart de ces rapports, il a insisté sur le fait qu’il "…importe de mener les réformes électorales nécessaires, pour faire en sorte que ces élections [présidentielle de 2015] soient libres, équitables… [que] la réforme de la Commission électorale indépendante et celle de la liste électorale [doivent se faire] avant les prochaines élections nationales (en 2015)… ". (1)
DES PROBLEMES A RESOUDRE
La Cei et la liste électorale sont deux sources inévitables de contestations – déjà dès avant les élections qu’il faudrait conjurer sans délai. En effet, la composition de la Cei, en attendant l’aboutissement de la réforme récemment initiée par le gouvernement, reflète la configuration politique telle que précisée dans l’Accord de Pretoria d’avril 2005. Selon l’article 9 dudit Accord, les Forces nouvelles – entités aujourd’hui dissoutes – ainsi que les partis signataires de l’Accord de Linas-Marcoussis sont représentés au sein de la Cei. Le même article 9 stipule que "…le mandat des membres de la commission centrale prend fin à l’issue des élections générales" qui sont déjà organisées. En d’autres termes, cette Commission, qui n’avait plus en réalité une base légale, doit, pour le moins, être restructurée.
La liste électorale qui, pour des raisons techniques et budgétaires, n’a pas changé depuis la présidentielle de 2010, alors que le Code électoral prévoit une révision annuelle, nécessite également une attention particulière. Il faut, en effet, corriger les faiblesses héritées du processus d’enrôlement de 2008-2009, inclure les citoyens qui ont atteint la majorité depuis lors et prendre en compte les anciens déplacés et/ou réfugiés qui, parce que rentrés chez eux, ne voteront plus à l’étranger. Il faut également, et peut être surtout, gérer la question délicate car susceptible de raviver des blessures du passé, de la prise en compte des nouveaux électeurs qui, en vertu de la récente loi no 2013-653 (2) sur la nationalité, auront acquis la nationalité ivoirienne avant les élections de 2015.
Cela pourrait exiger qu’une décision soit prise à temps pour aménager une période de révision exceptionnelle des listes, en dehors de la révision ordinaire.
Au-delà de la liste électorale et de la composition de la Cei, d’autres sources importantes de contestations mériteraient d’être prises au sérieux. Ainsi est-il nécessaire de revoir le cadre juridique des élections qui est, pour l’instant, un assemblage de textes légaux, d’accords politiques et de décisions conjoncturelles. Cette révision devrait offrir l’occasion, au vu des leçons tirées de la crise postélectorale de 2010, de revoir et/ou de clarifier les dispositions de la Constitution et du Code électoral relatives aux compétences de la Cei et du Conseil constitutionnel en ce qui concerne la gestion du contentieux électoral et la proclamation des résultats. L’on devrait aussi s’assurer, entre autres, que la révision du cadre juridique renforce l’indépendance de la Cei et des mécanismes de prévention de la fraude électorale, garantit un découpage électoral équitable, etc.
Ces défis, qui en temps normal sont difficiles à résoudre comme en témoignent de nombreux exemples dans la sous-région, sont, dans le cas de la Côte d’Ivoire, rendus plus complexes par un facteur majeur. Le plus grand parti de l’opposition, le Fpi, qui a obtenu 38% et 46% aux 1e et 2e tours de la présidentielle de 2010, (3) n’est représenté dans aucune des institutions de l’Etat. Comment associer les partis de l’opposition aux réformes électorales indispensables de façon à les faire adhérer et participer au processus électoral de 2015 ? C’est la question préalable à laquelle les ivoiriens doivent trouver une réponse. Et le plus tôt sera le mieux !
Les réformes électorales en Côte d’Ivoire doivent être conduites de manière participative afin de garantir que les résultats des élections sont acceptés de tous. Ceci est d’autant plus important que, cette fois-ci, il n’y aura pas de mécanisme extérieur de certification des résultats des élections pour départager les protagonistes en cas de désaccords sérieux sur la gestion des élections. Les ivoiriens devraient s’assurer – par les réformes électorales de même que par la gestion du processus électoral – que les élections apparaissent crédibles aux yeux du plus grand nombre et que ses résultats sont acceptés.
LA RESPONSABILITE DES ACTEURS CLES
La Coalition au pouvoir, parce qu’elle dispose de beaucoup plus de cartes pour relever les défis ci-dessus évoqués, doit prendre mieux conscience de son rôle et de ses responsabilités. Elle doit, par conséquent, se préparer à faire des concessions à l’opposition, par exemple en lui aménageant suffisamment de places dans les organes impliqués dans la gestion des élections (4) (à commencer par la Cei. Elle doit également garantir aux autres corps démocratiques – société civile, médias, etc. – l’espace d’expression nécessaire pour qu’ils contribuent à la qualité du processus électoral et de la démocratie ivoirienne. Son seul objectif doit être une réforme électorale aussi participative que possible et un processus électoral aussi inclusif et crédible que possible.
L’opposition, en ce qui la concerne, pour sa propre survie, sa crédibilité et pour la stabilité et la paix de la Côte d’Ivoire, devra être résolument constructive en évitant des revendications extrêmes de type « Tout ou rien ». Elle doit faire attention à ne pas conditionner sa participation au processus électoral à la satisfaction de demandes qui ne sont pas urgentes et/ou dont la satisfaction sera sans effet sur la qualité du processus. Elle devrait prioriser les demandes/réformes – par exemple relatives au code électoral, à la clarification de certaines dispositions (comme celles sur les critères d’éligibilité), à la Cei, à la révision sécurisée de la liste électorale, etc. – qui aideraient à rendre le processus participatif et inclusif et qui garantiraient la transparence et la crédibilité des élections. Il serait hypothétique, ne serait-ce qu’en consultant l’histoire politique récente de l’Afrique de l’Ouest et du continent, qu’elle puisse survivre en optant pour la politique de la chaise vide avec pour résultat son absence totale de toutes les Institutions et autres organes-clés de la République.
En d’autres termes, les deux parties, étant donné le temps limité d’ici aux élections de 2015 et les risques liés à cette échéance, devront se préparer à des compromis qui garantissent les chances de stabilité et de consolidation de la nouvelle démocratie ivoirienne. Il s’agit pour les différents protagonistes de mettre réellement la Côte d’Ivoire au-dessus de la politique et de tout le reste.
La société civile, étant donné la lenteur du dialogue politique et, surtout, l’absence de mécanisme extérieur de certification des résultats des élections comme ce fut le cas en 2010, doit s’attendre à aller au-delà de son rôle classique. Ainsi, elle peut faire des propositions réalistes sur la restructuration de la Cei ainsi que sur les amendements nécessaires pour une législation électorale plus cohérente. Elle devrait pouvoir sensibiliser les citoyens pour leur participation aux élections (y compris à l’actualisation pacifique de la liste électorale) et surveiller les étapes clés du processus électoral, etc. Mais pour ce faire, il incombe à la société civile de se donner les moyens d’aider la Côte d’ivoire à traverser les périodes potentiellement difficiles qui s’annoncent, notamment en termes d’efficacité organisationnelle, de crédibilité, d’approches novatrices et concertées, de synergies, de compétences etc.
Les acteurs extérieurs – organisations régionales, continentales et internationales – doivent aider le processus de dialogue en cours en Côte d’Ivoire, par exemple, à travers une médiation crédible. Mais dans la recherche de solutions, il faudrait tenir compte de ce que tous les défis majeurs du pays ne peuvent pas être résolus avant la présidentielle de 2015. Il serait peut-être inévitable de conclure un Accord en deux parties : une partie à mettre en œuvre avant la présidentielle de 2015 et l’autre après. Les partenaires au développement doivent aider la société civile à se mettre en synergie selon ses compétences et à disposer des moyens nécessaires pour mener des initiatives de sensibilisation (sur les exigences et les implications de l’application de la nouvelle loi sur la nationalité), d’alerte précoce, de médiation, d’observation à long terme, etc.
C’est de tout cela que pourrait dépendre la consolidation de la paix et de la stabilité à long terme en Côte d’Ivoire, et aussi, faut-il le répéter, de la volonté personnelle de chaque ivoirienne et de chaque ivoirien de choisir en toutes circonstances, y compris face à ses intérêts personnels, la Côte d’Ivoire d’abord.
NOTES
1) Il s’agit des rapports du 28 mars 2013 (S/2013/197), du 6 juin 2013 (S/2013/377) et du 24 décembre 2013 (S/2013/761) respectivement.
2) Loi no 2013-653 du 13 Septembre 2013 portant dispositions particulières en matière d’acquisition de la nationalité par déclaration
3) Voir site de la CEI (www.cei.org).
4) Des exemples existent dans la sous-région et même en Côte d’Ivoire.
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** Mathias Hounkpe est Administrateur du Programme de Gouvernance Politique à Osiwa ; Ibrahima Niang est Coordinateur d'Osiwa en Guinée
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