Ci-git la solidarité humaine

L’Europe s’émeut des actes commis par des criminels qu’elle qualifie d’«islamistes» et qui collent aux musulmans comme la crotte de chien colle aux semelles du promeneur, mais elle oublie que les réfugiés Syriens ou Irakiens méritent aussi sa…

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AP Photo/Alexander Zemilianichenko

Faut-il qu’ils soient bien malheureux, désespérés, désemparés ?  Faut-il qu’ils soient déboussolés, qu’ils n’aient rien à perdre ou qu’ils n’attendent plus rien de la vie ? Faut-il qu’ils soient ignorants, mal informés  ou naïfs ? Faut-il qu’ils soient téméraires, casse-cou ou irresponsables, pour que ces hommes et femmes venus de Syrie, d’Irak, ou de plus loin encore, continuent  à se ruer sur les plages  des îles grecques, à frapper aux portes éparpillées d’une Europe qui n’est plus qu’un bunker gardé par une armada de gendarmes et de juges dont la seule mission est de les refouler ?

Peut-être ont-ils simplement perdu la raison, parce que la guerre tue jusqu’à la raison ! Parce que si des actes de guerre sont commis en France ou en Belgique, eux, la guerre, ils l’ont vécue, la guerre, la vraie, celle qui détruit les villes et les routes, brise les foyers, qui installe le désordre et rend les lendemains incertains…

L’Europe  se réjouit  de s’être débarrassée d’eux, mais  n’est-ce pas une victoire à la Pyrrhus et, surtout à quel prix elle a été acquise ? La vérité, c’est que, comme le dit un observateur lucide, par sa transaction politique avec la Turquie, l’Europe a, de bas en haut, «marché à pieds joints sur ses principes »… 

Au sommet de l’édifice il y a l’Union Européenne, forte de vingt-huit nations. Non contente de signer avec la Turquie un accord que beaucoup jugent illégal au regard du droit international, elle trahit ses engagements en renvoyant les migrants vers un pays qui n’est pas totalement partie prenante de la convention sur les réfugiés et elle ferme les yeux sur le sort de ceux qui parmi eux ne sont ni Syriens ni Irakiens. Comme au beau temps du Code Noir, elle traite en marchandises des hommes et des femmes qui, pour la plupart, représentent l’élite politique et sociale de leurs pays et les «  vend » à la Turquie pour 3 milliards d’euros !

Au palier suivant il y a les Etats, et les plus généreux ne sont pas ceux qui, il y a moins de trente ans, vivaient dans l’asservissement et sous des dictatures et rêvaient d’évasion. En Pologne,  dans le pays de Lech Walesa, le parti au pouvoir a propagé des propos mensongers sur la charia, poussé la mauvaise foi jusqu’à prétendre que les migrants étaient porteurs de maladies disparues en Europe et qu’ils avaient déjà gangrené les pays du nord de l’Europe qui leur avaient ouvert leurs portes.

La Pologne a sans doute oublié qu’en d’autres temps, pendant la Deuxième Guerre mondiale, des militants polonais avaient trouvé refuge jusqu’en Iran et qu’aujourd’hui un polonais sur dix est expatrié  à l’ouest de l’Europe. En Pologne, la patrie de Jean Paul II, la charité chrétienne est sélective : charité bien ordonnée commence par les Polonais d’Ukraine  et des voix ont suggéré que l’on « tue » carrément les migrants musulmans pour éviter le « retour des invasions turques » !

Descendons encore  d’un palier, allons sur le terrain, à la rencontre des citoyens. Nous sommes dans le XVIe arrondissement de Paris, dans l’amphithéâtre d’une université, au milieu de Parisiens qui sont parmi les plus privilégiés de la capitale française et les  mots volent bas. « Salope ! Brosse à caca ! », lancent des dames distinguées  à l’adresse de la sous-préfète  venue leur présenter un projet visant à installer, à la lisière du Bois de Boulogne, un campement d’urgence, modulaire, provisoire, pour deux cents sans-abris. Quant à l’architecte chargé d’en délivrer les caractéristiques, il s’est vu traiter de « clown » et surtout de « fauteur de trouble ». Ce qui est sans doute la pire injure dans ce quartier…

Les plus conciliants  avaient  fait preuve d’une incroyable mauvaise foi, expliquant que les migrants seraient bien malheureux dans un quartier où la baguette de pain coûte 1 euro, que les arbres pourraient les blesser en cas d’orage ou que le spectacle de la faune nocturne du Bois choquerait leurs enfants… 

Les étudiants, témoins involontaires de la scène, ont peut-être cru qu’il s’agissait d’un happening, d’un exercice thérapeutique par lequel la bonne bourgeoisie se défoulait  à bon compte.  

L’Europe  s’émeut à juste raison des actes commis par des criminels  sans foi ni loi, auxquels elle a donné le nom d’«islamistes » et qui collent aux musulmans comme la crotte de chien  colle aux semelles du promeneur, mais elle semble oublier  que les réfugiés qui viennent de Syrie ou d’Irak  méritent aussi sa compassion. Ils sont  eux aussi les victimes des mêmes assassins, ce sont des résistants qui représentaient  la partie la plus hostile à leur propagande, parce que la plus éveillée à la liberté et au progrès, et leur exil achève la ruine de leurs pays.

L’Union européenne (500 millions d’habitants, 2e puissance mondiale) a vu ses fondement ébranlés par l’afflux  d’un million de réfugiés politiques, comment peut-elle croire que la Turquie,  qui est un pays  en guerre, non respectueux des normes démocratiques européennes, pourrait en recevoir  le triple, de façon digne et durable ?

 

CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS



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** Fadel Dia est ancien secrétaire général de la Conférence des ministres de l'Éducation des pays ayant en partage le français – Ce texte a été publié dans Sud Quotidien.

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