Cette légitimité de nationaliste que Mugabe tire des sanctions internationales

Si Robert Mugabe conserve le pouvoir, ce n’est pas seulement grâce à une machinerie auto élective qui permet aux dictateurs de rester aux commandes quel que soit l’avis du peuple. C’est aussi par le fait qu’il a habilement utilisé les sanctions internationales prises à son encontre pour se bâtir une légitimité d’hyper nationaliste contre l’impérialisme occidental incarnée dans l’imaginaire populaire subsaharien par les anciennes puissances coloniales.

En effet, si, sur le plan international, l’unanimité est établie sur Mugabe une fois pour toute typifié comme un dictateur sans scrupules, dangereux et infréquentable, tel n’est le cas ni au Zimbabwe, ni en Afrique Noire. Ceci résulte du fait qu’en post colonies subsahariennes, autant la légitimité internationale des Chefs d’Etats est très souvent parrainée par les anciennes métropoles alors que les populations locales la contestent, autant la même légitimité internationale peut aussi tomber en discrédit auprès de la même population subsaharienne lorsque, à tort ou à raison, elle se convainc qu’un leader africain n’est plus soutenu par l’ancienne puissance coloniale parce qu’il est contre le néocolonialisme.

Aussi, la dualité de postures (pour ou contre Mugabe) qu’on observe au Zimbabwe en particulier, et en Afrique Noire en général, prouve que l’enfer c’est les autres comme le disait Jean Paul Sartre. En effet, en dehors de l’Africain politiquement neutre ou politiquement médian, le cas Mugabe divise les Subsahariens politiquement engagés. D’un côté, se dressent ceux qui épousent l’avis de la communauté internationale et qui font de Mugabe la réincarnation du diable (les anti Mugabe). De l’autre, s’érigent ceux pour qui Mugabe est un héro africain contre l’impérialisme occidental et le néocolonialisme inhérent (les pros Mugabe). Les pros Mugabe et les anti Mugabe réactualisent et incarnent ainsi les conflits idéologiques au sein d’un continent noir où certains Africains sont pour la continuité de la lutte anticoloniale quand d’autres estiment qu’il est plus que jamais temps de laisser tomber la victimisation pour emprunter le train démocratique et les règles de jeu qu’il implique dans l’acquisition, l’exercice et la transmission du pouvoir politique.

En conséquence, si le discrédit international qui frappe le président zimbabwéen a du sens pour les anti Mugabe, il est jugé nul et de nul intérêt pour les pros Mugabe qui pensent qu’il est une pure orchestration de l’Angleterre qui n’a jamais digéré la réforme foncière initiée par Mugabe au détriment de nombreux fermiers blancs, et au profit des populations noires autochtones et sans terres. En dehors de la lutte d’indépendance, cette réforme foncière est l’acte fondateur de la symbolique politique de Robert Mugabe. C’est elle qui permet la naissance d’une communauté de similitudes et d’une communauté de circonstances entre lui et plusieurs Africains toujours en « guerre silencieuse » contre les anciens colons et la communauté internationale qui, d’après eux, en constitue la reproduction systémique.

Donc, autant Mugabe se maintient au pouvoir par une machinerie auto élective au service de la perpétuation de son régime, autant les sanctions internationales lui permettent de se présenter à une partie d’Africains et de Zimbabwéens comme une victime de l’impérialisme occidental. Il s’ensuit inéluctablement que les sanctions internationales prises contre lui ne font que renforcer une légitimité locale d’anti-Occident, d’anti colons et d’anti impérialistes qui, à côté des contestations, lui vaut aussi des ovations dans de nombreux sommets où il est invité. D’où la question de savoir si les sanctions internationales sont toujours bien réfléchies et indiquées étant donné qu’elles entraînent, dans le cas d’espèce, non seulement une hypertrophie symbolique de Robert Mugabe comme figure anticoloniale, mais aussi une sanction des populations pauvres plus exposées à leurs effets que les dirigeants. Si les dirigeants peuvent très bien vivre avec les sanctions internationales, les populations qui les subissent de plein fouet peuvent se résigner et développer un comportement anti-politique qui laisse le champ libre à la dictature.

Remédier à ce genre d’effets contreproductifs des sanctions internationales en postcolonies subsahariennes semble impliquer au moins trois dispositions indispensables en amont des instances de décisions :

1 / Réfléchir sur l’impact des sanctions internationales sur le régime d’historicité de la postcolonie subsaharienne. C’est à dire sur un ensemble de faits subjectifs et objectifs à travers lesquels des groupes humains interprètent des faits en liant ainsi leur présent, leur passé et leur future. L’analyse du régime d’historicité subsaharien aurait permis à ceux qui prennent les sanctions internationales contre un régime postcolonial de remarquer que celles-ci allaient renforcer la proximité affective entre Mugabe et de nombreux Africains qui gardent une longue mémoire des méfaits l’Etat-colonial.

2/ Toujours privilégier le choix des peuples à celui des idéologies, des Etats, des institutions et des hommes qui les incarnent.

3/ Renoncer aux sanctions et laisser faire le temps en travaillant sur le long terme si l’analyse prouve que les souffrances sociales seront supérieures aux objectifs visés par les embargos.

Ne pas faire ce genre de réflexions préalables entraîne que le populisme nationaliste d’un dictateur puissent toujours trouver un ancrage local en instrumentalisant les sanctions internationales pour le renforcement de sa légitimité d’anti système international. La preuve, Robert Mugabe a prêté serment en déclarant : « Le Zimbabwe ne sera plus jamais une colonie ». Dénonciation hyperbolique à dominante contestataire au service de sa légitimité anti-colons. Ça marche parce que le moment colonial reste un puissant structurant mental en Afrique Noire.

* Thierry Amougou est doctorant et assistant de Recherche à l’Université Catholique de Louvain, en Belgique

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