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Pouvons-nous vraiment prendre la responsabilité de conduire l'Afrique, qui abritera, dans quelques années, le plus grand nombre de personnes vivant avec moins de un dollar par jour, vers davantage de chaos, sous couvert de respecter les règles de l'Omc ?

A son Excellence Madame Dominique Dellicour, Ambassadeur et Chef de la Délégation de l’Union Européenne,

Excellence,

L’heure est grave! Nous prenons la plume ce jour non pas pour exercer un quelconque talent de scribe mais bien pour vous demander de nous édifier sur la problématique des Accords de partenariat économique communément appelés Ape et dénoncer aussi un attentat sans précédent qui ne dit pas son nom.

Quand l’Europe a jugé bon de faire la paix en son sein, elle a balkanisé notre cher continent au mépris des réalités ethniques, sociales et économiques. Pour sauvegarder son intégrité territoriale pendant les deux grandes guerres, la même Europe a encore fait appel sans vergogne à l’Afrique. Et après la dernière grande guerre, l’Europe devait se reconstruire en s’unissant d’abord mais surtout en exploitant à foison les ressources humaines et du sous-sol de l’Afrique pour financer son développement.

Depuis, l’Europe ne s’est pas convertie aux valeurs humanistes, démocratiques qu’elle prônait partout. S’organisant toujours pour mieux préserver ses acquis et ceux de ses générations futures, votre Europe a organisé lentement mais sûrement son essor au mépris des conséquences graves que cela pouvait avoir sur ses « sujets d’outre-mer ». C’est ainsi que votre dernière trouvaille fût les Accords de Partenariat Economique qui sonnent comme un glas pour nos économies déjà très fragiles.

En effet, ces Ape que vous obligez nos Etats à signer, ont été dénoncés dans leur essence même par le Parlement européen. Nous en voulons pour preuve un document intitulé Rapport d’information déposé par la Délégation de l'Assemblée Nationale pour l'Union européenne sur la négociation des Accords de partenariat économique avec les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique ; et présenté par M. Jean-Claude Lefort, député. Nous en avons extrait les passages suivants qui ne militent pas en faveur d’une mise en œuvre des Ape :

• « UN CHOC BUDGETAIRE, à la suite du démantèlement des droits de douane, qui affectera les ressources des pays pauvres au sein desquels les tarifs à l'importation constituent, à ce stade de leur développement, un optimum fiscal, tandis que les solutions de remplacement préconisées sont irréalistes et consistent à taxer, de manière disproportionnée ou régressive, les entreprises ou les ménages ;

• UN CHOC SUR LA BALANCE DES PAIEMENTS, imposant des ajustements sur les revenus, les prix intérieurs ou les services sociaux existants qui seront d'autant plus brutaux que les taux de change des monnaies de nos partenaires seront fixes ;

• UN CHOC INDUSTRIEL, exposant les pays ACP à un risque de désindustrialisation, par la disparition du réseau des petites et moyennes entreprises, lesquelles font vivre les familles qui veulent éduquer leurs enfants et contribuer ainsi à la mise en valeur du potentiel humain et économique de pays dont les richesses sont parfois pillées par des « hauts » personnages locaux ;

• UN CHOC AGRICOLE, qui remettra en question la pérennité des agricultures vivrières de subsistance, dont l'existence et le développement constituent les conditions clefs du recul de la pauvreté dans des pays majoritairement ruraux. »

« Ainsi, lorsque le libre-échange est mis en œuvre, sans le moindre discernement, dans des pays qui ne sont pas en situation de force pour le supporter, car ils souffrent d'un déficit d'alimentation, d'éducation, de santé, d'infrastructures, de technologies et d'épargne, l'avenir de leur population réside dans la survie dans une « économie de souk », dans un exode rural réalisé dans les pires conditions et dans le départ, dans des conditions effrayantes, des habitants les mieux formés et/ou en situation de désespoir vers l'Europe. Tous les travaux de la Cnuced, du Pnud, de la Fao et de la Commission économique pour l'Afrique de l'Onu tendent à le montrer. »

Deux questions fondamentales sont soulevées à la suite de ce qui précède :

En effet, la seule question qui vaille est : en quoi les Ape aideront-ils l'Afrique subsaharienne à atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement adoptés par l'Onu en septembre 2000 ? En rien ! Alors que certains d'entre eux ne seront réalisés, dans cette partie du monde, selon le Pnud, qu'avec un siècle de retard. Pouvons-nous vraiment prendre la responsabilité de conduire l'Afrique, qui abritera, dans quelques années, le plus grand nombre de personnes vivant avec moins de un dollar par jour, vers davantage de chaos, sous couvert de respecter les règles de l'Omc ? Croit-on que ce chaos se limitera à l'Afrique, ce qui serait déjà insupportable ? »

« D'autre part, la Commission s'est-elle jamais interrogée sur le fait de savoir pourquoi l'Afrique se positionne constamment face à nous, à l'Omc ? Beaucoup répondront que le coupable se cache dans nos subventions agricoles. Ce n'est qu'une partie de la vérité : nous sommes en train de nous aliéner définitivement nos partenaires parce que nous négocions un cadre dans lequel nous nous engageons à maintenir l'accès de pays très pauvres à notre marché, tout en leur disant qu'il faut maintenant qu'ils ouvrent les leurs sans restrictions réelles. On fait ainsi monter sur un même ring un poids plume et un poids lourd, et on voudrait que l'on nous saute au cou ? »

En plus de toutes les conséquences légitimes relevées par le Parlement Européen, nous pouvons ajouter que ces Ape ne favoriseront même pas à terme les économies européennes. Nos économies ne pouvant plus supporter les importations massives et subventionnées de l’Union Européenne, cela entrainera la disparition des PME et donc de la classe moyenne et il s’ensuivra de facto une implosion du pouvoir d’achat des 300 millions de consommateurs sur lesquels vous comptez pour vous aider à sortir de la crise que vous traversez.

A cela il faudra assumer un flux migratoire exponentiel que vous ne pourrez pas gérer et la disparition totale de la force vitale de sociétés entières qui auraient pu être vos alliés pour combattre enfin les effets « boule de neige » de vos économies moribondes. Rappelez-vous que nous sommes désormais dans un monde où tout est lié et que les actions positives ou destructrices des uns affectent nécessairement tout le monde et même leurs initiateurs.

Par conséquent, il va sans dire que la meilleure option qui vous reste consiste à doter les Acp de moyens réels pour soutenir et développer leurs économies pour en faire des partenaires à part entière susceptibles de créer des effets de levier positifs pour nos économies respectives.

Enfin, nous disons Non de la manière la plus forte à la signature des APE par nos Etats et nous comptons sur votre bonne lecture de ce qui précède car nous sommes prêts à donner notre vie pour éviter d’être encore tenus comme des otages.

Dans l’attente d’une réaction progressiste et humaniste, nous vous prions, Excellence, de recevoir l’expression de notre considération distinguée.

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