L’Archipel des Comores : 1975–2015, 40 ans d’indépendance confisquée

Les conséquences des manœuvres de la Françafrique aux Comores pèsent lourd sur le parcours du jeune état comorien : 23 coups d’état ou tentatives depuis 1975, quatre présidents en exercice assassinés, un président élu démocratiquement déporté (M. Djohar en 1995) !

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L’archipel des Comores, ce sont quatre îles de près de 2250 km2 (le quart de la Corse) situées à près de 9 000 km de la France ! Moins d’un million d’habitants, ayant des origines diverses complètement affirmées (de l’Afrique de l’Est, du Yémen, de l’Iran, de l’Arabie et de l’Inde, et jusqu’en Malaisie). La France coloniale a reconnu formellement l’unité de ce peuple en rattachant l’archipel des quatre îles à Madagascar, en 1946. Le premier mouvement indépendantiste, le Molinaco (Mouvement de Libération Nationale des Comores), est créé par des migrants comoriens en Tanzanie. Il a eu son relais sur place avec le Pasoco (Parti socialiste comorien), réputé avoir lancé les premières campagnes contre le colonialisme français. Celles–ci étaient massivement suivies dans les milieux jeunes, comme lors des grèves de lycéens de 1968 et de 1973.

Contre la France coloniale, les leaders politiques comoriens ont enclenché la quatrième vague d’indépendance en 1975 (avec Djibouti et le Vanuatu). Comme nous allons l’illustrer dans notre propos, les îles Comores le paient très cher, puisqu’en vertu de la théorie des dominos, l’État français réprime très durement tous ceux qui osent ouvrir de nouvelles portes dans les luttes de libération.

UNE EXPERIENCE DE DECOLONISATION « CONFISQUEE » ?

Le 22 décembre 1974, lors du référendum d’autodétermination, le peuple comorien s’est prononcé à 95% pour l’indépendance. Le 6 juillet 1975, voyant que les parlementaires français ont élaborés un projet de lois visant à organiser un autre référendum, « île par île », le chef de gouvernement Ahmed Abdallah, suivi par les parlementaires comoriens, proclame unilatéralement l’indépendance des Comores. C’était en juillet 1975. Le 12 novembre de la même année, les Comores deviennent membre de l’Onu, qui réaffirme « la nécessité de respecter l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores, composé des îles d’Anjouan, de la Grande Comore, de Mayotte et de Mohéli » (Résolution 3385).

LE RETOURNEMENT DE SITUATION
Arguant qu’à Mayotte le Non à l’indépendance l’avait emporté (à 64%), l’Etat français décide d’occuper cette île, à l’encontre du droit international ! En 1976 (puis 2000), la France organise illégalement une consultation à Mayotte. Celle-ci a été rejetée sans ambiguïté par la communauté internationale (résolution 31/4 du 21 octobre 1976).

Arrivé au pouvoir en août 1975, le président Ali Soilihi mène une campagne nationale et internationale pour régler la question de l’occupation de Mayotte, allant jusqu’à rompre les relations diplomatiques avec la France. Depuis 1976, l’Union africaine, la Conférence islamique, la Ligue arabe, les pays non alignés, l’Onu considèrent illégale l’occupation de ce territoire comorien par une puissance étrangère.

LA FRANÇAFRIQUE A VISAGE DECOUVERT : L’ENTREE EN SCENE DE L’ «AFFREUX DENARD»
En mai 1978, Bob Denard et ses mercenaires débarquent aux Comores, renversent le régime d’Ali Soilihi et assassinent « le guide de la révolution comorienne » ! Bob Denard dira, lors de son procès pour l’assassinat du président Ahmed Abdallah (le supposé commanditaire de ce coup de 1978), qu’il a eu en face lui [le président Soilihi] « un homme courageux, honnête, fier et digne … » (Soilihi aurait choisi la mort plutôt qu’un procès public mené par un mercenaire !).

Pendant 11 ans de règne sans partage, et jusqu’à son exfiltration en Afrique du Sud par les services français, en décembre 1989, Bob le « corsaire de la République [française] » (comme il s’est fait appeler) accomplit la sale besogne de la Françafrique : répression féroce de tous les résistants à ce nouvel ordre colonial ; jusqu’à l’élimination physique de leaders politiques ; contrôle de tous les services clé de l’état et de plusieurs secteurs économiques …

LES PRATIQUES MAFIEUSES
Pendant ces années de régime mercenaire, les Comores ont servi, entre autres, de base arrière aux trafics mafieux : Mayotte a servi de refuge au grand banditisme international ; dans les années 1986 (sous le régime de la cohabitation Mitterrand/ Chirac) les Comores servent à contourner le boycott contre le régime sud-africain de l’apartheid (fourniture d’armes, de pétrole, de matériel nucléaire…). Ces trafics douteux auraient coûté la vie à Dulcie September (représentante en France de l’Anc)… qui aurait été assassinée par un certain J.P. Guerrier, adjoint de Bob !

LES CONSEQUENCES SUR LE JEUNE ETAT DES COMORES
Les conséquences des manœuvres de la Françafrique aux Comores pèsent lourd sur le parcours du jeune état comorien : 23 coups d’état ou tentatives depuis 1975, quatre présidents en exercice assassinés, un président élu démocratiquement déporté (M. Djohar en 1995) ! Un contrôle quasi-total des pouvoirs régaliens par la France, ayant induit, en particulier, par la politique de développement du Plan d’ajustement structurel, à des services publics sinistrés (infrastructures, système de santé, système d’éducation…)

L’ANCRAGE DE MAYOTTE DANS LA FRANCE : UN DURCISSEMENT PROGRESSIF DE L’ADMINISTRATION FRANÇAISE

Le statut de Mayotte est resté « flou » durant les deux premières décennies…

En janvier 1995 : un visa dit « visa Balladur–Pasqua » est instauré pour les Comoriens des trois autres îles voulant se rendre à Mayotte. Ce visa est à l’origine de dizaines de milliers de morts dans le bras de mer de 70 km séparant les îles d’Anjouan et de Mayotte (tristement nommé « le plus grand cimetière marin du monde ») !

Les organisations humanitaires ont noté un durcissement progressif des contrôles d’entrée à Mayotte, avec une police aux frontières suréquipée et, plus récemment, avec un renfort de légionnaires pour traquer ces Comoriens « clandestins chez eux » à Mayotte !

La France continue à être hors la loi : plus de 23 résolutions onusiennes ont condamné la présence française à Mayotte, cela a gêné la diplomatie française ! Septembre 2005, le régime du colonel Azali Assoumani (un des plus fidèles hommes lige de la Françafrique) demande le retrait de la question de Mayotte de l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée générale des Nations Unies. Et, malheureusement, les successeurs d’Azali n’ont pas pu corriger cet acte de démission de la partie comorienne !

En 2013, le gouvernement de Hollande s’oriente vers des « accords bilatéraux » qui tendent à faire porter la responsabilité de la circulation vers Mayotte (et donc des morts liés au « visa Balladur ») par la partie comorienne ! La mobilisation citoyenne a réussi à bloquer la signature de tels accords (pour le moment) !

LA DEPARTEMENTALISATION PUIS LA « RUPEISATION »
Mars 2009 : la France a procédé, comme programmé, au référendum de la départementalisation de Mayotte. C’est toujours contre le droit international, mais c’est aussi contre le droit français, puisque le peuple français n’a jamais été consulté lors de cette extension de son territoire.

Mars 2011 : Mayotte devient, formellement, le 101ème département français !

Janvier 2014 : Mayotte a accédé au statut de Région ultra périphérique sous législation européenne ! La ratification de ce statut par les gouvernements européens est en contradiction flagrante avec le vote unanime des mêmes Etats en faveur de la résolution 3385 du 12 novembre 1975 (stipulant l’appartenance de Mayotte au nouvel état comorien) !

LES PREMISSES DU DESENCHANTEMENT
Comme le précisait le Groupe d’information et de soutien des immigrés, l’on assiste en 2010 à « un déploiement sécuritaire exceptionnel afin d’isoler une île de 200 000 habitants du reste de l’archipel dans lequel elle est insérée ».

A Mayotte, les politiques français, de droite comme de gauche, intensifient, la chasse aux « clandestins comoriens » : Le président Sarkozy précisait, dans son discours sur l’immigration à Mayotte (1) : « Mayotte expulse tous les ans 20 000 clandestins, autant que toute la métropole réunie » [ce qui représente 10% de la population de l’île !]. Un des corolaires c’est un taux phénoménal d’enfants isolés.

Politique du chiffre ! Laboratoire d’expérimentation !

Dès novembre 2011 (6 mois après la départementalisation), les Maorais ont suivis les mouvements contre « la vie trop chère », à la suite des grèves du Lkp en Guadeloupe, des « marches citoyennes » de l’Ustke en Kanaky ou des grèves générales à la Réunion.

Les Maorais d’en bas manifestent un rejet déterminé de la loi du foncier qu’ils considèrent comme un dispositif de spoliation de leurs terres. D’aucuns déplorent les « sorties nettes » exceptionnelles parmi les jeunes, selon les études des flux migratoires de l’Insee. (2) Et de manière générale, les Maorais se plaignent du coût de la vie lié à une croissance artificielle à laquelle ils ne sont pas associés !

DES ENJEUX LIES A LA QUESTION CENTRALE DE MAYOTTE
Nous le savons, la France ne peut envisager de renoncer à ses intérêts coloniaux dans « ses outre–mer ». C’est ce qu’a exprimé Victorin Lurel, ministre français des Outre-mer, dans son « discours pour le diner des 3 océans » (3) (29 août 2012) : « Grâce aux Outre-mer, c’est en effet la France qui rayonne sur tous les continents et toutes les mers du monde. Ces Outre-mer qui apportent à notre pays tant d’atouts et tant de richesses qui sont autant d’avantages comparatifs dans un très grand nombre de domaines : 11 millions de km² de zone économique exclusive (la deuxième plus grande zone économique exclusive du monde après les États-Unis), 80% de la biodiversité nationale, […] un immense potentiel économique et stratégique avec le Nickel de la Nouvelle Calédonie, les nodules polymétalliques de la Polynésie et de Wallis, la base spatiale, le bois, l’or et bientôt le pétrole de la Guyane, les nouvelles énergies de la Réunion, l’écotourisme de la Martinique, la géothermie de la Guadeloupe, et j’en oublie… ».

La France a toujours su le potentiel en ressources énergétiques de l’océan indien. Dans un article intitulé « Le canal du Mozambique, un enjeu stratégique pour la France » (4), Raphaël De Benito (juin 2012) déclare : « D’aucuns se sont demandés pourquoi la France s’était lancée, avec détermination, dans la départementalisation de l’île de Mayotte, soustraite arbitrairement à l’archipel des Comores en 1976 à l’issue d’un référendum scélérat ». Cqfd.

C’est ce que le président François Hollande a confirmé dans son « discours au Sommet de la Commission de l’Océan indien » (5), évoquant les ressources gazières au large des Comores : «Je parle aussi des ressources naturelles que nous pouvons puiser dans la mer et dans l’Océan indien».

La France coloniale est déterminée. Mais qu’est-ce qui peut changer dans ce rapport colonisateur-colonisé étendu à l’ensemble de l’Archipel des Comores. A l’heure où nous écrivons ce texte, la France est interpelée par les pays de l’océan Indien, dans sa manière d’imposer sa volonté hégémonique (en faisant défilé les Maorais sous drapeau français malgré la charte des jeux qui l’a explicitement interdit !).

DES PERSPECTIVES DE MOYEN TERME ?

Les Comoriens sont embourbés dans un mode politique de présidence tournante par île ! Très défavorable à l’émergence d’une équipe de gouvernement capable de relever le défi du développement. Il appartient aux citoyens comoriens d’exiger « une pause électorale » comme le suggère le journaliste Ali Amir, pour préparer les conditions de l’émergence d’un vrai « guide », d’un vrai projet de société.

L’élite comorienne, où qu’elle soit, doit mutualiser ses savoirs faire, en hommes/femmes libres, pour relever les défis de la Justice, de l’Éducation, du système de santé, d’un (nouveau paradigme de) développement répondant aux spécificités nationales.

Compte tenu de la centralité de la question de Mayotte d’une part et de la démission des politiques comoriens d’autre part, ces citoyens comoriens (de l’intérieur comme de l’extérieur) sont assignés à quelques la recherche, à travers de bonnes alliances, de moyens de se faire entendre par les instances juridiques internationales. La participation est active à la campagne d’abolition du « mur Balladur » qui a déjà commencé en Europe - saluons au passage le travail formidable de ces organisations humanitaires (Fasti, Gisti, Cimade, Migr-Europe…) qui défendent le Droit humain à Mayotte. Puissent de telles mobilisations citoyennes ouvrir une ère nouvelle de solidarité, de courage, de créativité et de prospérité pour des Comoriens libres et dignes.

NOTES
1) http://bit.ly/1IYLsUf ;
2) http://bit.ly/1IYLsUf
3) http://www.outre-mer.gouv.fr/
4) http://bit.ly/1TpPkci
5) http://bit.ly/1h2Akjo

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** Mabadi Ahmédali est coordinateur du Collectif de défense de l’intégrité et de la souveraineté des Comores. Source : afriquesenluttes.org

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