Pourquoi l’opposition au Grand Ethiopian Renaissance Dam est injustifiée
Le projet éthiopien de barrage a suscité une forte opposition en Egypte, pays qui craint pour ses bénéfices provenant de l’eau et qui résultent de traités tordus datant de l’époque coloniale sur la question du partage des eaux.. Considérant les questions légales, historiques, économique et environnementales, l’opposition de l’Egypte est sans fondement. Afin d’éviter une guerre de l’eau, les pays riverains du Nil doivent s’accorder une nouvelle fois sur une répartition équitable.
L’accord d’allocation de l’eau de 1929, signé entre l’Egypte et le Royaume-Uni (qui excluait l’Ethiopie et presque tous les pays du bassin supérieur du Nil) allouait 48 milliards de m³ d’eau (65%) par an à l’Egypte et 4 milliards au Soudan. L’accord de 1959, entre l’Egypte et le Soudan, avait attribué respectivement 55,5 milliards de m³ (75%) et 18,5 milliards de m³ à l’Egypte et au Soudan. Cet accord excluait les autres nations riveraines du bassin supérieur du Nil. L’Egypte veut donc conserver les accords de l’époque coloniale et celui de 1959.
Cette allocation inéquitable des eaux du Nil a permis à l’Egypte de construire le barrage d’Assouan, mais les deux pays ne se sont jamais donnés la peine de consulter les pays du bassin supérieur du Nil. Selon Badr Abdelatty, [1] le porte-parole du ministère égyptien des affaires étrangères, l’Egypte veut maintenir le statu quo parce qu’elle a besoin "de tous les 55 milliards de m³ alloués par an pour satisfaire à des besoins vitaux comme l’eau de boisson, la toilette et la lessive et l’assainissement" d’ici à 2020. Ceci indique clairement le désir de ce pays de conserver les bénéfices accrus des eaux du Nil intacts, tout en niant aux autres pays riverains (subsahariens) le droit d’utiliser leurs eaux pour réduire la pauvreté et pour promouvoir le développement durable. L’Initiative du Bassin du Nil (Ibn), formalisée en 1999, [2] à laquelle l’Egypte est partie, dit maintenant que tout changement aux accords de l’époque coloniale revient à affecter ses intérêts stratégiques et menace de façon répétée de faire usage de tous les moyens possibles si l’Ethiopie persiste dans la construction du Grand Ethiopian Renaissance Dam (Gerd).
L’Egypte continue cette escalade de la confrontation en dépit des affirmations de l’Ethiopie, qui soutient que le barrage n’aura pas d’impact négatif significatif pour l’Egypte. Ensemble avec les autres pays riverains du Nil supérieur, elle fait objection aux privilèges que l’Egypte s’est octroyée et considère le monopole du Caire sur les eaux du Nil comme une violation de sa souveraineté. Se basant sur les accords d’Entebbe de 2010, les pays en amont (Ethiopie, Kenya, Ouganda, Rwanda et Tanzanie en plus du Soudan et du Soudan du Sud), l’Ethiopie insiste sur le respect de ces plans et poursuit la construction du barrage.
A partir des facteurs économiques, historiques, légaux, sécuritaires et environnementaux, on peut chercher à analyse les raisons qui fondent l’opposition égyptienne au Grand Ethiopian Renaissance Dam. Nous essaierons de trianguler ces facteurs, espérant contribuer au débat et avoir une meilleure compréhension des tensions actuelles entre l’Egypte et l’Ethiopie. Nous tenterons de faire une analyse du problème de partage de l’eau entre les pays en amont et ceux en aval.
En accord avec les théorie et les cas vécus, nous supposons que l’eau a été et va continuer à être la cause de conflits dans de nombreuses régions du monde. [3] Or les guerres de l’eau tendent à être irrationnelles, insupportables et destructrices au plan économique et social. Le partage des cours d’eau transfrontaliers et les problèmes de pollution ne sont jamais résolus par des approches hégémoniques, militaristes ou ultranationalistes.
Des voies dissidentes se sont toujours faites entendre face à des méga projets comme le Gerd et ce n’est pas nouveau [4], les critiques allant du coût aux retards (comme l’a montré une récente étude de Ansar, Flyvbjerg, Budzier et Lunn de l’université d’Oxford [5]) à l’impact sur les populations déplacées, la corruption, la transparence dans l’octroi des contrats, la provenance du financement, les impacts sociaux et environnementaux dans les pays en amont et en aval et la question de la sécurité de l’eau.
Ainsi les Ethiopiens peuvent légitimement se poser des questions sur la façon dont leur gouvernement gère le projet. Dans cet article, toutefois, nous considérerons les problèmes environnementaux transfrontaliers, l’usage équitable de l’eau du Nil et aborderons la question des préoccupations des Egyptiens. Ceci est important dans la mesure où la construction du Gerd a ravivé la question persistante d’une utilisation équitable de l’eau du Nil. Nous croyons aussi que les menaces de guerre – contreproductives - et les diverses formes d’offensives diplomatiques requièrent l’attention de quelques intellectuels de renom et de politiciens.
Les préoccupations et les aspirations des Egyptiens concernant les eaux du Nil remontent dans l’histoire bien au-delà de la formation de l’Etat/nation égyptien, même si cette question a commencé à dominer la scène politique du pays avec la génération du militarisme et l’ultranationalisme ( des menaces de guerre de Nasser au président Sadate, jusqu’aux actuels dirigeants de l’Egypte qui ont juré de ne pas perdre même "une goutte d’eau"). [6] La récente instabilité en Egypte doit avoir fait de la question du partage transfrontalier des eaux du Nil un sujet opportun. Des rapports indiquent en effet que l’Egypte est entrain de planifier "la destruction du barrage avant que l’Ethiopie ne le remplisse d’eau afin de ne pas courir le risque d’inonder les plats territoires orientaux du Soudan par la destruction du barrage". [7]
Un rapport de Wikileaks révèle que l’Egypte, en collaboration avec le Soudan, prévoyait de "construire une piste d’atterrissage dans le but de bombarder le barrage de Blue Nile River Gorge en Ethiopie" [8]. Dans son analyse de juin 2013, sur les options militaires de l’Egypte, Straighter, une firme d’analyse globale, indique que le pays a les moyens militaires de frapper les barrages éthiopiens mais que la distance représente une contrainte majeure. Toutefois, l’option militaire reste possible à partir du Soudan, de Djibouti et de l’Erythrée, [9] ainsi que par le recrutement de "militants" qui empêcheraient la construction du barrage.
L’Ethiopie est bien sûre consciente des considérations égyptiennes et de son ancienne aspiration de contrôler les sources du système nilotique. Par exemple, le 17 avril 2014, parmi les rapports selon lesquels l’Egypte essayait de séduire le Sud Soudan pour qu’il prenne parti en sa faveur sur la question des eaux du Nil [10], Voice of America a rapporté que le président du Sud Soudan a assuré les autorités éthiopiennes que les accords de coopération militaires et économiques récemment signés entre l’Egypte et le Sud Soudan, ne permettraient pas à l’Egypte d’attaquer l’Ethiopie ni des activités subversives.
La politique égyptienne à l’égard des pays en amont est surtout motivée par son intérêt pour l’eau qui doit contribuer à réduire la misère dans les pays en aval, apparemment sans aucune forme de réciprocité substantielle. A la différence des relations entre l’Egypte et l’Ethiopie d’aujourd’hui, leurs ancêtres, en dépit de leurs connaissances géographiques et hydrologiques limitées, avaient une meilleure compréhension de l’économie du partage de l’eau.
Richard Pankhurst, historien réputé, a écit que le sultan turc, qui régnait sur l’Egypte avant les Anglais, a "payé 50 000 pièces d’or annuel aux souverains d’Ethiopie " par crainte que ceux-ci ne divertissent les aux du Nil. [11] Aujourd’hui, même le ministre des antiquités est opposé à ce barrage. [12] En fait, la mémoire institutionnelle et d’abondants documents couvrant ces soixante dernières années révèlent, non seulement des incohérences, mais également l’énorme dommage subi par l’Ethiopie et le Soudan du fait de la politique étrangère égyptienne.
L’interférence de l’Egypte dans les affaires internes de l’Ethiopie et du Soudan a beaucoup à voir avec l’usage que ces deux pays font des eaux du Nil. [13] Par exemple, l’Egypte s’opposait aux mouvement d’indépendance du Sud Soudan mais a fait la promotion de la séparation de l’Erythrée et la création d’un des pays enclavé le plus densément peuplé du monde. La Communauté internationale n’est pas sans savoir cela, mais l’Egypte, par sa situation stratégique et son rôle central dans la politique du Moyen Orient, n’a pas permis aux puissances du jour d’appeler un chat un chat.
Depuis peu, des organisations intergouvernementales comme l’Union africaine, qui étaient autrefois muettes sur le comportement de dirigeants égyptiens militaires successifs (lesquels contrôlaient souvent le pouvoir politique et économique, sous le couvert d’élections truquées et de révolutions), ont maintenant reconnu le problème du système nilotique. Le partage équitable des eaux du Nil entre pays riverains en amont est maintenant à l’agenda africain, bien que des membres clés de la Ligue arabe persistent à soutenir la prise de position de l’Egypte [14]
Le droit de l’Ethiopie d’utiliser l’eau qui jaillit de ses propres terres devrait inclure, en plus de l’hydroélectrique, l’irrigation, ainsi que la navigation et l’usage récréatif, la prévention des inondations, le stockage et la distribution de l’eau. Mais il est donc évident que les barrages sont économiquement bénéfiques. A l’instar de tout méga projet, les barrages ont aussi des effets secondaires néfastes aussi bien du point de vue écologique et de l’environnement, social (déplacements forcés de population), économique et même politique.
D’autres préoccupations concerne l’évaluation et la gestion des risques associés à la construction d’un barrage, ainsi que la question de savoir si les produits du barrage, le Gerd dans notre cas, seront à la hauteur des attentes pour ceux concernés comme la fourniture en électricité. Un cadre raisonnable concernant la construction d’un barrage serait une analyse approfondie du coût /bénéfice et non seulement la question de l’argent qu’il va falloir. C’est là une de nos principales préoccupations à l’égard des écologistes et certains de leurs partisans éthiopiens qui font campagne contre le barrage de 6000MégaWatt
Les écologistes traitent le Gerd "d’éléphants blancs" [15] malgré le fait que les documents concernant le projet et qui sont du domaine public, dont il est allégué qu’ils ont été préparés par un groupe d’experts internationaux, montrent des bénéfices financiers et sociaux pour l’Ethiopie et le Soudan. Les écologistes, comme l’International River Network (Irn) [16] doivent par conséquent, quantifier la magnitude des effets secondaires indésirables du projet et ne devraient pas se baser sur des informations " clandestines " ou de" deuxième main". Surtout, plutôt que d’êtres les papillons de la région du Nil oriental, ils doivent :
1) reconnaître le droit souverain de l’Ethiopie à faire usage de ses propres ressources en accord avec le droit international et sans préjudices pour les populations en aval,
2) identifier des stratégies d’atténuation afin que des problèmes réels soient abordés avant que la construction soit finalisée et
3) faire des propositions quant au financement de ces stratégies d’atténuation.
En avril 2014, un groupe de pression international basé en Californie qui conteste toute construction de barrage en Afrique et en Asie, a permis la "fuite" d’un long document confidentiel de 49 pages, élaboré par un groupe d’expert concernant le Gerd [17]. Maintenant que ce document confidentiel est dans le domaine public, il est possible à chacun de considérer les préoccupations de ceux qui sont pour et de ceux qui sont contre la construction du barrage.
Les éléments principaux du rapport d’experts peut se résumer ainsi :
1) à la différence de projets plus petits qui auraient favorisé les projets d’irrigation, le Gerd doit produire de l’énergie et toute crainte concernant une diminution importante et permanente du flot vers les pays en aval est infondée,
2) le remplissage du barrage se fera par étape, tenant compte des pluies et de la zone de captage,
3) les analyses préliminaires coût/bénéfices au plan social et financiers pour les pays en amont et en aval sont favorables et les préjudices attendus pour les pays en aval ne sont pas irrémédiables,
4) les résultats préliminaires concernant les effets secondaires en Egypte sont actuellement insuffisants et il y a donc un vide d’informations hydrologiques et beaucoup des craintes et allégations actuelles de l’Egypte sont infondées,
5) au moment d’écrire ces lignes les travaux ont progressé et sont achevés à 30% et la diversion de l’eau a été réalisée avec succès,
6) la perte en eau prévue en raison de l’évaporation n’est pas pire que ce que l’Egypte perd actuellement dans ses projets peu écologiques et suite à sa mauvaise gestion de l’eau, [18]
7) des études géologiques et hydrologiques récentes ont révélé des nappes phréatiques abondantes dans les pays du bassin du Nil [19] et donc les pays en aval n’auront pas soif si les pays en amont construisent des barrages qui génèrent de l’électricité. Il est donc clair que la politique égyptienne d’opposition à la construction de grands barrages producteurs d’électricité dans les pays en amont est injustifiée et demande une nouvelle approche de la part du Caire.
Comme l’observe le professeur Aaron Wolf de l’Oregon State University, il y a environs 261 rivières transfrontalières dans le monde et à moins d’être gérée avec soin, une proportion significative de ces rivières pourrait être la cause de conflits. Wolf a documenté les sources d’eaux qui ont été cause de tensions politiques entre nombre de pays, y compris, mais pas seulement, les Arabes et aux Israéliens, les Indiens et aux Bangladais, les Américains aux Mexicains, la Chine et des pays en aval, le Brésil et le Paraguay et les dix Etats riverains du Nil. Il remarque que "la guerre de l’eau n’est ni rationnel du point de vue stratégique, ni effective du point de vue hydrographique ni viable économiquement". [20]
En d’autres termes il n’y a pas de raison pour une guerre de l’eau entre l’Egypte et l’Ethiopie. Les deux pays peuvent aussi apprendre à partir d’autres projets de développement dans des régions de rivière transfrontalière qui ont réussi. Il y a l’allocation du bassin de la rivière du Colorado entre les Etat riverains américains et le Mexique, l’accord de la Rivière Columbia entre les Etats-Unis et le Canada et de nombreux projets de collaboration en Europe comme la gestion intégrée des eaux du Rhin.
En particulier, l’Egypte et l’Ethiopie auraient beaucoup à apprendre de l’Afrique du Sud qui paie le Lesotho pour étancher sa soif croissante grance au Lesohto Highland Waters Project. [21] Le cadre d’exploitation du bassin du Niger, du bassin du Zambèze et l’initiative du bassin du Nil pourrait servir de point de départ utile pour une coopération. [22]
En dépit de ce qui précède, les politiciens égyptiens avancent souvent qu’ils ont un droit historique et connectent la question de l’eau avec la civilisation antique du delta du Nil et oublient l’histoire de la formation des nations et des Etats. Evidemment ces arguments sont dans leur intérêt et ignorent les tensions historiques entre les populations noires de la région (le Soudan actuel, le Sud Soudan, le Niger, l’Erythrée, l’Ethiopie parmi d’autres) et la controverse sur la race, l’origine africaine de l’humanité et l’histoire de la vallée du Nil (voir par exemple Black Athena de Martin Bernal, 1987, Cheikh Anta Diop et d’autres). [23] Ainsi, les politiques entourant le système du Nil ont une dimension arabe et africaine et intéressent donc l’agenda panafricaniste et celui du panarabisme. Donc si un conflit entre l’Egypte et l’Ethiopie devait éclater, il est probable que celui-ci aurait des répercussions pour le reste de l’Afrique.
Comme la plupart des pays africains postcoloniaux, l’Egypte moderne et indépendante est née des cendres du colonialisme (voir par exemple Achille Mbembe et Samir Amin, entre autres). L’intérêt colonial des Anglais pour le barrage sur le Nil du Lac Tana (source principale du Nil Bleu/Abay) est à la base des revendications historiques et légales égyptiennes sur ces eaux. Toutefois l’intérêt des Anglais était prioritairement orienté vers l’irrigation dans la colonie du Soudan de leurs grandes plantations de coton qui devait alimenter l’industrie en Grande-Bretagne. Les plantations égyptiennes modernes de coton dépendent entièrement des sédiments qui proviennent des hauts plateaux éthiopiens.
Dans une série de courts articles, Dr Yosef Yacob [24] a documenté l’histoire du colonialisme dans la région et montre comment l’empereur Ménélik (1844-1913) et l’empereur Haïlé Sélassié (1892-1975) ont réussi a échapper aux ambitions coloniales des Anglais sur les hauts plateaux éthiopiens. Il révèle aussi comment l’empereur Haïlé Sélassié était visionnaire en invitant une compagnie d’ingénieurs américains pour éviter la main mise des Anglais sur le lac Tana et tenter de financer la construction du barrage en obtenant des garanties financières des Etats-Unis. En d’autres termes, si les désirs de l’empereur avaient été réalisés, le Gerd aurait été construit il y a longtemps. Nous attendons toujours des critiques raisonnables du traité du Dr Yacob de la part de ceux qui s’opposent au barrage.
La prochaine démarche de l’opposition égyptienne est le recours au droit international. Là aussi l’argument s’effondre devant l’examen des juristes. Les officiels égyptiens se réfèrent souvent aux accords de la période coloniale de 1929 et des accords signés entre l’Egypte et le Soudan (tous deux anciennes colonies britanniques) et auxquels l’Ethiopie n’est pas partie et n’a jamais rien consenti.
D’abord il est important de noter que les traités coloniaux n’ont pas de pertinence directe pour résoudre les problèmes de l’Afrique contemporaine. Les pays du bassin du Nil les ont déjà rejetés. Ainsi le point de vue dominant est que les avoirs transfrontaliers appartiennent aux Etats postcoloniaux et que les nouveaux Etats doivent accepter de partager leurs avoirs communs.
Deuxièmement, l’Ethiopie était et reste un Etat indépendant et n’était pas partie aux accords de 1929 et de 1959. Des documents historiques indiquent également que la Grande-Bretagne, l’Egypte et le Soudan ont conspiré ensemble et ont exclu l’Ethiopie des négociations. A cet égard, Wuhibegezer Fered et Sheferawu Abebe, écrivant sur l’efficacité des traités sur l’eau dans le bassin du Nil oriental, soulignent deux approches qui découlent des principes du droit international. [25] Les auteurs démontrent les différences fondamentales entre les pays en amont et ceux en aval dans le sens où les pays en amont (Ethiopie, Ouganda, Tanzanie, Rwanda, Burundi, Kenya, la République démocratique du Congo, l’Erythrée et le Soudan) semblent préférer une politique nouvelle, pendant que les pays en aval (Soudan et Egypte) sont en faveur des traités coloniaux. [26] Abstraction faite de l’un ou l’autre des principes légaux, l’insistance de l’Egypte à se référer aux traités coloniaux ne tient pas simplement parce que l’Ethiopie n’était pas une colonie britannique ou celle d’un quelconque autre pays européen
Maintenant que nous avons démonté les arguments historiques de l’Egypte, voyons le troisième argument de la position égyptienne : les aspects écologiques du barrage. La littérature indique que les émissions de carbone et la contamination des rivières transfrontalières sont des exemples de problèmes écologiques transfrontaliers. Ainsi l’élaboration de politiques requiert des traités globaux applicables, de saines politiques nationales et l’intégration des progrès dans diverses disciplines. [27] De plus, l’investissement dans des grands projets nationaux comme des stades, l’extraction de minerais, de pétrole et de gaz, la création de canaux, de grands barrages, d’autoroutes et de grands projets architecturaux ajoutent une dimension comportementale et politique à la science, la technologie et à l’économie de telles entreprises.
La plupart des plus beaux bâtiments et stades construits dans les pays hôtes de la Coupe du monde satisfont la fierté nationale. Les facteurs comportementaux et émotionnels dominent les arguments financiers. En d’autres termes, les projets nationaux, de par leur nature, ont une dimension comportementale et ne peuvent être enfermés dans le paradigme de la rationalité et de leur valeur nette. L’avenir nous dira si le barrage éthiopien sera différent.
La littérature dominante, dans le domaine de l’économie écologique, focalise sur la mesure du bien-être, de la durabilité, les changements technologiques, l’externalité et le "bilan vert". La Commission mondiale pour l’environnement et le développement (la commission Bruntland 1987), par exemple, déclare que "le développement durable c’est satisfaire aux besoins de l’actuelle génération sans compromettre la capacité des générations futures de satisfaire aux leurs". En accord avec cette définition, le système nilotique a des aspects nationaux et transfrontaliers pour les Etat riverains, et donc l’Egypte, qui, en théorie, a des raisons à ses préoccupations. Toutefois ces préoccupations peuvent trouver une réponse au travers des instruments internationaux et des institutions et des relations bilatérales basées sur le respect et la confiance mutuelle.
La convention internationale sur la protection et l’usage des lacs transnationaux, signée par presque 40 pays n’est pas l’outil pour résoudre la dispute et de toute façon aucun des pays africains, y compris l’Egypte, ne l’a ratifié. Toutefois, elle peut être un point de départ. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement peut aussi être un facilitateur. De plus, comme noté précédemment, l’initiative du Bassin du Nil a été un développement institutionnel majeur qui permet à tous les Etats riverains de coopérer et d’agir sur un pied d’égalité. Les efforts de l’Egypte de saborder ce projet est une erreur.[28]
D’autres données du rapport du panel international d’experts révélé couvrent les principaux aspects du projet. Entre autres, il confirme que :
1) Gerd est économiquement faisable,
2) les plans correspondent aux standard internationaux mais nécessitent des corrections mineures,
3) la firme contractée est fiable et a une large expertise internationale et une bonne réputation dans la construction des grands barrages,
4) l’étude écologique en Ethiopie est adéquate et les effets transfrontaliers sur le Soudan sont favorables et ils permettent de contrôler les flux,
5) la section qui concerne les effets transfrontaliers sur l’Egypte dit que ceux-ci requièrent des études additionnelles, impliquant des modèles complexes et des datas de terrain actuelles plutôt que du travail de bureau.
Bref. Les auteurs du rapport confidentiel de 48 pages n’ont pas dit qu’ils s’attendent à une catastrophe et à la disparition de la nation égyptienne si le projet devait aboutir. Pour résumé, cette conclusion a des répercussions pour les institutions multilatérales qui refusent de financer le projet. L’opposition de l’Egypte au Gerd est en effet injustifiée. Son retour à la table des négociations, l’Union africaine et la ratification de la Nile River Basin Cooperative Framework and Convention on the Protection and Use of Transboundary Watercourses and International Lakes, sont autant d’avenues pour résoudre cet épineux problème du partage de l’eau. [29]
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** Minga Negash est professuer de comptabilité à la Metropolitan State University of Denver, Colorado et à l’université de Witwatersrand, Johannesburg ; Seid Hassan est professeur d’économique à la Murray State university ; Mammo Muchie* est professeur en "innovation studies" a Tshwane University of Technology (Pretoria) et senior research associate à l’université d’Oxford (Royaume-Uni) - Cet article a initialement été publié dans Sudan Tribune, en avril 2014 – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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