La nouvelle odyssée de Berlin et le retour à ses frontières africaines
Rares sont ceux qui se souviennent qu’il fût un temps où l’Allemagne possédait diverses colonies africaines. Aujourd’hui, Berlin cherche à revoir les restrictions constitutionnelles du pacifisme et l’absence d’engagement militaire de sa part, en augmentant ses troupes au Mali. Elle essaie ainsi de ne pas rester plus longtemps en marge de la politique mondiale.
Le 6 février 2014, Ursula van den Leyen, ministre de la Défense, s’est engouffrée dans la crise du Sahel, poussée par des ambitions plus positives pour l’Allemagne dans les points chauds du globe. Mettant enfin de côté le pacifisme auquel Berlin était soumis, ainsi que les restrictions constitutionnelles, elle s’est rendue au Mali pour annoncer que l’Allemagne allait augmenter le nombre des troupes de maintien de la paix qui passeront de 180 à 330. Loin d’être symbolique, ce nombre montre que l’Allemagne sort de sa longue retraite et de sa passivité en matière de politique de sécurité et de son absentéisme dans ce domaine.
Enfin, Berlin a fini par reconnaître la nécessité impérative d’échanger le reliquat militaire de la Guerre froide pour une armée professionnelle moderne comme préconditions d’un engagement significatif dans la communauté internationale de défense.
BERLIN CHERCHE A AUGMENTER SON ROLE MILITAIRE EN AFRIQUE
Jusque là, des Balkans à l’Afghanistan, en passant par ses terrains d’entraînement dans la Corne de l’Afrique, au Soudan, et au Congo, Berlin a étendu ses frontières de politique étrangère de l’Afrique centrale à la région du Sahel. La Bundeswehr (l’armée nationale) a été déployée depuis 2008 dans une grande opération de lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes. Une étape importante a été franchie pour la crédibilité de la politique étrangère de l’Allemagne lorsque Berlin, en mai 2012, a contribué, avec 1400 troupes et la frégate Bayern, à la première opération aéronavale de l’Union européenne dans la Corne de l’Afrique connue sous le nom "d’opération Atalante".
L’Allemagne a promis un total de 35 millions d’euros en soutien aux efforts humanitaires en faveur des réfugiés somaliens. Au Mali, la Bundeswehr a formé les forces de sécurité malienne et a fourni une couverture aérienne aux forces des Nations Unies (Minusma) depuis sa base au Sénégal. Des troupes allemandes, dans le cadre de la brigade franco-allemande, sont susceptibles d’être envoyées au Mali afin de servir dans le cadre de la mission de l’Union européenne pour la formation de l’armée malienne.
L’establishment militaire fait la promotion de l’idée que les groupes de combats de l’Union européennes soient mises à l’épreuve en situation de combat. Depuis 2007, ces unités sont restées en attente et n’ont jamais été mises à l’épreuve. La Bundeswehr a, à ce jour, envoyé un minimum de 6000 soldats dans des points chauds du globe.
L’ALLEMAGNE ENTERRE LE PACIFISME
Les difficultés sécuritaires de l’Allemagne viennent juste de prendre un nouveau virage et entrent dans une nouvelle phase. En effet, dans une série de déclarations publiques soigneusement orchestrées, l’establishment berlinois de politique étrangère a récemment formulé un appel pour la réévaluation des plans de Berlin en vue de contribuer activement à un nouvel ordre mondial et une ouverture diplomatique.
Un trio de faucons de la politique étrangère allemande a proposé des myriades de changements pour résoudre les difficultés sécuritaires de l’Allemagne pour les années à venir. Le ministre des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, a déclaré que le mantra de la restriction militaire n’est pas un programme pour éluder des responsabilités, pas plus qu’il compense la non participation. Pour lui, "l’Allemagne est vraiment trop grande pour rester en marge et se contenter de commenter la politique monde".
Le président allemand, Joachim Gauck, appelle l’Allemagne à jouer un plus grand rôle dans les engagements militaires sur la scène mondiale. Pour Ursula von der Leyen, "attendre à ne rien faire n’est pas une option"
LE TEMPS OU L’ALLEMAGNE AVAIT DES COLONIES EN AFRIQUE
Il serait plutôt simpliste de croire que l’Allemagne ne fait qu’assister Paris dans la région du Sahel juste pour le plaisir de couper des rubans cérémoniels. Berlin utilisera sa mission d’assistance militaire au Mali pour contrer l’influence exclusive de la France en Afrique occidentale, afin d’écrire un nouveau chapitre diplomatique sur le continent, là où elle a été familière à une époque.
L’Allemagne n’est pas une exploratrice novice des frontières africaines. Avant la Première Guerre mondiale, le parapluie sécuritaire de l’Allemagne couvrait quelques colonies, notamment le Cameroun, le Togo, la Namibie, la Tanzanie, le Rwanda, le Burundi ainsi que certaines régions du Kenya, du Mozambique et de la Papouasie Nouvelle-Guinée qui n’est pas en Afrique.
Le ton est maintenant donné pour une nouvelle odyssée allemande en Afrique : l’extension de ses engagements diplomatiques et militaires sur le continent. Inutile de dire que l’Allemagne est maintenant, de facto, retournée à ses nouvelles frontières africaines. Et cette fois, les intérêts nationaux de l’Allemagne s’étendront de la Corne de l’Afrique au Sahara Occidental.
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** Narcisse Jean Alcide Nana est basé à International Security Studies
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