Thomas Sankara, 30 ans après : Une conception endogène du développement

Il y a trente ans, le 4 août 1983, Thomas Sankara prenait le pouvoir au Burkina Faso, avant d’être assassiné en 1987. En quatre ans de pouvoir, la Révolution sankariste fut l’une des plus grandes tentatives d’émancipation populaire et démocratique de l’Afrique post-indépendance. C’est pourquoi elle est considérée comme une expérience inédite de profonde transformation économique, sociale, culturelle et politique.

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J K

INTRODUCTION

Le concept de développement endogène ou autocentré renvoie au processus de transformation, économique, sociale, culturelle, scientifique et politique, basé sur la mobilisation des ressources et des forces sociales internes et l’utilisation des savoirs et expériences accumulés par le peuple d’un pays. Il permet ainsi aux populations d’être des agents actifs de la transformation de leur société au lieu de rester des spectateurs de politiques inspirées par des modèles importés.

Si le développement endogène vise d’abord à compter sur ses propres forces, pour autant, il ne veut pas dire autarcie. L’un des théoriciens éminents du développement endogène, le Professeur Joseph Ki-Zerbo, disait : « Si on se développe, c’est en tirant de soi-même les éléments de son propre développement.» Autrement dit: « On NE développe pas. On SE développe. »

La conception de l’illustre Professeur a sans doute inspiré son jeune et charismatique compatriote. De fait, la Révolution sankariste fut l’une des plus grandes tentatives d’émancipation populaire et démocratique de l’Afrique post-indépendance. C’est pourquoi elle est considérée comme une expérience inédite de profonde transformation économique, sociale, culturelle et politique, comme en témoignent les formidables mobilisations de masse pour amener les populations à prendre en charge leurs propres besoins, avec la construction d’infrastructures (barrages, réservoirs, puits, routes, écoles) grâce au principe de : « compter d’abord sur ses propres forces ».

Pour Sankara, le développement véritablement endogène devait reposer sur un certain nombre de principes, parmi lesquels:
• la nécessité de compter d’abord sur ses propres forces ;
• la participation des masses aux politiques destinées à changer leurs conditions de vie ;
• l’émancipation des femmes et leur implication dans le processus de développement;
• l’utilisation de l’Etat comme instrument de transformation économique et sociale.

Ces principes forment la base des politiques mises en œuvre par Sankara et ses camardes entre 1983 et 1987.

COMPTER D’ABORD SUR SES PROPRES FORCES

Pour Thomas Sankara, compter sur ses propres forces voulait dire s’appuyer sur le peuple burkinabé pour qu’il pense son propre développement : «Le plus important, je crois, c’est d’avoir amené le peuple à avoir confiance en lui-même, à comprendre que finalement, il peut s’asseoir et écrire son développement, il peut s’asseoir et écrire son bonheur, il peut dire ce qu’il désire et en même temps, sentir quel est le prix à payer pour ce bonheur.»

Le premier Plan populaire de développement (Ppd), allant d’octobre 1984 à décembre 1985, avait été adopté après un processus participatif et démocratique jusque dans les villages les plus reculés. Le financement de ce Plan était 100% burkinabé. Il faut noter que de 1985 à 1988, donc pendant la présidence de Sankara, le Burkina Faso n’a reçu aucune « aide » étrangère ni des pays occidentaux, France comprise, ni de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (Fm). Il a entièrement compté sur ses propres forces et sur la solidarité de pays amis partageant la même vision et le même idéal.

La mobilisation populaire, surtout avec les Comités de défense de la révolution (Cdr), et l’esprit de compter sur ses propres forces avaient permis d’accomplir 85% des objectifs du Plan ! C’est ainsi qu’en un an, 250 réservoirs furent construits et plus de 3000 puits creusés. Sans compter les autres réalisations dans le domaine de la santé, de l’habitat, de l’éducation, de la production agricole, etc.

REFUS DE COPIER DES « MODELES » IMPORTES
Le concept de développement endogène et le principe de compter d’abord sur ses propres forces sont incompatibles avec l’acceptation de recettes importées. A ce propos Sankara disait : « Nous rejetons catégoriquement et définitivement toutes sortes de diktats venus de l’étranger». Et il dénonçait «les charlatans de toutes sortes qui ont cherché à vendre des modèles de développement qui ont tous échoué».

Sankara savait bien de quoi il parlait. En fait, depuis les indépendances, les pays africains ont fait l’expérience d’une dizaine de « modèles de développement », mais tous venus de l’extérieur et qui se sont soldés par un échec lamentable, avec des coûts exorbitants pour le continent dans tous les domaines. A ce propos, le Rapport 2011 de la Commission économique pour l’Afrique (Cea) note (page 91): «La conception de base et le mode de mise en œuvre de tous ces paradigmes viennent de l’extérieur de l’Afrique, même si chaque paradigme a eu de véritables disciples africains. Il est difficile de penser à d’autres grandes régions du monde, ces temps-ci où les influences extérieures sur les questions de la stratégie de base de développement soient aussi répandues.»

L’échec de ces modèles confirme le vieux proverbe bambara, repris par Pr. Ki-Zerbo dans un ouvrage édité et publié par le Codesria, sous le titre « La natte des autres ». Selon ce proverbe, «Dormir sur la natte des autres, c’est comme dormir par terre». Ce proverbe exprime une vérité historique, une profonde sagesse, à savoir qu’un modèle de développement imposé de l’extérieur n’a jamais et ne pourra jamais développer un pays, encore moins un continent.

VIVRE AVEC SES PROPRES MOYENS POUR VIVRE LIBRE

Compter sur ses propres forces signifie aussi accepter de vivre selon ses propres moyens en utilisant au mieux les ressources disponibles. C’est le gage de la dignité et de la liberté. Le président Sékou Touré, de la Guinée, n’avait-il pas eu l’audace, voire la témérité, de prononcer, en face du Général de Gaulle en 1958, cette phrase restée célèbre : «Nous préférons la pauvreté dans la liberté à l’opulence dans l’esclavage».

Thomas Sankara avait fait sien ce credo du grand tribun guinéen et reformulé d’une manière plus simple et directe la phrase du président Sékou Touré : «Acceptons de vivre Africains. C’est la seule façon de vivre libres et dignes».

Mais pour « vivre libres et dignes », il faut pouvoir se nourrir soi-même et non dépendre de la mendicité internationale. Car un pays qui ne peut pas se nourrir lui-même risque inévitablement de perdre son indépendance et sa dignité. Sankara avait eu cette interrogation restée célèbre : «Où est l’impérialisme ? Regardez vos plats quand vous mangez. Ces grains de riz, de maïs et de mil importés, c’est cela l’impérialisme. » Pour éviter cela, Sankara insistait : «Essayons de consommer ce que nous contrôlons nous-mêmes.»

C’est pour atteindre cet objectif qu’il avait mobilisé les paysans burkinabé pour atteindre l’autosuffisance alimentaire qui a permis de renforcer la confiance en soi et la dignité du peuple burkinabé. L’ancien Rapporteur des Nations-Unies pour le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, a souligné que ce résultat avait été atteint par une redistribution massive des terres aux paysans combinée à la fourniture d’engrais et au recours à l’irrigation.

L’esprit de Sankara anime aujourd’hui les paysans africains qui se battent pour atteindre la souveraineté alimentaire en transformant les ressources locales et en contrôlant leur propre nourriture contre les Ogm que les multinationales occidentales veulent déverser sur nos marchés.

Mais « vivre libre » implique aussi revaloriser les ressources locales pour répondre aux besoins des populations. C’est pourquoi Sankara avait mis un accent particulier sur la nécessité de transformer le coton produit au Burkina pour habiller la population. Le fameux « Faso dan fani », le vêtement local, était un exemple de cette transformation du coton pour le marché national. Sankara avait fait un vibrant plaidoyer pour le port du «Faso dan fani » au Sommet de l’Oua, plaidoyer salué par des applaudissements nourris des Chefs d’Etat africains.

Vivre libre veut dire encore éviter les pièges et humiliations de la prétendue « aide au développement » qui a plutôt contribué au sous-développement de l’Afrique et à sa grande dépendance. A ce propos, voici ce que disait Sankara: « Bien sûr, nous encourageons toute aide qui nous aide à éliminer l’aide. Mais de manière générale, les politiques d’aide ont plutôt fini par nous désorganiser, par saper notre sens de responsabilité à l’égard de nos propres affaires sur les plans économique, politique et culturel. Nous avons pris le risque d’emprunter des voies nouvelles afin de réaliser un mieux-être. »

LIBERER LA FEMME ET EN FAIRE UN ACTEUR CENTRAL DU DEVELOPPEMENT

Un autre trait de génie de Sankara était d’avoir compris que le développement véritable serait impossible sans la libération de tous les groupes opprimés, à commencer les femmes. A cet égard, il disait : « On ne peut transformer la société en maintenant la domination et la discrimination à l’égard des femmes qui sont plus de la moitié de la société... Notre révolution, durant les trois ans et demi, a œuvré à l’élimination progressives des pratiques dévalorisantes de la femme… Aussi, celle-ci doit-elle s’engager davantage à produire et consommer burkinabé, en s’affirmant toujours comme agent économique de premier plan… Ensemble, nous devons toujours veiller à l’accès de la femme au travail. Ce travail émancipateur et libérateur qui garantira à la femme l’indépendance économique, un plus grand rôle social et une connaissance plus juste et plus complète du monde.»

En effet, le développement, comme processus de transformation économique, sociale, politique et culturelle, ne peut devenir une réalité sans l’émancipation totale de la femme, la fin de toutes formes de discriminations à son égard et sa participation active dans le processus de transformation. Dans ce domaine encore, Sankara était très en avance par rapport à ses pairs africains et même par rapport à certains dirigeants occidentaux et institutions internationales.

De nos jours, des Nations-Unies aux pays les plus conservateurs, on célèbre bruyamment la « libération » de la femme, souvent plus folklorique que réelle. La lutte pour la libération de la femme est devenue un lieu commun, avec la création de l’Onu-Femmes, les lois sur la parité et d’autres mesures visant à l’émancipation économique, sociale et politique de la femme, autrement dit à son autonomisation. Ici encore, l’histoire a amplement fait justice à la clairvoyance et à la vision stratégique de Sankara, qui était largement en avance sur son temps!

S’IDENTIFIER AVEC LES ASPIRATIONS DES MASSES POPULAIRES

Pour Sankara, être révolutionnaire c’est donner la priorité à la satisfaction des besoins essentiels des masses populaires urbaines et rurales. C’est pourquoi il a cherché à se mettre à leur niveau, à épouser totalement leur cause, ce qui a été une des sources de conflits avec les franges de la petite bourgeoisie urbaine qui ne voulaient pas renoncer à leurs « privilèges ». Pour lui, «on ne fait pas de révolution pour se substituer simplement aux anciens potentats renversés. On ne participe pas à la révolution sous une motivation vindicative ; « ôte-toi de là que je m’y mette ». Ce genre de mobile est étranger à l’idéal révolutionnaire d’août et ceux qui le portent démontrent leurs tares de petits bourgeois situationnistes quand ce n’est pas leur opportunisme de contre-révolutionnaires dangereux.»

C’est que contrairement à ces petits bourgeois urbains, Thomas Sankara était en phase avec Amilcar Cabral qui appelait les intellectuels à se « suicider » pour ressusciter comme « travailleurs révolutionnaires » au service de leurs peuples. Cabral disait : « la petite bourgeoisie révolutionnaire doit être capable de se suicider comme classe pour ressusciter comme travailleurs révolutionnaires complètement identifiés avec les aspirations profondes du peuple auquel ils appartiennent ».

C’est fidèle en cela que Sankara a essayé d’inculquer une autre mentalité à la petite bourgeoisie intellectuelle. Malheureusement, celle-ci était plus prompte à répéter des slogans révolutionnaires qu’à changer de comportement et de mode de vie. En fait, c’est l’un des défis majeurs de tout mouvement de transformation économique et sociale dans les pays africains. En effet, nombre d’intellectuels « révolutionnaires », une fois au pouvoir, tendent à tourner le dos au peuple et presque partout, ils ont engagé la course aux privilèges et à l’argent au détriment de la lutte pour la décolonisation des mentalités et la transformation des structures économiques et sociales héritées de la colonisation.

Une décolonisation au sens de Fanon qui disait : « La décolonisation, on le sait, est un processus historique… La décolonisation ne passe jamais inaperçue car elle porte sur l’être, elle modifie fondamentalement l’être, elle transforme des spectateurs écrasés d’inessentialité en acteurs privilégiés, saisis de façon quasi grandiose par le faisceau de l’Histoire…Dans décolonisation, il y a donc exigence d’une remise en question intégrale de la situation coloniale.»

Voilà l’objectif fondamental poursuivi par Thomas Sankara. Mais il s’est heurté à des forces d’inertie, comme la petite bourgeoisie « occidentalisée » qui constitue l’un des obstacles à toute politique de rupture visant à changer la société, les structures héritées de la colonisation. C’est cette force d’inertie qui explique en partie l’échec des partis de gauche en Afrique, notamment dans les pays « francophones ». C’est cet écueil qui a finalement eu raison du processus révolutionnaire au Burkina Faso et contribué à créer les conditions qui ont abouti à l’assassinat de Thomas Sankara le 15 octobre 1987.

L’ETAT COMME INSTRUMENT DE TRANSFORMATION ECONOMIQUE ET SOCIALE

Sankara était communiste et avait une grande admiration pour les régimes socialistes, notamment Cuba qui suscitait en lui une grande admiration. Il savait que l’Etat était au centre des transformations accomplies dans ces pays. En dehors de cela, il savait qu’un pays, à peine sorti de la longue et terrible nuit coloniale, ne pouvait se reconstruire sans un Etat actif et engagé. Donc, pour lui, l’Etat devait être au centre du processus de transformation économique, sociale et culturelle. Et c’est sous l’impulsion de l’Etat et de ses démembrements que les masses ont pu être mobilisées pour participer à la mise en œuvre du premier Plan de populaire de développement.

Mais quand, après son assassinat, le Burkina Faso s’est agenouillé devant la Banque mondiale et le Fmi, l’Etat fut vilipendé et dépouillé de ses fonctions essentielles au profit du secteur privé étranger, avec les conséquences que l’on connaît. Ce recul de l’Etat a entraîné une dégradation des conditions de vie, comme partout dans les autres pays africains.

La faillite des programmes d’ajustement structurel (Pas) et l’effondrement du fondamentalisme de marché ont consacré le retour en force de l’Etat. C’est dans ce contexte que la Cea (2011) et la Cnuced (2007) ont exhorté les pays africains à bâtir des Etats développementistes, pour en faire des agents actifs de leur développement, à l’instar de ce qu’ont fait les « Tigres » et « Dragons » asiatiques ou les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).

SOLIDARITE CONTRE L’ASSERVISSEMENT ET LE PILLAGE PAR LA DETTE

A la veille de la fondation de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1963, devenue Union Africaine (UA) en 2001, Kwame Nkrumah, premier Président du Ghana, leader visionnaire et figure emblématique du panafricanisme révolutionnaire, disait : « L’Afrique doit s’unir ou périr » !

En effet, face à des ennemis puissants et bien organisés qui tiennent à perpétuer leur domination sur l’Afrique pour continuer à piller ses richesses, seules la solidarité et l’union peuvent aider l’Afrique à préserver son indépendance. Panafricaniste convaincu et admirateur du grand dirigeant ghanéen, Thomas Sankara avait fait sienne cette déclaration pleine de vérité et de bon sens du Président Nkrumah. C’est pourquoi, Sankara, en participant à son dernier sommet à Addis Abéba, en juillet 1987, avait apostrophé les leaders africains en leur demandant de former un front uni pour exiger l’annulation de la dette illégitime de l’Afrique. Car, disait-il, «la dette sous sa forme actuelle est une reconquête savamment organisée de l’Afrique, pour que sa croissance et son développement obéissent à des normes et paliers qui nous sont totalement étrangers. Faisant en sorte que chacun d’entre nous devienne l’esclave financier, c'est-à-dire l’esclave tout court de ceux qui ont eu l’opportunité, la ruse, la fourberie de placer leurs fonds chez nous avec l’obligation de les rembourser. La dette ne peut pas être remboursée parce que d’abord si nous ne payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourront pas. Soyons-en sûrs. Si nous payons, c’est nous qui allons mourir. Soyons-en sûrs, également.»

Le Burkina Faso fait partie de plus d’une trentaine d’autres pays africains, appelés « pays moins avancés » (Pma). Selon la Cnuced (2010), dans ces Pma, 6 personnes sur 10 vivent avec l’équivalent de 1,25 dollar par jour et près de 9 personnes sur 10 (88%) vivent avec l’équivalent de 2 dollars par jour ! Cela veut dire que ces pays ont besoin de retenir toutes leurs ressources pour les mettre au service de leur développement. Chaque sou qui sort de ces pays, sous forme de service de la dette ou de rapatriement de bénéfices, serait au détriment du bien-être de leurs populations. C’est pourquoi Sankara avait raison de dire que « si nous payons, c’est nous qui allons mourir ».
Et finalement, l’histoire lui a donné raison avec la décision d’annuler la dette des Pma et d’autres pays, après des campagnes internationales qui ont rendu hommage à Thomas Sankara et au président Fidel Castro pour avoir fait preuve de leadership, de courage et de clairvoyance en dénonçant une dette illégitime transformée en instrument de domination et de pillage des pays du Sud.

Toujours en liaison avec la dette extérieure du continent, Thomas Sankara fut l’un des rares dirigeants africains, sinon le seul, à avoir fustigé et rejeté les politiques d’ajustement de la Banque mondiale et du Fmi, qui ont alourdi le fardeau de la dette et appauvri les pays africains. Son gouvernement avait refusé toute forme de collaboration avec ces institutions et rejeté leur « aide ». Il avait élaboré et mis en œuvre son propre programme d’auto-ajustement, qui avait bénéficié du soutien des populations qui comprenaient le bien-fondé des politiques et le sens des sacrifices demandés de tous, dirigeants et citoyens.

LA LUTTE POUR LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT

En visionnaire, Sankara avait compris avant beaucoup d’autres, y compris dans le monde dit « développé », l’importance de la protection de l’environnement comme facteur indispensable à la survie même de l’Humanité. Des millions d’arbres avaient été plantés dans le but d’arrêter la désertification. Chaque évènement, baptême, mariage, était une occasion pour planter des arbres. Cela entraîna une mobilisation massive des populations qui ont compris le sens et la portée de telle décision: construire leur pays de leurs propres mains ! Voilà l’idée-force derrière la vision de Thomas Sankara.

C’est qu’il avait bien compris très tôt le coût économique et social que son pays risquait de payer du fait de la dégradation de l’environnement. C’est pourquoi l’un des axes majeurs de sa politique de développement a été la mobilisation des populations pour protéger leur environnement.

Sankara avait fait le lien entre le mode de production et de consommation capitaliste et la dégradation de l’environnement : «Cette lutte pour l’arbre et la forêt est surtout une lutte anti-impérialiste. Car l’impérialisme est le pyromane de nos forêts et de nos savanes. »
Aujourd’hui, les énormes dégâts causés par le changement climatique, du fait des émissions de gaz résultant du mode de production et de consommation des pays capitalistes, ont confirmé les prédictions de Sankara. Et son pays et le reste de l’Afrique, qui contribuent le moins à cette dégradation par une faible émission de gaz à effets de serre, risquent pourtant d’en payer le prix fort.

EN GUISE DE CONCLUSION

- Incontestablement, Thomas Sankara était un visionnaire, un leader charismatique et un révolutionnaire sincère. C’est pourquoi il a laissé une empreinte indélébile sur la conscience collective des peuples africains et son action a eu une profonde résonnance au-delà de l’Afrique.

- Il était en avance sur son temps. De nos jours, toutes les problématiques au cœur de son combat sont devenues des sujets au centre des débats au niveau national et international: la libération de la femme, la dette, la souveraineté alimentaire, la solidarité entre pays africains, la solidarité Sud-Sud, la protection de l’environnement, etc.

- L’Union africaine et les institutions continentales cherchent à forger un nouveau paradigme de développement pensé et mis en œuvre par les Africains eux-mêmes. Cela était l’axe central du combat de Sankara et de certains de ses illustres devanciers.

- Certes, comme toute œuvre humaine, celle de Sankara n’était pas parfaite. Elle est critiquable sur bien des aspects.

- Mais ce qui est sûr c’est qu’il a montré la voie vers un Autre Développement possible qui s’appuie sur la mobilisation du peuple et la confiance en soi contre les idées reçues et les modèles importés. Sans aucun doute, c’est une voie semée d’embûches mais la seule qui permette de « vivre libre et digne ».

- De même que Sankara avait repris les idées et le combat de ses illustres devanciers, de même d’autres sont en train de reprendre ses idées et son combat, qui sont plus actuels que jamais car, « on ne peut pas tuer les idées », comme il le disait lors d’un discours à la mémoire de Che Guevara, une semaine avant son assassinat.

- Thomas Sankara a physiquement disparu mais ses idées et son exemple vont continuer d’inspirer d’autres Africains pour poursuivre son combat et l’idéal pour lequel il a donné sa vie

- En ce sens, Sankara n’est pas mort ! Il vit en chacun et chacune de nous!

LISTE DES PERSONNAGES CITES:

- Joseph Ki-Zerbo : historien burkinabé, théoricien du développement endogène. Il fut l’un des principaux auteurs de l’Histoire Générale de l’Afrique, publiée par l’Unesco quand Amadou Makhtar Mbow en était le Directeur Général. Il est décédé en décembre 2006

- Kwame Nkrumah : premier président du Ghana, un des principaux leaders du Panafricaniste et éminent révolutionnaire. Il est l’un des pères fondateurs de l’Organisation de l’unité africaine (Oua) en 1963. Victime d’un coup d’Etat militaire fomenté par l’impérialisme anglo-américain, il mourra en exil. Mais l’Afrique et le Ghana le reconnaissent comme le leader incontesté de la lutte pour la Libération et l’unité de l’Afrique. Son Mausolée trône fièrement à Accra et sa statue au siège de l’Union africaine à Addis Abéba.

- Amilcar Cabral : originaire de la Guinée Bissau, dirigeant du Mouvement pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap-Vert contre le colonialisme portugais. Il fut assassiné le 20 janvier 1973 par des agents de l’Etat fasciste portugais. Cabral est l’un des théoriciens révolutionnaires les plus originaux en Afrique et dans le Tiers monde.

- Sékou Touré : premier président de la République de Guinée, un des Pères Fondateurs de l’Oua. Décédé en 1984

- Frantz Fanon : révolutionnaire et écrivain d’origine martiniquaise, ancien élève d’Aimé Césaire. Il s’engagea aux côtés du peuple algérien dans sa lutte de libération contre le colonialisme français. Il est l’auteur du célèbre ouvrage les « Damnés de la terre », une des critiques les plus pénétrantes du système colonial. Décédé très jeune (il avait moins de 40 ans) emporté par une leucémie

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** Demba Moussa Dembélé, économiste et chercheur est président d’Arcade - Texte présenté à l’occasion du 30e anniversaire de la Révolution du 4 août, marquant l’arrivée au pouvoir de Thomas Sankara. Présentation faire lors du Samedi de l’économie, le 4 août 2013, rencontre de réflexion organisation chaque mois par Arcade, en collaboration avec la Fondation Rosa Luxemburg à Dakar.

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