La jeunesse ougandaise à Boston : Ou comment les jeunes de la diaspora se débrouillent

Ils peuvent être un modèle à imiter pour d’autres jeunes de la diaspora. Rester en contact avec sa propre culture et sa propre religion, savoir s’installer dans un pays étranger, avoir de la créativité en matière de recherche d’emplois, avoir le soucis d’investir à long terme dans l’instruction, la jeunesse ougandaise à Boston ne manque pas d’exemples à partager.

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J S

L’Ouganda vient après le Nigeria, l’Ethiopie et le Kenya dans le transfert d’argent par la diaspora. Le montant est estimé à un milliard de dollars chaque année pour l’économie ougandaise. Au moins 30% de cette somme provient des jeunes. Il est donc important d’entreprendre une discussion sur la jeunesse en Afrique et dans la diaspora. A quelles stratégies de débrouillardise les jeunes ont-ils recours lorsqu’ils négocient leurs moyens de subsistance au cœur de la difficile réalité de la diaspora ? La jeunesse de la diaspora peut-elle être pour les autres, un modèle de débrouillardise, entre les réalités vécues et celles de leur propre pays? La jeunesse ougandaise de la région du Grand Boston dans le Massachusetts servira d’exemple pour une étude de cas.

LA JEUNESSE OUGANDAISE EN MOUVEMENT : LA QUETE DE "L’OR VERT"

Alors qu’aucun chiffre précis n’est disponible sur le nombre de jeunes Ougandais vivant à Boston, une estimation grossière avance le chiffre d’environ 1000. Comment se fait-il qu’il y ait un si grand nombre de jeunes Ougandais à Boston ? Ils font partie d’une vibrante communauté ougandaise estimée à environ 2000 personnes dans cette ville. Au début des années 1990, suite aux Programmes d’ajustements structurels si nuisibles, de nombreux Ougandais sont partis en quête de lendemains meilleurs aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Un secteur a émergé, surnommé ironiquement "Kyeyo" (en langue Luganda, cela signifie balai et évoque gens qui s’en vont et sont prêts à faire n’importe quel travail, y compris balayer des maisons).

"Kyeyo" est juste une métaphore pour toute sorte de boulots, y compris celui de chauffeurs, d’infirmière, d’enseignant, d’agent de sécurité, etc. Ce qu’il y a d’intéressant dans cette économie politique du Kyeyo, c’est que les gens s’engagent dans n’importe quel boulot disponible, sans tenir comte de leurs qualifications. Il n’est pas rare de voir un médecin devenir infirmier, un chargé de cours gérer un restaurant, des policiers qui font les chauffeurs. L’objectif de chacun est de gagner des dollars américains ou de l’"or vert", appellation de la monnaie américaine.

Les jeunes Ougandais sont d’abord arrivés avec leurs parents ou sont venus seuls. Certains prennent en charge leur fratrie suite à la pandémie dévastatrice du Vih/sida. A l’instar des plus âgés dans leur communauté à Boston, ils pratiquent toutes sortes de métiers pour gagner leur vie. Plus flexibles et adaptables, ils obtiennent des emplois dans des secteurs plus diversifiés que leurs parents plus âgés.

LA RELIGION COMME CAPITAL SOCIAL

Comme l’a formulé le célèbre philosophe et théologie africain, John Mbiti, "les Africains sont notoirement religieux". Une des façons de conquérir un cœur africain passe par la religion. La jeunesse ougandaise à Boston ne fait pas exception à la règle. La plupart d’entre eux sont affiliés à la religion de leur choix. Le groupe religieux le plus important reste la communauté catholique de l’archevêché de Boston. Cette communauté est probablement le groupe le plus dynamique de tous ceux de la diaspora basés sur la religion. On les trouve à Waltham MA, affiliés à la paroisse de St Mary où ils se rassemblent pour célébrer la messe, pour des réunions et célébrations de toutes sortes d’évènements. La célébration la plus importante du calendrier est la fameuse Ouganda Martyrs Feast qui a lieu le 3 juin, mais qui est habituellement célébrée un peu plus tard, le temps qu’un évêque catholique arrive d’Ouganda.

Ce qui semble être une célébration religieuse ordinaire a d’importantes retombées économiques et sociales. De nombreux jeunes profitent de l’évènement, qui attire environ un millier de pèlerins à Boston, pour démontrer leurs talents et leurs compétences d’organisateurs. Les distractions sont généralement présentées sous formes de théâtre, de danse et de musique. D’autre jeunes Ougandais, provenant d’autres Etats, se joignent à la fête. En Ouganda, beaucoup profitent de cette occasion afin d’obtenir un visa pour les Etats Unis et certains décident d’y rester. Une telle célébration renforce aussi la cohésion et l’esprit d’unité entre les Ougandais. Les défis liés à la diaspora sont plus faciles à relever lorsque les gens peuvent se rencontrer et partager leur expérience.

L’autre stratégie principale qui aide les jeunes à créer des liens est leur participation active au culte. Les jeunes Ougandais ont formé un comité dans le cadre de cette paroisse catholique et il leur a été alloué un espace dans le calendrier pour organiser le culte ou la liturgie pour une communauté plus large A ces occasions un repas est partagé.

LE BUSINESS

Les jeunes Ougandais sont très entreprenants. Certains d’entre eux sont impliqués dans des affaires comme la musique et les productions vidéo. D’autres rapportent des objets d’Ouganda pour être vendus dans l’économie informelle, continuation du secteur informel dynamique d’Ouganda. Un groupe de jeunes a même monté une station radio à Boston ! Quelques uns sont employés dans des commerces gérés par des Ougandais plus âgés comme le restaurant Karibu, un bistrot célèbre qui sert des plats ougandais à Waltham.

EMPLOI

Un grand pourcentage de jeunes Ougandais travaille comme infirmiers dans des maisons de retraite ; il s’agit du travail le plus lucratif disponible. En moyenne un infirmier gagne entre 10 et 20 dollars à l’heure, beaucoup plus qu’un enseignant d’université dans la plupart des pays africains ! D’où la séduction exercée par l’économie du "kyeyo". Avec de tels salaires, les jeunes peuvent acheter des terrains et construire des maisons en Ouganda. D’autres peuvent instruire leur frères et sœurs.

L’INSTRUCTION, L’INVESTISSEMENT POUR LE LONG TERME

Certains jeunes résistent à la tentation de gains monétaires rapides et vont à l’école dans certaines des meilleures universités de la Nouvelle Angleterre : Brandeis, Université de Massachusetts, Harvard, Boston College et Holy Cross. Ceux pourvus d’une instruction américaine ont une bien meilleure chance d’intégration dans le système économique et social américain.

QUEL AVENIR ?

Il est trop tôt pour discerner la contribution de la jeunesse ougandaise de Boston en faveur de leur pays d’origine et des Etats-Unis. Mais une chose est certaine : ils sont un modèle à encourager par rapport à d’autres jeunes de la diaspora, dans domaines comme : rester en contact avec sa culture et sa religion d’origine, comment s’établir dans un pays étranger, la créativité dans l’emploi, les investissements à long terme dans l’instruction et l’envoi d’argent si précieuse pour le pays d’origine.

L’engouement à chercher des lendemains qui chantent loin de l’Afrique n’est pas près de s’éteindre, compte tenu de la globalisation croissante. Même lorsqu’il y a des perspectives de croissance économique à un rythme soutenu en Afrique, la jeunesse africaine continuera de regarder au-delà de ses frontières. Les économies occidentales continuent de souffrir d’un manque de travailleurs et cette réalité va continuer d’attirer la jeunesse africaine en Occident.

L’envoi d’argent par la diaspora va continuer de dépasser les revenus d’exportation dans la plupart des pays africains les plus pauvres. Reste à savoir si ces transferts peuvent transformer les économies des pays les plus pauvres. Comme il reste à voir si les jeunes de la diaspora vont suivre l’exemple de la génération plus ancienne qui a fait usage de son expérience et de ses connaissances pour contribuer aux luttes pour la libération dans leur pays respectif. La dimension politique de la jeunesse de la diaspora africaine doit encore être renforcée.

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** Dr Odomaro Mubangizi enseigne la philosophie et est le doyen du département de philosophie à l’Institute of Philosophy et Theology à Addis Ababa. Il est aussi rédacteur de Justice, Peace and Environment Bulletin – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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