L’union africaine a 50 ans : les occasions manquées et les enseignements pour le futur

Le 25 mai 2013, l’Union africaine commémore le cinquantenaire de sa création sous la forme de l’Organisation de l’Unité africaine (Oua), remplacée en 2002 par l’Union africaine (Ua). Pendant que les opinions divergent quant à savoir si l’Oua/Ua a réalisé sa vison d’unité qui était le but de l’organisation continentale, il n’y a pas de doute que l’Afrique n’a pas besoin de 50 ans supplémentaires pour apprendre de ses erreurs passées.

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Lors du sommet fondateur de l’Oua, à Addis Ababa (Ethiopie), le 25 mai 1963, il était clair que la force qui poussait les dirigeants africains était "la libération de tous les peuples africains", ainsi que l’établissement d’une solidarité effective entre eux. Des dirigeants comme Nkrumah au Ghana et Ahmed Ben Bella et ses supporters dudit groupe de Casablanca, voulaient une unification immédiate de tous les peuples africains et l’abolition de toutes les barrières douanières et des frontières (The Africa report, May 2013). Cette occasion en or, de commencer un processus d’unification, a été perdue lorsque ses adversaires du groupe de Monrovia l’ont emporté avec leur proposition pour une organisation beaucoup plus souple, qui ne les empêcherait pas de garder des relations étroites avec leurs anciens maîtres coloniaux.

Même si l’Afrique a manqué d’emprunter la voie d’une fédération plus forte lors du sommet fondateur de l’Oua, il restait de nombreuses occasions au cours des cinquante dernières années pour revenir sur le droit chemin. Malheureusement l’Afrique n’est pas encore unifiée. C’est un continent de cinquante-cinq entités artificielles qui ne sont pas des nations, dont certaines n’auraient pas dû être reconnues comme pays, selon certains commentateurs.

Cet article développe l’argumentaire selon lequel les dirigeants de l’Afrique post indépendance, ainsi que leurs successeurs, ont échoué dans la réalisation de l’autodétermination et de l’unité qu’espérait et à laquelle aspirait la population africaine au moment de la décolonisation. Ces rêves se sont évanouis en mai 1963. Tout en reconnaissant que la fin de la colonisation et de l’Apartheid en Afrique du Sud constituait de grands pas dans la direction de l’unité africaine, le manque de volonté politique a depuis lors empêché l’Afrique de s’unir. Cet article propose cinq étapes de base, mais néanmoins importantes, que les pays membres de l’Ua peuvent franchir sans que les Africains attendent encore 50 ans pour cheminer vers l’intégration totale.

La division entre adeptes de Casablanca et adeptes de Monrovia ne s’est pas achevée lors du sommet de 1963. A peine trois ans après l’établissement de l’Oua, un coup d’Etat militaire a renversé le président Kwame Nkrumah affaiblissant ainsi le camp de ceux en faveur de l’unification. Les divergences entre les dirigeants de l’Oua ont été encore aggravées par les guerres par procuration que se livraient les Etats-Unis d’Amérique et l’ancienne Union soviétique pendant la Guerre froide. Par exemple, au milieu des années ’70, les dirigeants de l’Oua ont été incapables de se mettre d’accord sur quel mouvement de libération soutenir en Angola, entre l’União nacional para a independência total de Angola, le Movimento popular de libertação de Angola. En 1984, lorsque l’Oua a reconnu la République démocratique arabe sahraouie, le Maroc, l’un des plus forts soutiens du fédéralisme, a claqué la porte. A ce jour, il n’a pas rejoint l’institution continentale.

De plus, les nouvelles tentatives en 2007 pour revivifier les discussions pour un gouvernement de l’Union lors du sommet d’Accra (Ghana) n’ont pas abouti. Ceux en faveur d’un gouvernement fédéral immédiat et ceux en faveur d’une intégration plus progressive au travers du renforcement des communautés économiques régionales n’ont pas réussi à s’entendre sur une solution. Les dirigeants de l’Ua se sont contentés de recommandations pour transformer le secrétariat de l’Ua, la Commission de l’Union africaine, en un secrétariat plus puissant, l’Autorité de l’Union africaine, mais cette proposition a, dans l’intervalle, été oubliée.

Outre ces divisions au nouveau continental, l’existence de l’Oua en une moitié de siècle a aussi été marquée par des divisions continentales qui ont fait de l’intégration continentale un rêve lointain. Par exemple, le conflit entre le nord et le sud Soudan s’est poursuivi pendant des décennies sans que les dirigeants africains apportent une solution. Même après l’indépendance du Sud Soudan en juillet 2011, il reste des questions épineuses entre les deux pays qui continuent de diviser les opinions des dirigeants africains. Le conflit de 1996 dans la République démocratique du Congo (Rd Congo) est un autre exemple de la manière dont l’Afrique n’a donné aucun signe de progrès vers la voie de l’intégration continentale. Dans ce conflit, plus de onze pays africains étaient impliqués et combattaient dans deux camps opposés. La guerre en Rdc est loin d’être résolue.

Les dirigeants africains n’ont pas davantage défini des principes et valeurs qui gouverneraient une Afrique unie à laquelle tous les Africains aspirent. Alors qu’il y a 42 chartes, conventions et protocoles que les Etats membres de l’Oua/Ua ont adopté, la mise en oeuvre de ces instruments légaux est lente ou inexistante. Malheureusement, ce sont ces principes, directives et valeurs qui devraient caractériser le continent pour la population et par la population.

Il serait déplorable pour la population africaine, si ce 50ème anniversaire ne fournissait pas une occasion pour tout le continent d’apprendre de nos erreurs passées et d’embarquer sur une trajectoire d’intégration, sans attendre 2063, en vue de réaliser ce pour quoi les mouvements d’indépendance ont combattu sur tout le continent il y a 5 décennies. Il y a cinq mesures que les dirigeants africains peuvent prendre maintenant et non dans les prochains 50 ans.

Premièrement, les Africains devraient pouvoir financer toutes les activités de l’Union africaine. C’est une illusion de prétendre que nous sommes indépendants cependant que nos institutions, supposées favoriser l’intégration, sont encore financées par nos anciens colonisateurs et leurs alliés. Le continent africain a suffisamment de ressources pour financer le processus d’intégration. Nous devons seulement établir nos priorités. Il est difficile de comprendre comment un continent bientôt peuplé d’un milliard de personnes est incapable de financer son processus d’intégration. La même chose est vraie pour les Etats membres individuels en ce qui concerne l’indépendance financière. L’indépendance politique est incomplète sans indépendance financière.

Le deuxième problème concerne la résolution des questions de la terre et des ressources. Selon Sam Moyo, dans The land question in Africa : research perpectives and questions, les guerres civiles, les guerres entre pays, les migrations, les déplacements involontaires ne sont que les symptômes de conflits pour la terre qui vont croissants, impliquant des confrontations directes pour l’accès aux ressources naturelles, aussi bien par des forces capitalistes nationales qu’étrangères. Il sera impossible pour l’Afrique de s’unir si des conflits concernant la terre et autres ressources nationales perdurent dans de nombreux Etats membres de l’Ua. L’Union a développé de nombreux instruments légaux comme la Convention africaine pour la conservation de la nature et les ressources naturelles, ainsi que la politique de la terre : un cadre pour renforcer les droits à la terre, augmenter la productivité et garantir les moyens de subsistance. Lesquels, s’ils sont bien mis en œuvre par les Etats membres, pourraient significativement réduire les conflits en Afrique. Les dirigeants africains devraient avoir le courage d’aborder ces problèmes, dont nombreux sont ceux qui remontent à l’époque coloniale.

Troisièmement, les Etats membres de l’Ua doivent rendre effective la Cour africaine pour les Droits de l’homme et des peuples. Cette Cour a été établie en juin 1998 pour être un mécanisme continental garantissant la protection des droits humains et des peuples en Afrique. Le manque de financement adéquat de la part des pays africains nie aux Africains le cadre légal qui comprenne leur contexte et qui se fasse le champion de leurs droits et de ceux de leur communauté. De plus, le manque de financement et de volonté politique de la part des Etats membres empêche le continent de mettre un terme à une méchante culture de l’impunité. La prestation de la Cour africaine pour les Droits de l’homme et des peuples, au cours des quinze dernières années, démontre aussi le défi qu’il reste au continent à relever pour amener la justice et la réconciliation aux peuples africains.

Quatrièmement, il serait judicieux de mettre un terme à l’adoption de plus de charte et de conventions, pour mettre l’effort sur un véritable processus de mise en œuvre qui irait en direction de la réalisation des aspirations des peuples africains. Le concept d’indépendance financière est crucial dans ce domaine, parce que nombre d’instruments légaux africains ne requièrent pas seulement une volonté politique mais également des moyens financiers. Une révision de nos priorités peut résoudre la question des mises en œuvre lentes ou inexistantes.

La cinquième mesure que cet article propose consiste à permettre la libre circulation des personnes et des biens. Des millions d’Africains se demandent pourquoi ils ne peuvent pas se rendre librement d’un bout à l’autre du continent, pendant que des non Africains ont cette liberté. L’Africain ordinaire ne comprendra pas la véritable signification de l’Union africaine si les mouvements des personnes et des biens sont restreints par des mesures sans fondement. D’aucuns diront que certains voyageurs pourraient être une menace contre la sécurité ou représenteraient une charge sociale pour les ressortissants du pays hôte, mais tout cela n’est rien de plus qu’un prétexte pour empêcher les Africaines de réaliser leur union.

Les dirigeants africains ne vont pas juste se réveiller un beau matin pour commencer à mettre en œuvre les mesures proposées ci-dessus. Les citoyens africains doivent constamment le leur rappeler. Une des principales différences entre l’Oua et l’Ua est que cette dernière demande la participation de la population dans les affaires de l’Union. Dans l’Acte constitutif de a, les dirigeants africains reconnaissent qu’une Afrique forte et unie nécessite un partenariat entre les gouvernements et tous les secteurs de la société, y compris les femmes, les jeunes, et le secteur privé, entre autres (Organisation for African Unity, 2000). Chaque citoyen africain a un rôle à jouer pour assurer que l’Afrique soit forte et unie. La question dès lors est : "que pouvez-vous faire et que ferez-vous pour l’Afrique ?"

En conclusion, ce dont l’Afrique a besoin maintenant c’est la passion et le dévouement qui animaient des dirigeants comme Gamal Abdel Nasser en Egypte, Ahmed Sékou Touré en Guinée, parmi d’autres, en faveur de l’unité africaine. Ces dirigeants doivent être des visionnaires et éviter les politiques nationales mesquines fondées sur la haine, l’ethnicité négative, le régionalisme, le népotisme et la cupidité, entre autres démons, et qui empêchent de voir le tableau général. Comme l’a dit Kwame Nkrumah "l’Afrique doit s’unir" et ceci ne peut pas attendre jusqu’en 2063

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** Yves Niyiragira est chargé de programme à Fahamu. Les opinions formulées dans le texte ci-dessus sont les siennes et ne représentent pas nécessairement Fahamu – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger pour Pambazuka News

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BIBLIOGRAPHIE

Moyo, Sam (2003), ‘The Land Question in Africa: Research Perspectives and Questions, CODESRIA: Dakar

Organisation of African Unity (1998), Protocol to the African Charter on Human and People’s Rights on the Establishment of an African Court on Human and People’s Rights, June, Burkina Faso

Organisation of African Unity, (2000), Constitutive Act of the African Union, adopted by the thirty-sixth ordinary session of the Assembly of Heads of State and Government, 11 July, Lome, Togo

Smith, Patrick and Jobson, Elissa, (2013), ‘African Union at 50: Ending Dependency’, in The Africa Report, Groupe Jeune Afrique, pp. 22-30