Un an de gestion économique du Président Macky Sall : continuité ou rupture ?
Après 50 ans d’indépendance politique, le bilan, pour le Sénégal et les autres pays africains, reste mitigé, malgré « une renaissance » annoncée qui a du mal à prendre forme. Les gouvernements sont pour la plupart pris dans le piège de politiques déterminées par les institutions financières internationales (ajustement structurel et « consensus de Washington ») qui leurs laissent peu de marge de manœuvre économique et politique pour asseoir une politique indépendante au service des populations. Ces politiques refusées par les pays asiatiques bloquent l’émergence de véritables classes moyennes. À cela il faut ajouter d’importantes dépendances structurelles notamment dans l’approvisionnement énergétique, l’alimentation et la consommation de produits importés.
Les Programmes d’ajustement structurel (Pas) ont été désastreux en fin de compte pour les pays qui les ont mis en œuvre ! Leurs objectifs étaient d’éviter une crise financière systémique et assainir les finances publiques des pays débiteurs ; de rétablir les grands équilibres des pays pauvres en réduisant la demande globale, les déficits publics et l'inflation ; de changer de mode de croissance par la libéralisation interne et externe. Avec des moyens de pression odieux pour les faire accepter : le chantage sur la dette, les conditionnalités précises sur la libéralisation des économies et les contrôles fréquents du respect des conditions posées aux crédits.
Leur première grande conséquence a été un abandon des objectifs sociaux. Si bien qu’en matière de bilan économique et social la situation a été catastrophique de l’aveu même de la Banque mondiale : frein de la demande globale, chute des taux de croissance et de l'investissement, réduction des emplois (juxtaposition d'une économie du marché et de l'aumône), mise en place des conditions d'une nouvelle pauvreté. Et surtout la durée des programmes a été très supérieure aux prévisions. Il reste vrai que des crises financières ont pu être évitées et la lutte contre l'inflation a connu quelques succès.
Malgré une croissance de 2,6 % en 2011, projetée à 3,7 % en 2012, 4,3 % en 2013 et 5,6 % en 2017, le Fonds monétaire international (2012a : 196) voit dans la deuxième plus importante économie, en termes de produit intérieur brut (Pib), de l’Union économique et monétaire de l’Ouest-Africain (Uemoa), « un espace où les opportunités devraient se transformer en création de valeur ajoutée avec une meilleure distribution des richesses ».
C’est à se demander comment cela va arriver si l’on considère le taux de croissance qui, depuis 2004, se situe en moyenne à 3.3% du Pib alors que la valeur ajoutée agricole et industrielle stagne depuis plus de 20 ans à moins de 2%. Quant à la consommation d’énergie, elle est en deçà de que l’on observe chez nos concurrents aussi bien africains qu’asiatiques, en termes de potentiel énergétique et d’intensité énergétique. A cela il faut ajouter que seulement 3% de l’énergie commerciale distribuée va dans le secteur productif. Enfin, la balance commerciale des marchandises est structurellement déficitaire depuis 2004 avec -15,8 % du Pib en 2010 et des estimations à -17,3 % du PIB en 2012 et -15.9 % du PIB en 2013 (IMF, 2012b : 93).
Le Sénégal devrait plutôt revoir ses priorités afin d’aller vers un équilibre dans un délai de cinq ans et travailler à tirer profit des investissements des pays du Sud qui ne le concerne encore que très peu. Rappelons que la moyenne de l’Afrique subsaharienne en matière de balance commerciale des marchandises est positive avec une moyenne de 4,3 % du Pib entre 2011 et 2013.
Pour ce faire, les autorités doivent également créer et soutenir des espaces indépendants de réflexion stratégique indispensable avec une expertise et des compétences nationales et internationales, en vue de développer une autonomie dans la réflexion et faire émerger des consensus nouveaux. Ce changement de gouvernance doit aussi prendre en compte le retournement des principes du « consensus de Washington » (décloisonnement, déréglementation, désintermédiation). Il est établi en effet, y compris par les concepteurs de ces politiques néolibérales, que la coopération économique entre le Nord et le Sud, fondée sur le Libre-échange et les avantages comparatifs, est antinomique avec la solidarité. Il faut lui substituer le « régionalisme » fondé sur les avantages coopératifs.
Le « régionalisme » est un projet progressif qui sert de transition vers un monde multipolaire, et pas l'ouverture en haut des régions géographiques, pour l'expansion du capitalisme des monopoles. Il ne signifie pas nécessairement la construction d'unions continentales, mais doit commencer par les sous-régions et les États nationaux qui, eux-mêmes, peuvent être considérés comme les éléments de construction vers un monde multipolaire.
Le but stratégique du régionalisme est d’augmenter l'autonomie collective d'Etats vis-à-vis des centres de pouvoir ; d’augmenter l'action collective du Sud dans les négociations avec le Nord et de renforcer la démocratie intérieure de régions et des États et de reconquérir le droit au développement pour les pays du Sud, surtout le droit de l'industrialisation.
EVOLUTION DE L’INTERVENTION DE L’ETAT
L’action économique (activité économique) qui ne doit pas être confondue avec la politique économique, est constituée par l’ensemble des interventions de l’État pour corriger les déséquilibres susceptibles d’affecter l’économie nationale : récession, inflation, chômage ainsi que les déséquilibres de la balance des paiements. D’une manière très générale, elle cherche à répondre à quatre questions :
• Que produire qui corresponde à la fois aux besoins des économiques et à leurs ressources ?
• Comment produire pour maximiser la production en fonction de la demande attendue, tout en minimisant l’utilisation des ressources rares et les coûts ?
• Pour qui produire, c'est-à-dire comment répartir la richesse créée, y compris pour la demande non solvable (faute de revenus) ou pour des consommations rendues obligatoires par l’état (l’école..) ?
• Comment assurer l’équilibre, c’est-à-dire assurer le débouché des richesses créées, tout en conciliant l’exigence de liberté et d’équité des citoyens et des agents
La politique économique par contre s’intéresse aux fondements théoriques de l’intervention de l’État, aux instruments et aux stratégies de la politique économique.
Pour les partisans de l’Etat minimal, les pouvoirs publics devraient se limiter aux fonctions régaliennes (police, armée, justice), à la construction d’édifices publics et au respect des règles de la concurrence. Ce courant dominé par l’idéologie libérale avec l’influence d’Adam Smith et de David Ricardo a parcouru tout le XIXéme siècle. Il prêche l’individualisme, la concurrence et la non-intervention de l’État. Au cours de la Révolution industrielle, l’État va intervenir pour assurer le "décollage" (take-off) des économies. En France, l’État est intervenu pour le développement des chemins de fer et dans l’agriculture. L’Angleterre adopta les « Enclosures Act » pour les terrains agricoles. Les Etats Unis intervinrent dans le développement du chemin de fer. L’Allemagne mit en place des mesures protectionnistes avec Frederic. Au Japon, avec l’ère Meiji (vers 1868), l’État créa les premières entreprises pour les revendre ensuite aux familles (les zaïbatsus). Avec la crise de 1929, le New Deal eut un impact idéologique important aux États-Unis avec un changement considérable dans la conception du rôle de l’État : l’État devient interventionniste. Après 1945, l’État intervient de plus en plus dans la vie économique et sociale. Selon Keynes (1883-1946), l’État doit intervenir lorsque l’économie est défaillante et les moyens d’action se perfectionnent : politique monétaire, politique fiscale, politique de planification, politique de nationalisation…
Parmi les instruments d’intervention, il y a aussi le budget et la Loi de finances qui font l’objet de débats à l’Assemblée nationale. Ils posent moins de questions techniques d’analyse économique que l’intervention monétaire : il s’agit de décisions simples qui portent sur les recettes et les dépenses publiques. Le plus important, c’est comment ces dépenses et ces recettes agissent sur l’économie. Cela, nous ne le discutons pas ici.
La politique d’intervention économique est liée à une politique sociale de réduction des inégalités. On passe d’un Etat-gendarme à un État-providence. Mais dès le début des années 1980, on assiste à l’avènement des politiques libérales, car les politiques keynésiennes n’ont pas réussi à résoudre le problème de la crise : Grande Bretagne, 1979 : Thatchérisme ; Etats Unis – 1980 : Reaganomics ; France – 1986 : privatisations, liberté des prix, flexibilité du marché du travail (emplois précaires).
Durant les années 1990, les pays n’adoptent pas purement une politique libérale ou une politique keynésienne. Ils cherchent un compromis entre les deux et les débats portent plus sur la nature de l’intervention publique. C’est seulement après la Deuxième Guerre mondiale que la politique interventionniste de l’État a pris la forme de « stratégie de transition vers le développement ». Les pays industrialisés face à la stratégie japonaise de «développement en vols d’oiseaux sauvages », dont les succès étaient réels, avaient mis en place des politiques structurelles fondées sur les branches, les filières ou grappes comme instrument d’exécution et de gestion des plans d’action pour le développement industrie.
Ainsi la France de 1974 à 1981 a expérimenté la politique des créneaux qui consistait à se retirer des branches pour lesquelles elle estimait ne pas être compétitive sur le plan mondial, ou dont la demande ne connaîtrait pas une croissance soutenue et s’est reconvertie dans les secteurs où les possibilités de développement et de profits étaient avérées.
Dans un autre esprit, il existait la politique fondée sur une spécialisation sélective de filières. Elle, permet d’une part d’engendrer mécaniquement des gains de productivité grâce aux économies d’échelles, d’autre part de créer pour tous les stades en amont des filières des débouchés de masse. Ce qui permet à l’ensemble industriel de se renforcer, créant ainsi les bases nécessaires au développement de produits plus sophistiqués et d’activités de recherche ainsi que les moyens pour entretenir les secteurs plus faibles mais qui par nature doivent peser moins lourds. C’est celle utilisée par des pays comme les États Unis qui, ayant déjà couvert l’ensemble du champ industriel, décident de relancer l’investissement en concentrant ses moyens sur quelques pôles afin de gagner en productivité pour une meilleure adaptation aux mutations technologiques de la 3ème révolution industrielle.
Pour les pays du Sud, après la conférence de Bandung, W.W. Rostow, dans son ouvrage «Les étapes de la croissance économique» a tenté de « dégager les caractéristiques uniformes de la modernisation des sociétés. Pour lui, le développement serait un phénomène inéluctable. Certains pays ayant simplement débuté le processus avant d'autres, tout ne serait donc qu'une question de temps. Les sociétés parcourent, au cours de leur développement, cinq différentes étapes : la société traditionnelle, les conditions préalables au décollage, le décollage, le progrès vers la maturité et l’ère de la consommation de masse.
La stratégie fondée sur l’Isi, développée par la Commission économique des Nations unies pour l’Amérique latine (Cepal) avec Raoul Prebish, et la politique de valorisation des exportations de produits primaires ont mis à l’évidence l’échec des politiques d’industrialisation en Afrique. Faute de pouvoir développer un marché intérieur et régional, ces pays ont été obligés d’écouler leurs produits sur les marchés européens. Les ressources tirées de ce commerce ont servi à l’importation d’équipements et d’aliments à hauteur de 90 %, entraînant un déficit chronique structurel de la balance commerciale depuis une soixantaine d’années pour la plupart des pays. Les répercussions de ce déficit ont été lourdes de conséquences pour l’économie, entraînant une dégradation continuelle des conditions de vie de la population et des dégâts écologiques majeurs.
Aujourd’hui, au-delà des expériences algérienne, tunisienne, chinoise, coréenne ou brésilienne d’industrialisation, au delà des théories du développement équilibré, des investissements moteurs, du développement par pôles, des industries industrialisantes, il apparaît que personne n’est plus à la recherche de la stratégie universelle d’industrialisation applicable partout et tout le temps. Il est tout aussi clair, que seuls ceux qui ont pu développer un marché intérieur et ont su combiner les différentes stratégies ont obtenu quelques succès dans leur accumulation. Dans beaucoup d’autres pays africains la restructuration en dents de scie de l’économie mondiale, surtout depuis la mise en œuvre des Pas, n’a pas permis l’émergence de revendications précises. On peut même se demander si l’émergence de thèmes relatifs à la couverture des besoins essentiels, la pauvreté et la bonne gouvernance, n’est pas révélatrice des échecs ?
POLITIQUES ALTERNATIVES OU CONTINUITE AU SENEGAL
Au Sénégal, les politiques mises en œuvre depuis le début des années 80, dans le contexte des Pas, sont de nature conjoncturelle (une conjoncture étant une situation économique à un moment donné). Elles sont à chaque étape une politique à court terme ou à moyen terme avec une action en principe limitée dans le temps. Ces politiques ont eu une fonction de régulation (stabilisation) qui cherchait à maintenir les grands équilibres : emploi ; stabilité des prix ; croissance ; équilibre extérieur. Elles sont des politiques de rigueur :
• Le Plan de redressement économique et financier (Pref) est élaboré en 1979, par les experts du Fmi et de la Banque mondiale avec les objectifs suivants :
- la réduction des dépenses, surtout sociales et des subventions à la consommation ;
- la limitation de l’intervention de l’État dans l’économie par la privatisation des sociétés et des entreprises publiques à caractère marchand dans le court et moyen terme ;
- le respect absolu des échéances de la dette extérieure ;
- l’effort d’accroissement des recettes.
• En 1984, le gouvernement et la Banque mondiale, reconnaissant l’échec du Pref, élaborent ensemble un nouveau plan à soumettre au Club de Paris : le Programme d’ajustement structurel à moyen et long terme (Pamlt). Le programme vise les objectifs suivants : la résorption des déséquilibres macro-économiques par des mesures tendant à restreindre la demande intérieure ; la relance de la croissance par le développement de l’initiative privée individuelle ; la correction de la distorsion au niveau des prix ; la stimulation de l’épargne intérieure. Il donna naissance à l’École nouvelle, à la Nouvelle politique du secteur parapublic, à la Nouvelle politique industrielle (Npi) et à la Nouvelle politique agricole (Npa). Malheureusement, malgré une situation favorable caractérisée par la dépréciation du dollar américain et une baisse des cours mondiaux du prix du pétrole, le Pamlt n’a pas connu le succès espéré.
• Le fameux Plan d’urgence économique de 1993 mettait l’accent sur l’accroissement des recettes et la diminution des dépenses pour améliorer la situation budgétaire d’ensemble. Mais il présentait dès le départ des insuffisances liées à l’absence de concertation préalable, à la non-prise en compte d’un volet de relance de l’économie, à la surfiscalisation des entreprises et à la contraction de la demande que le prélèvement exceptionnel sur les salaires allait entraîner.
L’année 1993 fut en fait une année de crise profonde. Au niveau de l’industrie, les mauvaises performances, induites en grande partie par les mouvements sociaux qui ont suivi les élections législatives de février, se traduisent par la baisse de consommation d’électricité (1,8 % sur l’année, pour l’ensemble et 14,2 % pour la haute tension). La production de calcium des Ics a baissé de 27 %, pendant que Taiba a vu sa production baisser de 50 %. Les produits arachidiers n’ont pas connu de trituration au quatrième trimestre de 1993 ; le tonnage collecté en 1992/1993 a été épuisé au troisième trimestre.
Les variations de la production annuelle (1992/93) illustrent les difficultés du secteur avec une baisse de 51,6 % pour l’huile brute et 51,3 % pour l’huile raffinée à base d’huile végétale importée (colza). Ce faisant, les effets sur le commerce extérieur se sont fait encore plus ressentir : la Sonacos n’a pas pu saisir l’opportunité offerte par la hausse des prix à l’exportation de 35 %, puisque les exportations de produits arachidiers ont baissé par rapport à 1992 de 26,7 %. Par contre, les importations de riz et de blé ont augmenté respectivement de 20,9 % et 4,2 % en volume alors que la baisse du prix moyen du baril en dollars US a contribué à la baisse de 18,2 % du montant de la facture payée en 1997.
Pour beaucoup d’acteurs, fondamentalement, si l’ajustement interne a échoué, c’est peut-être parce que les Pas ont eu le tort de considérer la crise comme conjoncturelle.
Depuis son éligibilité à l’Initiative Pays pauvres très endettés (Ppte) en 2000, le Sénégal met en œuvre, à travers sa Stratégie de réduction de la pauvreté (Srp), des politiques et programmes intégrés, dont l’objectif consiste à assurer les conditions d’une croissance soutenue et durable à même de réduire significativement la pauvreté et d’atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (Omd) : le Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (Dsrp-I, défini sur la période 2003-2005 et le Dsrp-II couvrant la période 2006-2010), associé à la Srp et à la Stratégie de croissance accélérée (Sca) pour « une meilleure réorientation des objectifs de développement économique et social prenant en compte la réduction des inégalités sociales et l’accélération de l’atteinte des Omd».
Il y a eu ensuite le Document de politique économique et sociale (Dpes), validé pour servir de cadre de référence à l’action de l’État et des partenaires au développement sur la période 2011-¬2015. Toutefois, « au regard des récentes mutations intervenues, le Sénégal se trouve confronté à de nouveaux défis aux plans politique, institutionnel, économique et social. Il importe à ce titre d’opérer les ajustements nécessaires sur le Document de politique afin de mieux adapter la stratégie au nouveau contexte, d’insuffler un nouvel élan et de forger un partenariat plus ambitieux ». L'élaboration de la Stratégie nationale de développement économique et social (Sndes) pour la période 2013-2017 obéit à la prise en compte de ces mutations selon le gouvernement !
Une lecture minutieuse du document de la Sndes montre que les logiques de politiques économiques et sociales obéissent aux mêmes règles édictées par les institutions de Bretoon Woods ! Il ne nous apparaît pas la définition d’une politique structurelle à long terme dont les effets sont durables et à même de modifier en profondeur l’évolution de l’économie. Car l’existence de ressources naturelles abondantes, de même que les stratégies fondées sur les «industries industrialisantes» ou «les pôles de croissance» ne constituent pas le gage d’un développement économique équilibré. Pas plus que les théories de développement connues, ni même la fixation d’objectifs de satisfaction des besoins sociaux, comme cela semble être le cas aujourd’hui avec la poussée vertigineuse de la pauvreté.
Aménagement donc mais continuité !
La monnaie étant le premier instrument de souveraineté, la Sndes ne dit rien sur la dépendance du franc Cfa vis-à-vis de l’euro et du Trésor français, qui est l’une des principales causes des difficultés économiques des pays francophones. Ces pays sont le pré carré de la France, raison pour laquelle les pays émergents n’y investissent quasiment pas. Les pays de la Zone franc ont le taux de change le plus élevé au monde ! Il permet aux entreprises françaises telles que Bouygues, la Société générale, Bnp Paribas, Bolloré, d’éviter toute dépréciation de leur gain. Il est librement convertible sans contrôle du taux de change - fait inédit et inacceptable pour des pays sous-développés, c’est contraire à toutes les règles économiques ! Les monnaies des Brics ne sont pas convertibles.
La convertibilité du Franc Cfa, qui perdure depuis les indépendances, permet aussi aux élus de s’adonner librement à la corruption sans être inquiétés. Au surplus, les taux d’intérêt dans la Zone franc avoisinent les 18%. Alors que partout en Afrique on note un renouveau économique, notamment dans l’Est du continent, le franc Cfa plombe nos économies et aggrave la pauvreté.
Deux engagements importants du candidat Macky Sall avaient été très bien accueillis en son temps et suscitaient de l’espoir. Il s’agissait de la création d’une Banque nationale de développement (Bnd) par la transformation du Fonds de promotion économique (Fpe) et du Fonds national de garantie de l’investissement prioritaire (Fonsgip), destiné aux petites et moyennes entreprises ainsi qu’aux exploitations agricoles familiales. Elle est créée, mais avec l’Etat comme actionnaire minoritaire à hauteur de 25% du capital elle devient une simple banque privée conformément à la volonté des Institutions financières internationales. Il faut noter qu’aucun pays industrialisé ne s’est développé sans la mise en place préalable de ce type de banque. Les pays émergents font de même.
Au Sénégal, l’ajustement structurel a décidé qu’une banque de développement, pour financer les entreprises sur le long terme ainsi que les industries naissantes, n’avait pas sa raison d’être. Ainsi, la Banque nationale de développement du Sénégal a été dissoute. La Société de financement industriel et touristique n’est pas passée par un autre chemin. Il faut tout de même reconnaître que cette dernière ne finançait quasiment qu’une clientèle politique et quelques relais aux pouvoirs publics, issus des milieux journalistiques et culturels. Elle a été dissoute pour mauvaise gestion.
Le gouvernement du président Abdoulaye Wade, tout en assumant la détermination des politiques au Sénégal par le Fmi et la Banque mondiale, a tenté une résistance en lançant une politique keynésienne de relance dont on connaît les limites : c’est une politique conjoncturelle ; avec de la contrainte extérieure pour un pays ouvert comme le Sénégal ; avec de l’inflation : plus de revenus entraînent plus de demande (plus de consommation et plus d’investissement) or selon la loi de l’offre et de la demande, si la demande est supérieure à l’offre l’inflation augmente ; on note un effet boule de neige et le déficit budgétaire, lorsque la richesse créée est insuffisante pour payer les intérêts de la dette, peut s’aggraver.
La construction d’une alternative économique et sociale est nécessaire. Elle passe par la mise en place d’une politique structurelle fondée sur l’industrialisation à travers des mesures prises par le gouvernement afin d’améliorer les performances de l’appareil de production, afin de l’adapter à la compétition économique mondiale. La première étape est la révolution agricole. L’approche en termes de projets, de branches, filières ou grappes est, hélas, bouleversée par la vitesse de l’innovation technologique. Elle n’est plus pertinente pour fonder une politique structurelle, la compétitivité s’appuyant désormais sur des ressources qui proviennent de l’ensemble du tissu productif. Des techniques et des méthodes génériques déterminent les procédés, les produits et même les marchés.
Dans ces conditions, le premier problème n’est pas un problème de capitaux ni d’équipement, mais de promotion de la matière grise nationale en vue d’assurer une fonction d’anticipation et de veille technologique. Ses moyens sont la réglementation, les aides fiscales à la recherche et à la formation, la stimulation de l’investissement, l’encouragement à des rapprochements entre entreprises et groupes nationaux, les commandes publiques, les grands projets financés par l’État, le développement du secteur public, les grands travaux, la planification
C’est pourquoi il nous faut assumer que le Sénégal, de même que les autres pays africains doivent mettre en place des politiques d’industrialisation. Une industrialisation alternative, dans le cadre de politique de développement autocentré, suppose que l’investissement soit réalisé dans un milieu de propagation favorable pour produire des effets positifs. Une industrialisation qui, comme ailleurs, a commencé par la maîtrise des conditions de l’accumulation nationale, qui pose résolument la question de l’autonomie par rapport à la division internationale du travail :
- maîtrise locale des ressources naturelles ;
- maîtrise locale du marché ;
- maîtrise de la reproduction de la force de travail ;
- maîtrise locale des techniques.
- maîtrise locale de la centralisation du surplus.
Mais la maîtrise des conditions de l’accumulation suppose l'organisation dans le temps de la réalisation d'objectifs qu’un pays se donne, c’est-à-dire la planification. Elle est un système constitué par un ensemble d'éléments interdépendants en interaction et en interrelation, qui agissent les uns sur les autres. Les différents éléments du système établissent des relations dans le cadre de la formulation de politiques, de l’élaboration et de la mise en œuvre de plans de développement. Le Sénégal indépendant, qui s'était bâti, au fil des années, une riche expérience, a vu, à partir des années 80, les programmes d'ajustement structurel décrédibiliser totalement sa politique de planification avec de graves conséquences. Parmi lesquelles la déstructuration, l’affaiblissement de l’État et de son autorité.
De nouvelles visions, prônant la prise en compte de la dimension sociale de l’ajustement, ont pris la place (Dsrp, Sca, Dpes Sndes). Or, conformément à la Constitution, le Plan d’orientation pour le développement économique et social demeure comme cadre général de pilotage de l’économie. Le législateur a ainsi érigé le Plan au rang de loi de la République. Dans ce cas, la planification est un exercice de souveraineté qui relève de la responsabilité de l’État qui doit, à travers elle, matérialiser les choix prioritaires du gouvernement.
Cette multiplicité des documents et des horizons de planification différents demeure un défi à relever. Ce défi concerne également l’articulation entre les plans élaborés au niveau des collectivités locales (régions, communes et communautés rurales) et ceux élaborés au niveau national. Force est de constater que depuis plus de deux décennies le Plan a perdu de son influence à cause de l’incursion des bailleurs de fonds, avec l’avènement de nouveaux instruments qu’ils soutiennent et renouvellent périodiquement. Cela indique qu’eux-mêmes ne savent pas toujours dans quelle direction il faut aller.
Le renouveau de la planification a été proclamé à Addis-Abeba en 2012, au cours de la réunion conjointe de la Conférence des ministres de l’Économie et des finances de l’Union africaine et de la Conférence des ministres africains des Finances, de la planification et du développement économique de la Cea. Le Sénégal devrait saisir l’occasion pour :
- clarification le rôle des instruments et leurs interrelations ;
- reconfigurer l’organe central de planification en y domiciliant toutes les fonctions et structures clés du système ;
- systématiser la mise en place des organes de planification annexes (particulièrement au niveau des ministères et des collectivités locales) ;
- rendre les ministères moins « opérationnels » et renforcer les directions chargées de la mise en œuvre des politiques ;
- mettre en place un dispositif de renforcement des capacités.
CONCLUSION
Beaucoup de mesures prises vont dans le bon sens, notamment la priorité à la réforme de la gouvernance. Mais les populations sont dans l’attentisme et la perte de confiance dans le domaine économique se fait sentir. La volonté de rendre la confiance des investisseurs dans l’économie nationale, particulièrement à travers certaines dispositions du nouveau Code des impôts, est également une bonne chose. Il faut aussi et surtout écouter le secteur privé national, entendre les injustices qu’il subit et les réparer. Le gouvernement devra enfin réorienter les investissements publics vers l’industrie à forte valeur ajoutée ainsi que vers les secteurs exportateurs. Cela doit être accompagné par une meilleure mobilisation du foncier public en faveur des porteurs de projets. Toutes ces mesures doivent être complétées par un recadrage des stratégies sectorielles sur la base d’un partenariat public/privé plus effectif.
Il nous faut non plus ne pas oublier que ce n’est pas un hasard si le Mali, l’Égypte et la Tunisie sont dans la tourmente. C’étaient les trois pays du continent les plus engagés dans les réformes néolibérales, même si beaucoup a été fait concernant le Mali pour braquer notre regard sur les réformes relatives aux droits civils et politiques. Il n’y aurait pas eu ce terrorisme dans ce pays si les programmes d’ajustement structurel n’avaient pas détruit l’État et refusé le soutien aux populations les plus faibles et mis l’économie dans le chaos, si le Consensus de Washington n’avait pas imposé l’ouverture des frontières et écrasé les prix du coton, s’il n’y avait pas eu la baisse drastique de l’aide publique au développement, si la crise financière qui s’est prolongée en crise économique n’avait pas réduit les transferts des émigrés, si les Occidentaux n’avaient pas provoqué la dissémination des armes de Kadhafi dans le désert et les pays limitrophes, si les pratiques ouvertes de corruption, de concussion récurrente, de prise illégale d'intérêt et autres trafics d'influence de toutes les élites n’étaient pas devenus la règle depuis le début des années 90. La France n’aurait pas eu à intervenir enfin, si les officiers maliens ne se mettaient pas à vendre les places dans l’armée aux familles dont l’État ne pouvait pas assurer un emploi aux enfants, moyennant un million de francs Cfa ou plus.
Sur la route vers l’émancipation, les batailles sont rudes, car on se meut toujours dans un réseau de contradiction, l’essentiel est de ne pas perdre toutes les batailles.
La politique est tellement décrédibilisée que l’on n’attend plus rien d’elle ! Beaucoup de personnes se détournent d’elle lorsque quelques autres n’y participent guère, à moins de crier leur rejet des hommes et des partis en place. La majorité des électeurs ne croit plus à la parole politique, ayant des difficultés à distinguer le démagogue du vertueux quand la politique est réduite à la communication. La démocratie électoraliste a tué la démocratie civique et dans cette dégénérescence où une oligarchie de politiciens accumule les richesses de façon démesurée, des cohortes de populations, à qui mieux mieux, cherchent à tirer un bénéfice matériel de leur souveraineté en monnayant leur bulletin de vote. Quid de la démocratie sociale, réduite à la politique « redistributive » de l’État et à ses avantages ? Qui dans ces conditions peut croire que la démocratie permet de choisir les gouvernants ou de les chasser ? Il a raison celui qui dit que la démocratie est entrée dans l’ère de « l’horreur politique.
L’horreur néolibérale est bien plus scandaleuse que l’horreur coloniale, parce qu’elle est choisie, provoquée par les uns, tolérée par les autres. Mais elle peut être vaincue par la mobilisation des couches sociales ainsi que par les formes d’organisation sociale qui permettent le développement des forces productives liées au marché intérieur. À condition de faire de la politique autrement, de remplacer l’immobilisme et la démagogie par l’audace et la pédagogie !
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** Dr Chérif Salif Sy est économiste, membre de l'Association sénégalaise des économistes, du Codesria et du Forum Mondial des Alternatives
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