L’honneur des transhumants

On connaît l’histoire du vent qui tourne et de la girouette qui suit pour rester dans la bonne direction. Mais l’indignité humaine n’est pas le socle sur lequel on doit accepter que se bâtisse l’activité politique. La « transhumance » est un poison qui doit cesser de pervertir les mœurs politiques.

Nul n’a envie de prendre l’instant de la réflexion avant de revêtir la toge du Procureur lorsqu’il est question d’honneur et de dignité .Seul importe le désir de libérer la parole au risque de perdre personnellement sa réserve naturelle. Pour une fois, nos amis nous pardonneront les propos et le ton utilisés. Ils ne relèvent pas du modèle d’urbanité et de courtoisie. Mais ils comprendront que nous n’avons pas l’intention d’épargner notre intransigeance à ceux que nous nommons : transhumants.

A peine l’alternance accomplie en mars 2000, tous les Sénégalais savent déjà à quoi s’en tenir sur les visées et calculs, les lâchetés et inconstances des transhumants. Comment justifier qu’ils se retrouvent au coude à coude avec ceux avec lesquels ils ne pouvaient hier encore partager les mêmes valeurs? Subitement qu’ils soient en concordance avec le mouvement du changement avec lequel ils n’étaient pas en résonance. Jusqu’où iront-ils dans leur propre négation ?

Ces personnages ayant tous les goûts dans leur nature, flattent du col tout ce qui bouge pour mieux faire passer la bride, se fondre dans le moule en perdant le privilège de la liberté, du défi. Et pire le sens de l’honneur au profit de l’alignement, du calcul et du consensus.

Incapables de faire preuve de patience, de détachement, de gagner leurs galons, d’exhiber leurs mâchoires, leurs crocs, ils guettent les tendances. Sentant le vent comme une planche à voile, ils poussent les louanges, les discours panégyriques jusqu’à l’absurde.

Par leurs mollesses et leurs postures, leurs artifices et leurs ruses, les transhumants ont ouvert la voie au populisme, aux approches simplistes, à l’absence de civisme, de conviction républicaine, à l’abstention, à la fin de la bipolarisation politique.
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Ils ont réussi à banaliser la méritocratie, à casser le travail d’éducation et de sensibilisation de la société civile, à bafouer la volonté populaire et à installer le Sénégal dans une campagne électorale permanente. Plus grave, ils donnent à la jeunesse sénégalaise le sentiment que l’effort et le mérite sont de- venus inutiles.

Il est temps que ces pratiques dégradantes soient définitivement bannies.

Les transhumants doivent finalement savoir que le Sénégal et le contribuable sénégalais ne peuvent pas, dans un Etat sérieux, continuer à entretenir avec leurs maigres ressources publiques, des hommes et des femmes sans la moindre éthique de conviction et de responsabilité.
Il est pathétique que la vie politique nationale puisse témoigner encore de ce traditionalisme effarant ne relevant que d’un simple intérêt matérialiste.

Chez « ces gens-là », la politique ne s’apparente pas à la créativité. Elle est une carrière, une rente économique. Le ventre importe plus que l’intérêt général.

Nous préférons incontestablement les vainqueurs en sport qui acceptent la compétition : la victoire comme la défaite et qui se font par eux-mêmes puisque ni héritiers, ni assistés.

Le président Senghor, partisan de valeurs philosophiques fondées sur le « muñ » (patience), le « jom » (dignité) et le « kersa » (pudeur) qualifiait le jeu de théâtre de ces personnages qui changent de camp comme on change de chemise de «sénégaléjades .»

Faut-il vraiment croire que la politique est une balançoire aux mouvements gracieux où tout est permis? Où on passe allègrement d’une idéologie à une autre ? D’une prairie à une autre ? A quoi bon claquer donc bruyamment la porte du « père », abandonner ses nouveaux compagnons de parti pour revenir implorer le pardon paternel ? Ou confesser publiquement son calvaire au sein de sa vieille famille politique, arrachant au passage des larmes sincères à de pauvres compatriotes pour n'afficher ultérieurement qu'une conception contradictoire? Ou encore initier avec fracas un mouvement de soutien en faveur du Président sortant pour se retrouver ensuite dans les bras de son successeur ?

« Tristes sont les Esprits qui rapetissent leur Mémoire, qui rapetissent leur Histoire », scandait le poète.

Lorsque on a le sens de l’opportunité, on l’a en permanence. Mais il n’en demeure pas moins, qu’en politique, contrairement à Talleyrand, il n’y a pas que des circonstances. Il y a des principes.
Aujourd’hui, le peuple sénégalais vomit son zénith de dédain sur « ces gens-là » qu’on a pu voir les uns et les autres à l’œuvre, plus souvent pour le pire que le meilleur, trompéter, violoner, flûter et chanter pour leur rappeler qu’il y a une limite d’indécence à ne plus franchir. Il entend signifier fermement aux transhumants que le seul honneur qui leur incombe est de ne plus polluer l’espace public avec leurs déclarations de ralliement insensées.

Nous serions toutefois justes si quelques uns parmi eux s’étaient alarmés, avaient eu le courage de dissoner un temps en relevant les dérives du chef. Ils avaient fait leur choix : accéder à la consistance matérielle dans l’orchestre du Titanic en devenant non pas les premiers violons mais plutôt des espèces de hauts parleurs diffusant et amplifiant les pensées de « la seule constante.»

La vertu du politique doit être une attitude de vie. Il est par conséquent de l’honneur et du devoir de tout élu de se mettre en accord avec ses idées.

Dans un scrutin uninominal, nos nomades politiques auront quelques scrupules à aller directement à la bataille. Tant il est vrai que leurs électeurs ne leur suivent plus, déroutés par leurs fidélités à géométrie variable, leur girouettisme pitoyable.

Beaucoup de leurs amis ont pourtant refusé avec dignité de vendre leur âme, d'adopter une stratégie lillupitienne. Ces derniers ont rompu de façon définitive et quand il le fallait avec leur parti parce que n’acceptant pas de raisonner en termes d’attente et de repliement aux seules fins de consolider des avantages acquis. Ils sont restés fidèles à leur idéal.

Il est donc heureux de découvrir dans ce pays des élus qui portent des valeurs de conviction, de morale et d’éthique. Des hommes et des femmes qui ont le calme des vieilles troupes. Celles qui savent que tôt ou tard le vent tourne. Au moment où le Sénégal vient de réaliser une alternance plus citoyenne que politique, se renier pour échapper à tort ou à raison aux fourches caudines de la justice relève d’un stoïcisme absurde et stérile.

Ces Messieurs craignent-ils que le changement n’apporte un peu de clarté ? Que le passé ne vienne submerger les bords du présent ?

Au-delà de la question de l’amélioration de sa vie quotidienne, le peuple sénégalais souhaite désormais une moralisation de la vie publique.

Légitiment, il hausse son niveau d’exigence, choqué par la sédimentation de l’inacceptable dans la République. Il n’entend plus voir les choses en amateur. Il veille et surveille les transhumants.

En 2012, le Sénégal ne veut plus découvrir avec la même perplexité comme en 2000 qu’il existe encore ce genre de contrat : la transaction sur l’honneur en échange d’une cueillette des voix ou d’une impunité.

Le nouveau type sénégalais veut de la politique autrement: idée contre idée, projet contre pro- jet, programme contre programme, proposition contre proposition. Une politique plus pure, plus haute où la dignité serait érigée en impératif catégorique.

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** Mamadou Diallo est avocat au Barreau de Paris, Docteur en droit Responsable des Cadres AFP-France

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