Nicolas au Sahara

Le Mali allait à vau-l’eau avec un pouvoir central en mal d’autorité, malmené par la guerre dans la Sahara et miné par une mauvaise gouvernance. Il a suffit que Sarkozy fasse le reste avec sa désastreuse politique africaine pour ruiner une des rares démocraties qui se construisait en Afrique.

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A quelques semaines des élections présidentielles tant maliennes que françaises, le renversement par la soldatesque de Amadou Toumani Touré, dit ATT, confirme le caractère erratique de la politique africaine de Nicolas Sarkozy. Inauguré, au sud du Sahara, par le calamiteux discours de Dakar, le mandat de ce dernier se clôt sur la destruction de l’une des rares démocraties africaines qui étaient parvenues à s’institutionnaliser à l’issue de la grande vague de mobilisation de 1990. Un retournement que n’éclipse pas l’éclat de l’alternance au Sénégal, au moins du point de vue français puisque Nicolas Sarkozy avait cru bon d’adouber Karim Wade lors du sommet du G 8 à Deauville, en 2011, au grand embarras de Barak Obama.

Bien sûr, la responsabilité de ce triste dénouement revient au premier chef aux Maliens eux-mêmes. Et notamment aux mutins qui semblent ne point savoir que faire de ce pouvoir dont ils se sont emparés à la pointe de leurs fusils et qui sont bien en peine d’imposer à leurs troupes un minimum de discipline, à défaut de pouvoir coopter des personnalités politiques susceptibles de blanchir leur entreprise et de leur donner les moyens de gouverner. De notoriété publique, la démocratie malienne était malade, le pouvoir central n’était plus en mesure d’exercer son autorité dans le Nord saharien en proie à de multiples trafics, et le pays allait à vau-l’eau. Il n’empêche que la politique de Nicolas Sarkozy, depuis cinq ans, non seulement n’a été d’aucune aide, mais encore a contribué au pourrissement de la situation.

D’emblée, le nouveau locataire de l’Elysée, qui avait déjà des relations difficiles avec Amadou Toumani Touré lorsqu’il occupait la Place Beauvau, a mis sous pression celui-ci afin de lui faire accepter un accord de réadmission des migrants sans papiers en provenance du Mali. Pour des raisons de politique intérieure, ATT ne pouvait que refuser cette demande, pour insistante qu’elle fût. Ce premier contentieux envenimera les relations entre Paris et Bamako de façon irréversible, compte tenu de l’entêtement de Nicolas Sarkozy et de ses ministres de l’Intérieur successifs. Et ce d’autant plus que la politique africaine de l’Elysée se limitait désormais à la seule problématique des migrations, du fait de l’amenuisement dramatique de l’aide publique au développement de la France (1).

Lorsqu’une nouvelle thématique vint se greffer sur l’enjeu migratoire –celle de la lutte anti-terroriste, à la suite de la multiplication des prises d’otage dans le Sahara– Paris ne trouva pas à Bamako des interlocuteurs plus accommodants. Amadou Toumani Touré était hostile à la militarisation aveugle de la question, dont il voyait les dangers et le coût pour son pays. Il s’est alors trouvé sous les feux de critiques croissantes de la part des autorités françaises et de leurs supplétifs mauritaniens, qui sont moins prompts à s’interroger sur le jeu très trouble de l’Algérie dans cette partie du monde. Le piège s’est alors refermé sur ATT.

D’une part, la France et la Mauritanie ont commencé à guerroyer contre AQMI sur le territoire du Mali sans s’embarrasser de respecter sa souveraineté. Le passage au tout militaire n’a évidemment rien résolu, et créé de nouveaux problèmes en désorganisant la maigre vie économique de la région et en provoquant des déplacements de population. En outre, l’intervention étrangère a affaibli davantage encore un Etat sur la débilité duquel on versait déjà des larmes de crocodile. D’autre part, Nicolas Sarkozy, soucieux de se refaire une virginité démocratique après le camouflet du renversement de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Egypte, s’est lancé tête baissée dans l’aventure libyenne sans s’interroger sur l’après-Kadhafi. Le résultat ne s’est pas fait attendre: les combattants touaregs que ce dernier avait recrutés s’en sont retournés chez eux, le commerce transsaharien d’armes a explosé à la faveur de la guerre civile libyenne, le flux des investissements et des remises (remittances) des migrants en provenance de Tripoli s’est tari. Dans ce contexte, la rébellion touarègue a repris dans le Nord et a infligé des défaites cruelles à l’armée malienne. Aujourd’hui, la ville de Kidal est encerclée et sur le point d’être prise, tout comme le fut la base de Tessalit.

Les historiens diront ultérieurement si le pouvoir de ATT est tombé comme un fruit mûr, de manière contingente, sous le vent d’une simple mutinerie de militaires humiliés, ou si leur putsch avait pour but de court-circuiter une autre entreprise séditieuse qu’aurait préparée le ministre des Affaires étrangères, Boubey Maiga, avec, disent certains, l’appui d’intérêts français. L’extrême mollesse de la réaction de Paris, laissée à un ministre de la Coopération dont la chronique a du mal à retenir le nom, n’est pas faite pour dissiper le soupçon.
L’essentiel, pour l’instant, n’est pas là, mais dans le paysage politique de désolation auquel est désormais confronté Nicolas Sarkozy et qu’il a contribué à dessiner : à savoir un Etat clef du Sahel, dont le régime était respectable, et qui est maintenant livré à une poignée d’officiers incompétents dont les performances gouvernementales seront selon toute vraisemblance aussi convaincantes que le furent celles de leurs homologues guinéens ou sierra léonais.

Désastre annoncé, et dont il faut rappeler les ingrédients, constitutifs de la politique africaine de l’hôte de l’Elysée (2): liquidation de l’aide publique au développement de la France; prohibition forcenée de l’immigration et des narcotiques qui construit une double rente formidable pour les passeurs d’êtres humains et de stupéfiants et transforme le Sahara en haut lieu de la criminalité organisée, en liaison avec les cartels latino-américains et la Mafia, la ‘Ndrangheta et la Camorra italiennes; érection des groupuscules d’AQMI en adversaire principal de la France, au risque de leur conférer une légitimité politique hors de proportion avec leur base sociale ; déversement de rançons pour libérer les otages, dont le montant peut dépasser le coût d’une campagne électorale présidentielle au Sahel et dont la circulation engraisse des intermédiaires aussi véreux que nombreux ; interventionnisme militaire au mépris de la souveraineté des Etats ; bombardement de la Libye sous prétexte de sauver une Benghazi que les troupes de Kadhafi n’avaient pas les moyens de reconquérir au dire des meilleurs experts militaires du pays, et au prix d’une guerre civile qui a plongé celui-ci, au mieux, dans le désordre des milices, au pis, dans le djihad si l’on se fie aux états de service de certains des nouveaux responsables politiques ; indifférence à l’égard de l’impératif démocratique, qu’avaient immédiatement scellée le soutien indécent apporté au même Kadhafi en 2007 et le sauvetage de Idriss Deby au Tchad en 2008, qu’avait confirmée l’appui tacite consenti à Mamadou Tandja au Niger, moyennant un plat d’uranium, lorsque celui-ci avait modifié la Constitution pour s’éterniser au pouvoir, en 2009, et que n’a pas démentie le coup de pouce aérien, trop intéressé pour être honnête, donné à Alassane Ouattara, en Côte d’Ivoire, en 2011.

C’est bien l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest qui se voit déstabilisée, pour une période indéterminée, par des politiques publiques mal pensées et vouées à l’échec, quel que soit le gros bon sens avec lequel on les vend à l’électorat français. Qui, en effet, peut se satisfaire de l’immigration sauvage, de la jeunesse droguée, des attentats ou des prises d’otage islamistes? Certes pas Madame Michu, surtout si on ne lui explique pas que les politiques qu’elle entérine dans les urnes fabriquent ce qu’elles prétendent combattre : des clandestins, des trafiquants, des djihadistes.

Malheureusement, le débat, à l’approche du 22 avril, n’a toujours pas porté sur le bilan de la politique étrangère de Nicolas Sarkozy. En Afrique, dans les pays arabes, en Turquie, en Afghanistan, celui-ci est particulièrement sombre. Et ce qui est parfois présenté comme ses rares succès –la Libye, malgré les évidences de l’après-Kadhafi ; la Géorgie, en dépit de l’acceptation de l’occupation d’une partie de son territoire par l’armée russe grâce à la médiation d’un président trop pressé de regagner l’Elysée ; l’Iran, nonobstant l’incapacité des sanctions à faire plier Téhéran et leur coût pour l’économie française – prête en réalité à discussion, pour le moins. Ce qui s’est passé à Bamako résume les limites d’une méthode diplomatique et l’incapacité dont a fait preuve la France, ces dernières années, à concevoir une politique étrangère globale, anticipatrice et réaliste à l’aune de ses intérêts. En l’occurrence, l’hôte de l’Elysée, quel qu’il soit au soir du 6 mai, devra d’urgence remettre à plat le dossier sahélo-saharien s’il ne veut pas que celui-ci dégénère en métastase.

NOTES

(1) Jean-François Bayart, « L’hypo-politique africaine d’un hyperprésident », Savoir/Agir, 5, septembre 2008, pp. 161-169.

(2) Je me permets de renvoyer à mes précédents billets: Le piège de la lutte anti-terroriste en Afrique de l'Ouest (28 juillet 2010); Quelle politique africaine pour la France? (25 octobre 2010) et L'Afrique de l'Ouest deviendra-t-elle à la France ce que l'Amérique centrale est aux Etats-Unis? (1er juillet 2011)

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* Jean-François Bayart a publié ce billet dans les blogs de Mediapart http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-francois-bayart/260312/nicolas-au-sahara


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