Justice pour Sankara : Hommages et témoignages

Le 10 juin 2011, quelque 21 députés français introduisaient une demande d’enquête parlementaire sur l’assassinat de Thomas Sankara. Vingt quatre ans après l’assassinat de l’ancien président du Burkina Faso, cette démarche de vérité vient entretenir symbole demeuré vivace dans les esprits de tous les porteurs de résistances en Afrique et dans le monde. Le 1er juillet, une soirée était organisée à Paris pour accompagner cete campagne « Justice pour Sankara, Justice pour l’Afrique ». Pambazuka vous propose quelques allocutions faites à l’occasion de cette cérémonie qui a réunie plus d’une centaine de personnes : artistes, syndicalistes, intellectuels, hommes politiques, etc.

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Azls

SANKARA ET LES MOUVEMENTS POPULAIRES D’AUJOURD’HUI

« La France a un lourd passé colonial avec l’Afrique, avec le Burkina. Pour construire l’avenir, il est indispensable de revenir sur ce passé, sur la nature actuelle du rapport franco-africain , sur le néo-colonialisme français.

Ce rapport s’est structuré sur les pratiques de la Françafrique - avec les enjeux économiques - et dans la volonté de maintenir les peuples sous domination.

Quand je vois ce qui se passe plus généralement avec les mouvements sociaux, les soulèvements populaires dans le monde arabe, en Afrique, au Burkina mais aussi au Sénégal, à Djibouti... je crois que nous pouvons parler d’une sorte de basculement de l’histoire. Certains parlent d’une période nouvelle, moi je préfère parler d’une sorte d’accélération de l’histoire, d’un basculement de l’histoire politique du capitalisme. Les peuples ne supportent plus les politiques qu’on leur impose. Ils ne supportent plus l’extrême pauvreté, le fait d’être étouffés. Ils aspirent à la dignité, à la démocratie au respect des libertés. Les intérêts de tous ces peuples convergent, qu’il s’agisse du monde arabe, de l’Europe de l’Afrique...

J’ai eu l’occasion de lire avec attention le dossier de presse qui a été réalisé pour la demande d’ouverture d’enquête (Ndlr : sur l’assassinat de Sankara). Je me suis arrêté sur les deux phrases de Thomas Sankara. Il parle de ce que doit être selon lui la révolution. Il souligne des exigences concrètes en matière d’alimentation, d’éducation, de logement, etc. Il évoque « le besoin de plus de liberté, de démocratie, de dignité... ». C’est exactement ce que les peuples arabes demandent aujourd’hui. C’est aussi ce dont nous avons tous besoin pour faire une révolution !

On a le sentiment que ce jeune dirigeant africain était en avance ! Ecoutez encore cette phrase, il poursuit : « Notre révolution n’aura de raison d’être que si elle peut répondre concrètement à ces questions », puis : « le plus important, je crois, c’est d’avoir amené le peuple à avoir confiance en lui-même, à comprendre que finalement, il faut s’asseoir et écrire son développement ; il faut s’asseoir et écrire son bonheur… ». C’est une formule décisive. Il signifie par là que la révolution dépend de l’affirmation d’une conscience populaire, d’une capacité autonome des citoyens à agir. C’est aussi ce que nous voulons gagner en France et en Europe. La portée de cette pensée... c’est le sens du basculement de l’histoire.

Alors je veux vous dire, pour conclure, qu’à propos de cette demande d’enquête parlementaire, nous nous inscrivons dans une démarche durable. Nous voulons aller jusqu’au bout. Nous savons que ce sera une action longue et difficile. Nous la menons pour avoir la vérité sur ce qui s’est passé. Je pense notamment à la veuve de Thomas Sankara, à sa famille, au peuple du Burkina. Nous porterons ce débat aussi parce qu’il intéresse complètement la vie politique en France. Il s’agit de la politique étrangère de la France et cette action peut nous aider concrètement à traiter cette question pour pouvoir enfin sortir de la Françafrique. Nous ne lâcherons pas. Il peut y avoir des changements en 2012. Mais nous savons qu’il ne suffit pas de changer de gouvernement pour que les choses changent. Nous en avons l’expérience. Nous ne lâcherons pas, ni aujourd’hui, ni demain ».

(Discours de Jacques Fath, Responsable national du Parti communiste français aux Questions internationales - Membre de l’exécutif national)

SANKARA, LE CHE AFRICAIN

Une semaine avant sa mort (le 15 octobre 1987), Thomas Sankara avait rendu un vibrant hommage à Che Guevara. Tout un symbole ! Thomas est devenu pour tous les jeunes du monde le symbole de l’engagement, au-delà de son seul pays le Burkina Faso « le pays des hommes intègres ». Cette jeunesse intrépide, assoiffée de dignité, de courage et d’idées qu’il appelait de ses voeux a soif aujourd’hui de boire à la source vivifiante des idées posées par le Che africain Thomas Sankara. Les événements actuels portés partout dans le Maghreb et en Afrique subsaharienne par les jeunes en sont la preuve.

Dans son hommage à Che Guevara, Thomas disait que le Che était un Burkinabè ; nous rajouterons aujourd’hui que le burkinabè Thomas Sankara est le Che. Car le Che est une conviction révolutionnaire, une foi dans ses actes, le Che est un don de soi, un internationalisme qui dépasse les frontières. Le Che est une intégrité, le Che est un idéal. Et Thomas était tout cela à la fois. Approchons nous donc de l’esprit du Che, car cet esprit est avec nous aujourd’hui, il nous accompagne à chaque fois qu’on parle de Thomas Sankara.

Thomas, le frère d’Harlem, Thomas le frère de l’Amérique latine, Thomas, le frère de tous les révolutionnaires du monde. Approchons nous des idées du Che africain, de celui qui rêva d’une Afrique fière et debout, ne comptant que sur ses propres forces et dans le courage de ses enfants.

En ces temps de révolutions portées partout en Afrique par sa jeunesse qui « refuse désormais de mourir de faim, de soif et d’ignorance », le message de Thomas reste vivace. Il disait : « Notre solidarité militante ira à l’endroit des mouvements de libération nationale qui combattent pour l’Indépendance de leur pays et la libération de leur peuple ». Dans chaque forum international, à chaque tribune internationale qui lui était offerte, Thomas Sankara s’est fait le chantre des opprimés et pas seulement de l’Afrique.

Aujourd’hui, 50 ans après les Indépendances, la libération n’est toujours pas acquise. Car l’impérialisme, comme le disait si bien Thomas Sankara, « est un monstre qui a des griffes, des cornes, des crocs, qui mord, qui a du venin et qui est sans pitié. Il est déterminé, il n’a pas de coeur ». Aujourd’hui qu’on l’appelle Françafrique ou néocolonialisme, l’impérialisme est toujours présent en Afrique, il n’a toujours pas de coeur, il est toujours tout aussi déterminé. Son venin nous a enlevé celui qui restera pour nous un Che. Ils nous ont enlevé un homme intègre, un homme de foi, un homme de conviction. Mais ils ont oublié une chose : on peut tuer les hommes mais on ne tue pas les idées.

« Mûrissent partout les moissons des voeux patriotiques. Brillent les soleils infinis de joie. » (Hymne national du Burkina Faso).

(Texte lu par Moulaye au nom du Groupe de Travail Afrique du NPA (Nouveau parti capitaliste) lors de la soirée Justice pour Sankara et solidarité avec le peuple burkinabè le 1er juillet à Paris)

SANKARA, UN HOMME QU’ON TUTOIE

« Thomas Sankara était un homme comme et moi ; un homme que l’on tutoie facilement. C’était un homme passionné qui a voulu construire le Burkina Faso avec ce sentiment des grands hommes ; quand on sait que rien de grand ne se construit sans passion on imagine aisément ce qu’il voulait de son pays le Burkina Faso. En quatre ans il voulu rendre a son peuple toute sa dignité a ce peuple qu’on appelait par ironie terre des hommes il a magnifie son courage et son intégrité d ou Burkina Faso terre des hommes intègre en cela il a réussi plus personne ne se souvient que on nous appelait »voltaïques".

Cette intervention a été faite par Germaine Nassouri, Haut-commissaire nommée par Thomas Sankara pendant la Révolution.

L’ASSASSINAT DE SANKARA, UNE QUESTION D’ACTUALITE

Anti-impérialiste, révolutionnaire et visionnaire quant aux principes de développement des potentiels de son pays et de l’Afrique, Thomas Sankara a connu le sort de tous ces Africains portés aux avant-postes d’un combat libérateur par les peuples qui entendaient s’émanciper de la colonisation et de l’accaparement des immenses richesses de leur continent pillé depuis 5 siècles.

Parce qu’ils prônaient un avenir d’indépendance panafricaine, que leurs visions du monde et des rapports entre les peuples allaient changer l’ordre du monde, ces figures des indépendances ont été éliminées par les puissances impérialistes aidés des valets locaux. Des puissances de l’argent qui n’entendaient pas abandonner la mainmise sur l’Afrique, qui ont créé pour ce faire des outils appropriés : FMI, Banque Mondiale, OMC. Elles sont de plus en plus nombreuses sur le continent et leurs règlements de compte sur le sol africain suscitent toujours tueries et exodes de populations civiles. Des hommes, symbolisant la dignité de l’Afrique ont été éliminés physiquement : Ruben Um Nyobé au Cameroun en 1958, Patrice Lumumba au Congo en 1961, Mehdi Ben Barka au Maroc en 1965, Modibo Keita au Mali en 1977, Thomas Sankara assassiné lors du coup d’Etat de 1987 au Burkina Faso. D’autres écartés du pouvoir comme N’Khruma au Ghana.

Thomas Sankara prônait le débat d’idées. Sa lettre du 19 août 1987 à tous les ministres, reproduite dans la revue « Aujourd’hui l’Afrique » après son assassinat, illustre sa vision constructive alors que d’autres agissaient à l’encontre de la Révolution « (…) Avec perspicacité révolutionnaire, sans complaisance mais sans sectarisme, vous devez courageusement engager le débat d’idées. Ceux qui font entrave au combat du peuple devront être convaincus par la force de vos arguments, à défaut vous devrez les amener au moins à respecter les devoirs du bon citoyen et à accomplir correctement les tâches qui leur sont confiées. (…) Il reste que vous devez rester fermes vis-à-vis de tous ceux qui, provocateurs fanatisés ou subtils saboteurs, confondraient dialogue et faiblesse.
«La patrie ou la mort, nous vaincrons ! »

L’AFASPA s’est associée à l’exigence de vérité et de justice à propos de l’assassinat du visionnaire qu’était Thomas Sankara qui défendait des valeurs universelles, même quand elles allaient à contre courant d’idées ancestrales comme la situation et le rôle des femmes dans la société.

Je termine sur un extrait de son discours du 8 mars 1987 intitulé « La libération de la femme : une exigence du futur » :

« Les promesses de la révolution sont déjà réalités chez les hommes. Chez les femmes par contre, elles ne sont encore que rumeurs. Et pourtant c’est d’elles que dépendent la vérité et l’avenir de notre révolution : questions vitales, questions essentielles puisque rien de complet, rien de décisif, rien de durable ne pourra se faire dans notre pays tant que cette importante partie de nous-mêmes sera maintenue dans cet assujettissement imposé durant des siècles par les différents systèmes d’exploitation. Les hommes et les femmes du Burkina Faso doivent dorénavant modifier en profondeur l’image qu’ils se font d’eux-mêmes à l’intérieur d’une société qui, non seulement, détermine de nouveaux rapports sociaux mais provoque une mutation culturelle en bouleversant les relations de pouvoir entre hommes et femmes, et en condamnant l’un et l’autre à repenser la nature de chacun. »
Solidarité avec les luttes du peuple du Burkina Faso.

(Intervention de Michèle Decaster au nom de l’Association Française d’amitié et de solidarité avec les peuples d’Afrique - AFASPA)

* Source : www.thomassankara.net

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