Race, classe sociale et transformation en Afrique du Sud
Comment peut-on esquiver la question de la race, un élément crucial pour tous ceux qui souhaitent une vie meilleure pour tous les Sud Africains ? Car, comme le dit Sehlare Makgetlaneng, «un des aspects auxquels on est confronté dans la lutte pour la transformation des structures socio-économique en Afrique du Sud reste la nature du capital noir et du capital blanc».
Dès la conception du capitalisme et jusqu’à la période actuelle de post-colonie, il y a eu, en Afrique du Sud, un lien dialectique et organique entre l’élément de classe sociale et celui de la race. Dès sa conception en Afrique du Sud, le capitalisme a représenté le joug primaire de la masse des gens exploités. Cette contribution se préoccupe du lien organique et dialectique entre la question de la classe sociale et celle de la race, ainsi que de la nécessité fondamentale de ne pas occulter l’importance du facteur racial dans la politique sud-africaine, en faveur de changements socio-économiques révolutionnaires. L’étude se termine avec des considérations sur la nature de la relation entre le capital noir et le capital blanc dans l’actuelle Afrique du Sud, du point de vue de la transformation des structures socio-économiques.
Tout au long de la phase du développement du capitalisme, du mercantilisme impérialiste à l’impérialisme du libre-échange, à l’impérialisme financier et à l’impérialisme multilatéral [1], l’Afrique du Sud a servi "de miroir à l’émergence du monde moderne". [2] Elle a exécuté cette tâche en incarnant "plus intensément que la plupart des autres, les conséquences des bénéfices du capitalisme pour une minorité de Blancs liés à l’Europe et l’infortune de la majorité liée au reste de l’Afrique et à l’Asie". Une minorité se considérant en outre comme représentante de ce qu’elle a nommé la civilisation occidentale et qui s’efforce de créer une Afrique du Sud à son image. [3] L’Afrique du Sud devait aussi incarner la résistance aux conséquences négatives de la "modernité capitaliste" et dans son histoire nous voyons les confrontations et les interactions de races, de classes sociales, de genre, d’ethnicité, de religion et de forces sociales qui perturbent le monde d’aujourd’hui. [4]
Ces "confrontations et interactions de races, de classe sociales, de genre, d’ethnicité, de religion et de forces sociales" qui perturbent l’Afrique du Sud d’aujourd’hui, constituent un défi qui doit être relevé par les forces progressistes et révolutionnaires d’Afrique du Sud afin de la pourvoir, économiquement indépendante, d’un fondement intellectuel. Il est capital pour la réalisation de cette tâche que cette vision soit non seulement acceptée par la masse de la population d’Afrique du Sud, mais surtout qu’elle lutte pour sa venue. La mobilisation des forces sociales populaires, pour la réalisation de leur libération économique, est cruciale. Cette mobilisation doit être ancrée dans la conviction que personne, hormis nous-mêmes, ne peut et ne doit libérer et développer notre pays eque nous-mêmes.
Les agents du changement sont constitués de réseaux, non seulement de relations économiques, mais aussi de races, de genre, de génération, de résidence et d’autres affiliations. Dans la mesure où ils sont définis structurellement par des relations de contrôle, de domination et d’exploitation, ils sont le terrain de la lutte politique, économique et idéologique. Une large alliance des forces populaires, ferme et vigilante, devrait être forgée. De plus, les agents de changements devraient être intégré dans des projets qui mettent les théories et les analyses en pratique, au travers de la mobilisation et d’actions concrètes, afin d’établir des communautés comme base d’existence. Cette tâche devrait être réalisée en faisant la relation entre leur marginalisation particulière et leurs souffrances, ainsi que la production et reproduction de leur statut économique et sociopolitique, dans une société plongée dans le mode capitaliste de production, et en luttant afin de concrétiser leurs capacités pour un effort collectif de transformation socio-économique.
La position de Cyril Lionel Robert James, dans son analyse du lien organique et dialectique entre l’élément de race et de classe sociale et la question politique et l’impérialisme, est importante dans l’étude du lien dialectique et organique entre l’élément de race et celui de classe sociale en Afrique du Sud. James soutient et défend la thèse que la question de classe sociale prime sur la question raciale, dans les questions de relations entre les classes sociales en terme d’exigences, de besoins et des intérêts des pays capitalistes. Selon lui, la question de race est secondaire à la relation de classe sociale et doit être intégrée de façon organique et dialectique dans l’élément de classe sociale. L’importance de l’élément racial ne doit être ni surestimée ni sous-estimée. La relation dynamique entre la question de classe sociale et celle de race doit être vue et examinée d’un point de vue dialectique.
Fournissant une analyse de la relation dialectique et organique entre l’élément de la race et celui de la classe sociale, et démontrant comment la division des classes sociales fortifie structurellement le racisme, James ne perd jamais de vue l’importance du facteur racial dans sa vision de la politique et de l’impérialisme. L’important est que la question raciale est subsidiaire ou secondaire à la question de la classe sociale dans ce processus, ce qui ne signifie pas que l’importance de l’élément racial doit être minimisée. James, expert reconnu de cette problématique, formule cette réalité de la façon suivante :
" La question de la race est subsidiaire à la question de la classe sociale en politique et penser l’impérialisme en terme de races est désastreux. Mais négliger le facteur racial comme étant purement accessoire est une erreur juste un peu moins grave que d’en faire un facteur fondamental." [5]
Ceci est une leçon de stratégie pour nous autres Sud-Africains des forces révolutionnaires et progressistes. Nous devons tisser une relation entre l’élément racial et celui des classes sociales et ne jamais perdre de vue l’importance du facteur racial dans la politique de changements socio-économiques en Afrique du Sud.
Ngugi wa Thiong, à propos de la conjugaison de la lutte des classes et de la lutte nationale en Afrique du Sud, conclut comme suit : " Ainsi l’Afrique du Sud, lieu de concentration autant de la résistance que de la domination, est un miroir de la lutte mondiale entre le capital et les forces de travail et entre colonisés et colonisateurs. Parce que pour l’Afrique, l’histoire de l’Afrique du Sud, depuis le débarquement de Vasco da Gama au Cap en 1498 jusqu’à sa libération en 1994, est le cadre de toutes les luttes modernes et certainement de la lutte des Noirs. Si la lutte, menée souvent à grand renfort d’épées, entre le capital racialisé et les forces de travail racialisées, concerne la richesse et le pouvoir, c’est aussi une bataille pour l’image qui se gagne par la force des mots" [6]
Cette "image du monde" est " l’univers physique, intellectuel, politique et moral de notre être" [7]
La question de la lutte entre le "capital racialisé et les forces de travail racialisées" est importante dans cette analyse de la nature de la relation entre le capital noir et le capital blanc dans l’actuelle Afrique du Sud, du point de vue des transformations des structures socio-économiques. C’est également important, pour l’analyse de la relation entre les forces de travail noire et les forces de travail blanche du pays. Cela est vrai en raison de l’importance du lien organique et dialectique entre l’élément de la race et celui de la classe sociale, depuis la période de la conception du capitalisme jusqu’à la période post-coloniale actuelle.
Un des aspects auxquels on est confronté dans la lutte pour la transformation des structures socio-économique en Afrique du Sud reste la nature du capital noir et du capital blanc. Au vu de la domination de l’économie de l’Afrique du Sud par quelques Blancs, il est généralement accepté que le capital noir est subordonné au capital blanc. Toutefois, dans le langage politique pour le changement socio-économique, le cœur du problème n’est pas tant que le capital noir soit subordonné au capital blanc, mais bien qu’ils soient dépendants l’un de l’autre. Plutôt que victime dans sa relation au capital blanc, le capital noir, conjointement avec le capital blanc, est un agent social actif dans la promotion du capitalisme néolibéral auquel sont confrontés et soumis aussi bien les travailleurs blancs que les travailleurs noirs dans la politique économique d’Afrique du Sud. Le capital noir et le capital blanc constituent donc essentiellement le capital sud africain qui en fait la classe dirigeante à laquelle est subordonnée la classe des travailleurs d’Afrique du Sud composée de Noirs et de Blancs.
Le postulat que le capital noir est soumis au capital blanc occulte la relation de camaraderie structurelle entre le capital noir et le capital blanc dans l’économie sud africaine. Le progrès du capital noir est dans l’intérêt du capital blanc et du capital étranger, en particulier des pays capitalistes avancés, ainsi que dans les intérêts stratégiques du capitalisme global du pays et au-delà. Cette réalité ainsi que les contradictions internes au capital national sont secondaires, et non primaires, et sont la preuve que la lutte fondamentale en Afrique du Sud a lieu entre les travailleurs et le capital.
Les forces révolutionnaires et progressistes d’Afrique du Sud doivent tisser un lien entre la question de la race et de la classe sociale et ne jamais esquiver l’élément racial dans la politique d’Afrique du Sud.
En dépit du lien organique et dialectique entre les éléments de classe et de races en Afrique du Sud, il y a des Sud Africains, en particulier ceux qui ont bénéficié de l’Apartheid, qui mènent une lutte destinée à étouffer le débat concernant la race. Ils prétendent ne pas connaître l’histoire des immigrants colonialistes et le règne raciste caractérisé par le contrôle raciste, la domination et l’exploitation des peuples noirs et les décisions des Blancs. Ils prétendent ne pas savoir que les colons de la période raciste signifient l’accaparement du pouvoir économique. Au vu de l’histoire comment est-il possible que l’élément de la race ne soit pas un facteur essentiel pour ceux désireux d’une vie meilleure pour tous les Sud Africains ? Au cœur du débat, il n’y a pas seulement le déni de l’importance de l’élément racial en politique sud-africaine, mais aussi leur opposition à la transformation structurelle de l’Afrique du Sud.
NOTES
[1] Pour une analyse exhaustive de la phase socio-historique du développement du capitalisme, du mercantilisme, en passant par l’impérialisme du libre échange et l’impérialisme financier, jusqu’à l’actuel période de l’impérialisme des multinationales, voir Dani Wadada Nabudere, ‘The Political Economy of Imperialism: From Theoretical and Polemical Treatment from Mercantilist to Multilateral Imperialism’, London: Zed Press, 1977.
[2] Ngugi wa Thiongo, ‘Recovering our memory: South Africa in the Black Imagination,’ in Steve Biko Foundation, the Steve Biko Memorial Lectures, 2000-2008, Johannesburg: Steve Biko Foundation and Pan Macmillan South Africa, 2009, p. 55.
[3] Ibid., p. 56.
[4] Ibid.
[5] C.L.R. James, ‘The Black Jacobins: Toussaint Louverture and the San Domingo Revolution’, New York: Vintage Books, 1963, p 283.
[6] Ngugi wa Thiongo, ‘Recovering our memory: South Africa in the Black Imagination,’ p. 56.
[7] Ibid.
* Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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