Mort de Floribert Chebeya, un an après : un symbole fort !

Comment convertir la lutte pour la défense des droits de l’homme en une lutte avec les Congolais et les Congolaises afin qu’ils (elles) deviennent sujets de leurs droits sociaux, économiques et culturels et de leurs libertés politiques ? Comment faire avec les Congolais et les Congolaises dont ces droits et libertés sont constamment violés pour qu’ils (elles) rompent avec leur statut de « victimes innocentes » défendues par quelques dignes filles et fils du Congo ? Afin qu’ils deviennent un peuple capable de crier « son indignation » sans peur de la mort, ni des vampires qui sucent le sang mais qui ne peuvent pas manger l’esprit de la résistance contre les forces de la mort ? Telles sont les questions qui devraient rassembler les Congolais et les Congolaises épris de paix, de justice et de vérité ; luttant pour l’avènement d’un autre Congo en ce jour où nous pensons à ce digne fils de notre peuple. Notre article indique quelques pistes à exploiter.

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Dans un contexte marqué par « les révolutions arabes » et « les printemps européens », célébrer le premier anniversaire du double assassinat de Floribert Chebeya et de Fidèle Bazana (Ndlr : assassinés le 2 juin 2010 par des responsables de la police) par les pouvoirs de la mort que les oligarchies d’argent et de la prédation ont installés au Congo donne à penser. La lutte de Floribert Chebeya s’inscrit dans la longue histoire des luttes des prophètes de notre temps, décidés à vaincre le mal par le bien en menant des actions d’une grande visibilité.

Lutter au grand jour, illuminé par le soleil de la vérité, fait peur aux vampires. Ils craignent la lumière comme une peste : ils ont peur d’être vus. Quand ils décident d’agir au vu et au su de tous, ils évoquent les motifs humanitaires pour éviter que leur ensauvagement soit décrié. Dieu merci ! Petit à petit, les peuples (jeunes ou rajeunis) se mettent debout et disent non à la réduction des citoyens et des citoyennes au rôle de spectateurs d’une gestion des cités humaines par les adeptes de la « ploutonomie ».

En Espagne, au Portugal, à Paris, en Grèce et plus récemment en Belgique (Liège et St Gilles), « les indignés » ont rejoint les rues et les autres espaces publics pour une création collective d’une autre politique que celle de « petites mains du capital ». « Les indignés » du Sud et du Nord se mettent debout ; mains nues. Ils sont, de temps en temps, face à la répression d’une police au service des oligarchies d’argent. Mains en l’air, ils font face, dans la non-violence ! Ils acceptent de tomber dans « l’illégalité » en remettant en cause le système représentatif de la démocratie capitaliste. De plus en plus, ils en appellent à la démocratie participative. A notre avis, Floribert Chebeya peut être compté parmi les précurseurs de ces mouvements des « indignés ». Il en demeure « un symbole fort » au Congo (RD).

Célébrer le premier anniversaire de son assassinat devrait pousser plusieurs d’entre nous à poursuivre sa lutte. Peut-être autrement ! Au lieu que nous soyons quelques-uns à défendre des millions des Congolais dont les droits et les libertés politiques sont constamment violés, lutter avec eux pour qu’ensemble nous devenions des « indignés ». Tout en avouant que les défenseurs des droits de l’homme font un travail formidable dans un pays pris en otage par « les seigneurs de la guerre », il nous semble que l’un des défis que nous avons à relever serait de travailler collectivement à faire de chaque Congolais et de chaque Congolaise le défenseur et la défenseuse de ses propres droits. Ce défi se relève sur le long terme ; par l’éducation, l’information et la formation.

(Il est important de remarquer que « les révolutions arabes » et « les printemps européens » sont majoritairement portés par les jeunes instruits, porteurs des diplômes et précarisés. Nous parlons des « révolutions arabes » et « des printemps européens » pour désigner le mouvement d’indignation arabe et européen tout en sauvegardant leur singularité, (leur localité) et en évitant le piège de l’hégémonie culturelle. Celle-ci consisterait à tout ramener au « printemps »…)

Convertir chaque Congolais et chaque Congolaise en défenseur et en défenseuse de ses propres droits et libertés fondamentales consisterait aussi à privilégier la lutte pour les libertés politiques et leur constitutionnalisation. Il est incompréhensible que les voix de certaines d’entre nous ne puissent compter que quand ils doivent aller aux urnes. Non. Le pouvoir participatif devrait aller au-delà des urnes. Surtout là où il est question de la démocratie. En effet, « la démocratie signifie aussi la liberté d’agir en tant que citoyens impliqués dont la voix compte et non se contenter d’un état de vassalité, rendu supportable par l’abondance de biens matériels » (produits de la réalisation des « chantiers »).

Un peuple connaissant (pas mémorisant ; mais con-naissant c’est-à-dire naissant chaque jour avec ses droits, sachant ce que signifie avoir des droits et la responsabilité que cela confère) ses droits et ses libertés fondamentales se défend lui-même à travers des créations politiques collectives. Il se comporte en responsable de son destin.
Tant que ce défi ne sera pas relevé, même à 50%, nous risquons de continuer de sacrifier sur l’autel des vampires quelques autres meilleurs d’entre nous. Comment opèrent ces vampires ? Ils financent nos ONG de droits de l’homme tout en travaillant avec les escadrons de la mort gouvernant notre pays. Leurs œuvres de bienfaisance servent à couvrir leur cynisme et leur grande capacité de nuisance au nom du « dieu-argent ». Ils couvrent tout d’un double discours, d’une langue de bois et de beaucoup de mensonge.

Chez nous, les escadrons de la mort n’ont pas désarmé. La tentative du meurtre extrajudiciaire du colonel Richard Beiza n’est pas une fable. Quand Jean Mbuyu Mulongo du « Leconfidentiel » soutient que Kinshasa attendait sa tête et ses testicules, il ne raconte pas des histoires. Elie Lungumbu et Marcel Mbangu ne sont pas les produits de l’imagination fertile de Jean Mbuyu Mulongo. Quand il écrit : « C’est Marcel Mbangu qui prend la parole et dit : « Colonel Beiza, ton aventure se termine ici car nous avons reçu l’ordre de te ramener à Kinshasa où tu devras répondre de ton forfait», il ne raconte pas des histoires. (Lire Kabila à bout des nerfs : le colonel Richard Beiza a échappé aux filets tendus par les services ougandais et congolais sur le site de (Leconfidentiel ») Un jour, le reste de ce récit sera mis sur la place publique…

Si la parenthèse ouverte par l’AFDL et ses mentors en 1996, dans notre pays, n’est pas fermée par une opération Justice, Vérité et Réconciliation initiée par « les indignés Congolais » et précédant des élections portées par les populations congolaises de la base, la mort aura encore de beaux jours dans notre pays.

Dieu merci ! Les escadrons de la mort n’assassineront pas tous les Congolais et toutes les Congolaises informés de leurs forfaits. Un jour, la Justice et la Vérité seront faites sur notre histoire des vingt dernières années. Une autre page de notre histoire pourra enfin se rouvrir.

Le sang de Floribert Chebeya, de Fidèle Bazana, d’Armand Tungulu et de plusieurs compatriotes massacrés à l’est de notre pays est semence pour un autre Congo. Celui-ci sera le fruit des millions de Congolais et de Congolaises convertis en maîtres et maîtresses de leur histoire ; en sujets de leurs droits et libertés fondamentales.

* Abbé Jean Pierre-Mbelu est un prêtre congolais

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