La Chine réveillée saura-t-elle un jour éveiller l’Afrique ?
“Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera!”. Cette célèbre phrase de Napoléon Bonaparte reprise par Alain Peyrefitte en intitulé de son ouvrage, ne présage aucunement la fin de « l’Histoire ». Rien de tel ; même si le réveil de la Chine semble annoncer des bouleversements tectoniques et, est pour cela, en passe de devenir un des faits marquants de ce XXIème siècle. Les conséquences de son impressionnant redressement en termes de problèmes qu’il soulève d’un côté, et d’opportunités qu’il suscite de l’autre, témoignent de l’entrée en force de ce pays dans l’agenda de la géopolitique mondiale.
« La Chine pourrait dépasser les États-Unis et devenir à l’horizon 2030, la première puissance économique du monde, si elle poursuit son essor actuel consécutif à une croissance phénoménale de 10% enregistrée au cours de ces deux dernières décennies (1990 et 2010) » [Banque mondiale, 2011].
Caracolant en tête du peloton des pays émergents, la Chine forme également avec le Brésil, la Russie, l’Inde et l’Afrique du Sud, ce que l’on désigne par le sigle BRICS (Brasilia, Russia, India, China, South Africa) et qui polarise une influence politique et culturelle internationale sans cesse croissante et représente un poids économique considérable. Ces pays « pivots » (60% de la croissance mondiale) disposent de remarquables atouts pour orienter dans l’avenir la marche de l’économie mondiale.
La gestation d’une Chine, superpuissance du XXIème siècle, se poursuit aujourd’hui sous les auspices d’une santé économique et financière pétillante. Sa fulgurante irruption puis son expansion irrésistible sur toutes les parties du monde marquent la montée en puissance de ce pays, qui tire, comme une locomotive, l’économie de la planète. Son expansion a contribué, ces dernières années, pour un bon tiers à la croissance économique mondiale.
Au fait, ragaillardie par sa position de 2e puissance économique de la planète, la Chine entend fièrement s’adjuger au plan international, un rôle diplomatique à l’aune de sa mégalomanie économique : le chambardement politico-diplomatique qu’elle opère ça et là vise à terme à promouvoir ses intérêts et à accroître son influence dans le monde.
Les intérêts chinois en Afrique sont immenses et le besoin de leur réalisation explique en somme, le bouillonnement diplomatique de la Chine dans cette partie du monde où elle emploie finesse politique et tact diplomatique pour charrier tout qui puisse servir à “huiler” et “gazer“ sa méga-économie.
L’AFRIQUE, L’OBJET DE TOUTES LES CONVOITISES…
De tous les continents, l’Afrique est l’un des mieux dotés en ressources naturelles. Les données relatives par exemple, à son potentiel minier sont hallucinantes : 80% des réserves mondiales de chrome s’y trouvent concentrées, 90% de platine, 60% de cobalt et de manganèse, 40% de diamant, 37% d’or, etc. En outre, l’Afrique couvre pour 92% les besoins mondiaux en platine, 70% en diamant, 35% en manganèse, 34% en cobalt et 15% en bauxite.
Une telle (sur) abondance ne peut laisser indifférents les requins du capitalisme global !
Nichée sur une économie trop énergétivore, la République Populaire de Chine (RPC) n’a de choix stratégique viable que d’envisager un partenariat privilégié avec les pays riches en matières premières. Son expansion en Afrique répond surtout à cet impératif d’étancher sa boulimique soif d’énergie.
Déjà au milieu des années 90, la Chine, poussée par ses énormes besoins de matières premières, place l’Afrique au cœur de son dispositif géoéconomique des plus raffinés. C’est qu’en plus d’être une “vache à lait” énergétique bon marché, l’Afrique sert aussi de relais idéal (en vertu de sa proximité avec l’Europe et l’Amérique) aux entreprises chinoises implantées sur son sol pour booster leurs exportations en direction surtout des marchés européens et nord-américains.
D’autre part, il faut le dire, l’Afrique a aussi intérêt à diversifier les bases de sa coopération internationale par le renforcement de l’axe “Chine-Afrique”, tant le partenariat gagnant-gagnant mené tambour battant et porté sur ses épaules par la partie chinoise, peut donner de la substance aux différentes stratégies de croissance accélérée et de réduction de la pauvreté adoptées par certains gouvernements de pays africains. Il suffit pour cela, d’accorder la priorité aux secteurs à fort potentiel de valeur ajoutée comme le commerce, l’agro-industrie, la pèche, les télécoms, le tourisme.
DE LA COOPERATION TOUS AZIMUTS…
Ces dernières années ont vu exploser les échanges commerciaux entre l’Afrique et la Chine faisant de cette dernière, le 3e partenaire commercial du continent derrière les USA et la France. Déjà en 2007, on comptait 14 pays africains ayant franchi le seuil hautement symbolique de 1 milliard de dollars d’échanges avec la RPC; en 2008, ce nombre fut porté à 20 pays. Parmi les plus grands bénéficiaires africains du commerce sino-africain, on retiendra notamment l’Afrique du Sud et l’Angola, qui concentrent 38% de son volume; ils sont suivis du Soudan et de l’Égypte respectivement 8 et 6%.
La structure des échanges commerciaux sino-africains est largement dominée depuis 2005, par les importations chinoises de produits composées essentiellement de manganèse (34%), pétrole (30%), coton (21%), bois (15%), etc. Aussi, la répartition par pays révèle que la Chine achète du pétrole à l’Angola, à l’Algérie, au Soudan, au Tchad, au Nigéria, à la République du Congo, à la Guinée Équatoriale ; du phosphate au Maroc, du cuivre et du cobalt à la Zambie et à la République Démocratique du Congo (RDC), du minerai de fer, de l’or et du platine à la République Sud-Africaine, de l’uranium, du chrome, du nickel et du zinc au Zimbabwe.
En dépit de son vif engouement pour les ressources minières, la Chine voit augmenter ces cinq dernières années ses importations de produits agricoles et forestiers : riz, huile de palme, coton, café, cacao, bois dont 60% proviennent de la Guinée Équatoriale, 46% du Gabon, 11% du Cameroun, etc.
En revanche, grâce à une industrie dynamique et diversifiée, qui fait d’elle la “fabrique du monde”, elle stupéfia le monde en prenant très vite la tête des plus grands exportateurs mondiaux et inonde le marché africain de biens d’équipement, de textile-habillement, de chaussures, de produits électroniques, de jouets, de véhicules, d’engrais chimiques, de médicaments.
Cette fureur exportatrice a provoqué un spectaculaire gain de croissance qui, depuis deux décennies, effleure les 10% chaque année. Pour des millions de foyers chinois, ce «success story» économique de leur pays a entrainé un relèvement substantiel du niveau de vie. Tout cela a favorisé la montée d’un véritable capitalisme chinois à la conquête du monde des affaires, et si l’on s’y accorde, des affaires du monde.
Ainsi, dans son rapport de 2008, la Direction générale des douanes chinoises a pu constater la croissance exponentielle des échanges avec l’Afrique. Avec un bond net de 45,1% réalisé au cours de cette année, le volume du commerce sino-africain a dépassé le niveau historique des 100 milliards de dollars pour ressortir à 106,84 milliards.
Au fait, le succès du commerce sino-africain tient au dynamisme et à l’action de la diaspora chinoise en Afrique, à l’efficacité des mesures d’accompagnement comme l’octroi de crédits préférentiels, l’annulation de droits de douane consentis par la Chine sur nombre de produits africains. Cette sorte de réplique chinoise à l’initiative américaine de l‘«Africa Growth Opportuinities Act» (AGOA) est une décision prise par Pékin aux fins de réaliser le nivellement des échanges bilatéraux par le libre accès d’un large panel de produits africains sur son marché.
La réalisation en Afrique de grands projets d’infrastructures est un autre aspect de la coopération technique fructueuse entre la Chine et l’Afrique. Entre 2001 et 2009, la Chine y aurait réalisé plus d’une cinquantaine de projets desquels, on retiendra surtout la modernisation pour un montant de 8,3 milliards de dollars d’une ligne de chemin de fer de 1.200 km au Nigéria et la construction d’une autoroute à péage d’une valeur de 6,3 milliards de dollars en Algérie. Ces deux projets, qui sont les plus importants jamais réalisés à l’étranger par des entreprises chinoises traduisent la vitalité de la “diplomatie du béton” que Pékin tente véhément de mettre en place…
En ce début du XXIème siècle, la priorité de la politique africaine de la Chine repose aussi sur le puissant levier des investissements sur lequel Pékin compte davantage s’appuyer pour marquer d’une empreinte indélébile son soutien à l’essor économique de son partenaire africain. Si l’on croit les statistiques 2009 du Département du Commerce Extérieur de la RPC, les investissements directs étrangers (IDE) chinois en Afrique ressortiraient à plus de 500 millions de dollars ; ce qui représente une hausse en valeur relative de 80% par rapport à 2008, et le nombre d’entreprises chinoises en activité sur le continent est passé à 1000 unités. Dès lors, la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED) classe la Chine au 3e rang des plus grands pourvoyeurs d’IDE de l’Afrique.
L’EFFET DE REPOUSSOIR PAR LE REVEIL DE LA CHINE…
Suivant de très prés le comportement des entreprises chinoises en Afrique, la Banque mondiale (BM) s’est félicitée du rôle prépondérant joué par Pékin dans le financement de projets d’infrastructures dans cette partie du monde. En outre, le document “Achieving the Millennium Goals in Africa : Working with China” du Département Britannique du Développement International (DFID), rendu public en avril 2008, souligne l’apport décisif de la Chine dans l’émergence économique de l’Afrique.
Aussi, à l’occasion du 4ème Sommet Chine-Afrique tenu fin 2009 en Égypte, les représentants chinois avaient émis le souhait de leurs autorités de promouvoir de nouvelles formes d’investissements destinés au développement durable de l’agriculture, à la lutte contre les pandémies, la valorisation du potentiel humain en Afrique.
Bref, vu sous l’angle des déclarations d’intentions mais aussi de quelques réalisations palpables, la présence chinoise fait naître un véritable faisceau d’espoir d’un éventuel sursaut de l’Afrique. De l’avis de certains responsables chinois “l’avènement d’une ère nouvelle de coopération sino-africaine offre aux africains des opportunités qu’ils ne peuvent se permettre nulle part ailleurs…”
Cependant, au-delà de la rhétorique sulfureuse servie sur le plateau d’une coopération sino-africaine promise à un avenir radieux, la réalité sur le terrain (…) corrobore quelques graves carences. Aujourd’hui, des voix autorisées se lèvent de plus en plus pour récriminer vertement l’attitude jugée trop “prédatrice” des entreprises chinoises en Afrique. Par ailleurs, l’excès d’emballement des chinois pour la construction d’ouvrages techniques destinés à l’exploitation puis à l’acheminement des matières premières vers des unités de transformation en Chine est patent.
Au total, il apparait que la politique économique extérieure de la RPC repose sur une stratégie vachement ambitieuse conçue en vue du renforcement des capacités de l’économie nationale à travers une mobilisation sans précédent de ses ressources humaine, technique et financière. Son accomplissement par tous les moyens possibles explique l’agressivité de sa méthode d’expansion vers les pays riches en matières premières. Toutefois, sa présence économique, quoique controversée en Afrique, présente pour celle-ci un intérêt certain : elle aurait permis à quelques pays de ce continent d’enregistrer ces dernières années, leurs meilleures performances économiques. (...)
* Dr Boubacar Diallo Badiane est titulaire d’un Ph.D de l’Université Russe de l’Amitié des Peuples, à Moscou (Russie) et spécialiste de l’Économie internationale.
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