Pourquoi le Gouverneur de la BCEAO ne devait pas démissionner

Dans la crise politique ivoirienne, la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest est devenue une arme de pression contre Laurent Gbagbo. Et comme effet collatéral, elle a conduit le Gouverneur de cette institution financière régionale à démissionner. Pour Jean-Paul Dias, la décision du Conseil des ministres de l’UEMOA qui a conduit à cette issue «est triplement illégale».

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H A

M. Philippe-Henri Dacoury-Tabley, Gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao), n’a pas démissionné de ses fonctions car la démission consiste en un acte libre, volontaire et express. Si son geste revêt le dernier caractère, il ne s’avère ni libre ni volontaire. Il y a été forcé. Le Gouverneur Dacoury-Tabley de Côte d’Ivoire a été mené vers la «démission» par Abdoulaye Wade, coutumier du fait au Sénégal et qui a poussé à la roue ; les autres (NDLR : les chefs d’Etat de l’UEMOA) se sont contentés d’accompagner par le silence.

Ceci dit, même si nous désapprouvons cette «démission» - nous y reviendrons plus loin - nous la comprenons, la respectons et, quelque part, marquons une admiration certaine envers l’attitude du Gouverneur. Car quand on sait ce qu’il y a derrière cette fonction en termes financiers, matériels et d’influence, on ne peut que lui tirer le chapeau. A l’époque où, en l’absence de la Guinée-Bissau, les membres de l’Umoa étaient au nombre de sept, Famara I. Sagna, ancien ministre des Finances du Sénégal, taquinait à peine le Gouverneur Charles Konan-Banny, lorsqu’il lui répétait qu’avec sa BCEAO, il représentait, de fait, le 8e Etat. Tellement le Gouverneur de la BCEAO est puissant.

Nous devons reconnaître que le Gouverneur Dacoury-Tabley a adopté une posture de véritable «garçon» (expression ivoirienne pour désigner un homme courageux et de refus). Il a refusé de se laisser humilier en Afrique après avoir été l’objet de menaces injustifiées en Europe. Le gel des avoirs vis-à-vis de personnalités africaines qui ont gagné honnêtement leur argent et n’ont rien fait de mal contre l’Europe (drogue, terrorisme, etc.) nous paraît comme tout à fait illégal et abusif. Il serait utile d’engager une action auprès de juridictions compétentes comme la Cour européenne des Droits de l’Homme pour amener à l’adoption d’une décision judiciaire seule apte à faire cesser ce genre d’excès de pouvoir qui s’assimile à un chantage. A l’ère de la mondialisation, circuler et investir librement constitue un segment des droits humains.

Venons-en au fond du débat.

Le 23 décembre 2010, le Conseil des ministres de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) se réunit à Bissau à l’effet de se «…prononcer sur les événements de Côte d’Ivoire». Le Conseil finira par prendre la «…décision politique que l’Union monétaire reconnaît M. Alassane Ouattara comme président légitime de la Côte d’Ivoire». D’où acte pris par la BCEAO et mise en œuvre pratique de ladite décision se traduisant par l’introduction des représentants Ouattara. Sous réserve d’intervention de textes nouveaux que nous pourrions ignorer, nous soutenons, à l’examen combiné des traités de l’UMOA (Union monétaire ouest-africaine, qui existe toujours) et de l’UEMOA, que cette décision du Conseil des ministres est triplement illégale. Ici, illégal signifie non conforme aux dispositions pertinentes des deux traités, UMOA et UEMOA qui cohabitent et se complètent.

D’abord, dans les deux traités ainsi que dans les statuts de la BCEAO, les attributions du Conseil des ministres sont limitativement listées et, nulle part, il n’est permis au Conseil de se prononcer sur ce type de sujet et de prendre ce genre de décision. Donc en agissant comme il l’a fait, le Conseil des ministres a outrepassé ses attributions. Nous l’avons déjà dit en interview, nous le confirmons ici. Les organes de l’Union ne peuvent agir que dans la limite des attributions à eux conférées.

Ensuite, parce que dans le traité de l’UEMOA, il est spécifié (nous citons de mémoire) : «Pour les questions politiques et de souveraineté, les ministres des Affaires étrangères doivent siéger aussi lors de la réunion du Conseil des ministres». Ce n’était pas le cas à Bissau, d’où violation des termes du Traité.

Enfin, les décisions du Conseil des ministres se prennent à l’unanimité. Il se trouve que seuls sept pays sur huit étaient présents. La Côte d’Ivoire (version Gbagbo ou Ouattara) n’y prenait pas part. Donc décision illégale.

Pour toutes ces raisons, le Gouverneur aurait dû ne rien appliquer du tout, tandis que le gouvernement de Côte d’Ivoire - en droit international public, la notion de gouvernement légitime n’existe pas sauf dans des appréciations subjectives - aurait dû, immédiatement, saisir la Cour de justice de l’Union plutôt que de se lancer dans des démarches diplomatiques infructueuses.

«Mutatis mutandis», la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement aussi a failli à son devoir en méconnaissant les limites de ses attributions. Elle savait parfaitement que tout limogeage du Gouverneur revêtirait un caractère illégal car fondé sur des exigences illégales. Elle n’ignorait pas que son rôle consiste, pour l’essentiel, «…à définir les grandes orientations de la politique de l’UEMOA». Or cette politique ne saurait être politicienne. Il s’agit, strictement, de politiques de développement, d’intégration économique, de politiques économique, financière, monétaire, sectorielles (transport, agriculture, fisc, douanes…), etc.

L’on nous rétorquera qu’il est prévu que lorsqu’une question n’a pas été résolue par accord unanime au Conseil des ministres, celle-ci peut être tranchée par la Conférence des chefs d’Etat. Certes, mais dans la limite des domaines de compétence de l’UEMOA, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. La Conférence des chefs d’Etat n’est ni la Cour internationale de justice ni une Cour arbitrale internationale ni encore un supra Conseil constitutionnel international. Elle n’a pas compétence pour dire qui est président de tel ou tel pays membre. Sa posture se révèle donc illégale.

Voilà pourquoi, même si nous saluons la décision courageuse de Monsieur le Gouverneur Dacoury Tabley de «démissionner», nous aurions préféré - nous l’annoncions plus haut - qu’il n’en fit rien et qu’il laissât la Conférence des chefs d’Etat prendre la responsabilité de le limoger. Cela aurait renforcé la saisine de la Cour par les autorités ivoiriennes, car le mandat du Gouverneur est dit «irrévocable», surtout qu’il n’a pas été auteur de faute grave ainsi que démontré ci-dessus. Nous sommes d’autant plus réservé sur l’opportunité de cette «démission» qu’elle ne règle rien, car nous demeurons bloqués par cette affaire de signature.

De quoi s’agit-il ? Aucun chef d’Etat ne signe quoi que ce soit à la BCEAO. Donc, parler de signature de Gbagbo ou de Ouattara est une évocation impropre. C’est un haut fonctionnaire (ex : Directeur du Trésor ; Directeur de la Comptabilité publique, Trésorier Payeur Général ou autre Directeur Général, etc.) qui détient la signature pouvant mouvementer le compte de son pays auprès de la BCEAO. A cet effet, la BCEAO-siège est informée du nom du signataire (ou des signataires) par lettre, télex, fax, mail, message chiffré selon une identification claire de la source par la BCEAO. En d’autres termes, c’est le ministère des Finances à Abidjan qui peut donner l’information, pas un courrier ou un message provenant d’une auberge ou d’un palace. Même dans les pires situations de coups d’Etat (et Dieu sait qu’il y en a eu dans l’Union), la BCEAO a toujours fonctionné ainsi en traitant avec le détenteur effectif du pouvoir.

Nous allons nous limiter à la question des salaires (des fonctionnaires ivoiriens) pour ne pas alourdir le texte en dissertant sur les autres considérations touchant la relation financière Etat-BCEAO (ex : anticipations sur les bénéfices nets, bons du Trésor, concours à l’économie (Etat et secteur bancaire), concours globaux divers, décaissements sur facilités Banque mondiale, FMI et autres bailleurs de fonds, etc.). Cette histoire de salaires préoccupe tout le monde et d’aucuns comptent dessus pour étouffer le gouvernement de Côte d’Ivoire avec, pour conséquence, provocation d’un soulèvement populaire contre les tenants du pouvoir. Nous avons déjà indiqué que c’est le Trésor public ivoirien et non la Banque centrale qui paie les salaires.

Si ce Trésor venait à avoir besoin d’un complément ponctuel, un delta, pour s’acquitter de sa tâche, pourquoi devrait-on le bloquer, l’empêcher de mettre en œuvre tel ou tel mécanisme ou de tirer sur son compte simplement parce qu’un différend politicien oppose des gens ? Pourquoi l’infirmier de Yamoussoukro, la secrétaire du préfet d’Abengourou, le greffier du Tribunal de Bouaké, l’instituteur de Dimbokro, le gendarme en service à Gagnoa devraient-ils être privés de leur salaire parce que le titulaire de la signature séjourne dans un hôtel plutôt que dans une structure du ministère des Finances ? Pourquoi devrait-on se situer en position de pénaliser le fonctionnaire ou agent de l’administration ivoirienne qui, tout un mois, a travaillé pour ses concitoyens et son pays, simplement parce que des «en haut de en haut» (les chefs) s’étripent sur la politique politicienne alors que lui, a une famille à nourrir et des engagements de toute nature qui le pressent. Pire, c’est quand on atteint le retraité.

Imposer le transfert de signature aux mandataires de Ouattara qui ne se trouvent pas dans les locaux publics relevant du ministère des Finances n’est pas opérationnel et c’est bien ce que le Gouverneur a objecté à juste titre. Il n’est fautif de rien du tout. Nul ne peut mettre en œuvre une décision illégale et matériellement impossible à appliquer sur le terrain tandis qu’elle s’avérerait injuste vis-à-vis du citoyen qui n’a rien à voir dans ce conflit politicien. A moins que nous soit démontré comment seraient payés les salaires et pensions de retraite par les mandataires de Ouattara. Signalons que, depuis le lundi 24 courant, les salaires ivoiriens sont payés. Aucun Etat ne l’a fait dans l’Union.

On tire trop sur la corde et si l’on recherchait le retrait de la Côte d’Ivoire de l’Union et la création de sa propre monnaie, on ne s’y prendrait pas mieux. Même s’il s’agit là d’un autre débat, ce n’est pas une vue de l’esprit et des gens sérieux insistent là-dessus à Abidjan. Ce serait la mort de notre Cfa ouest africain.

Dans le monde entier, la considération d’une Banque centrale repose sur son indépendance, socle de son efficacité qui fonde sa crédibilité. Cette intrusion sauvage et inédite de la politique politicienne dans le fonctionnement de la BCEAO n’augure rien qui vaille. Le mieux serait que la Cour de justice infirme, rapidement, les décisions illégales et rejette la «démission» qui ne remplit pas les critères de liberté et de volonté ; que le Gouverneur Dacoury- Tabley soit invité à poursuivre sa mission, tandis que le dialogue permette de trouver solution à la crise politique en question.

* Jean-Paul DIAS est Ancien Membre du Conseil des ministres de l’UMOA

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