Festival Mondial des Arts Nègres : Culture et Réalité(s) au Sénégal

La troisième édition du Festival Mondial des Arts Nègres, organisée au Sénégal du 10 au 31 décembre 2010, a autant été un moment de manifestations culturelles que de polémiques. D’aucuns n’y ont pas trouvé le cachet culturel attendu pour situer le Nègre dans les temps présents. Et Elie Charles Moreau stigmatise ce qui fut «une diversité de strip-tease d’intellectuels et lettrés, rivalisant de narcissisme et nombrilistes à souhait, pour soutenir des thèses réellement d’arrière-garde».

La messe est dite : les rideaux sont tombés sur ce qui devait être le Festival Mondial des Arts Nègres, c’est-à-dire une occasion inouïe – dans un temps déterminé et un lieu défini - de re-susciter un rendez-vous que Léopold Senghor nous lègue et laisse positivement en notre pluriel imaginaire et ce « jusqu’à l’extinction du soleil ». Mais aussi, ce devrait être un temps et un lieu plus qu’opportuns pour, non pas seulement, comme arguait Césaire, « commander aux îles d’exister », mais, surtout, (re)penser l’Afrique et ses diasporas dans les temps présents et futurs du monde.

Au lieu de cela, nous avons eu droit à une diversité de strip-tease d’intellectuels et lettrés, rivalisant de narcissisme et nombrilistes à souhait, pour soutenir des thèses réellement d’arrière-garde parce que « le tout » y a été dit et transcrit et transmis par encore Léopold Senghor en un essai essentiel intitulé « Négritude et Humanisme » et au travers d’un texte sublime, « ce que l’Homme noir apporte… » C’était en 1961. C’est cela qui a présidé et abouti à ce qu’universellement et de façon consensuelle, et tacitement, on dénomme Festival Mondial des Arts Nègres avec le pluriel et altier plaisir d’en parler depuis 44 ans. Et non point comme « le Festival de Senghor ». Et ce constat n’est ni aérien ni innocent.

Il serait intéressant, d’ailleurs, que des personnes morales et physiques se chargent, patriotiquement, aujourd’hui que les jeux sont faits et les cirques clos, de recenser les citoyens et autres témoins qui, en lieu et place d’un Festival Mondial, ne parleraient que d’un « Festival musical » sinon (et en rigolant) du « Festival de Abdoulaye Wade ». Hélas !.. Car, au vrai, et c’est une intime conviction, Me Abdoulaye Wade méritait plus et mieux que ce cirque étalé sur trois semaines que nous sommes des légions et légions, de par le monde, à imaginer et même à nous assurer, affreuses pour ceux et celles-là qui eurent mission de les mener à terme.

Mais enfin… Le vin est tiré. Du goulot à la lie, il aura été amer ! Me Abdoulaye Wade, au fond, avait de bonnes raisons d’être « inquiet » et de l’affirmer, le 5 novembre 2010, lors du Conseil présidentiel consacré au dit événement. Et là encore, je reste convaincu que le Festival Mondial des Arts Nègres reste un projet, je veux dire une vision noble, à convertir en destin. J’ose croire que le prochain chef de l’Etat du Sénégal, à l’aise et avec de viables raisons, se fera devoir d’inclure du lot des faits et gestes culturels d’un bilan de politique culturelle n’existant que virtuellement… Et, de surcroît, « au pays de Senghor ».

Mais, au fond, plus grand monde ne s’étonnera ou même ne s’indigne au Sénégal du sort de la Culture comme vocable et/ou comme secteur et levier de développement économique et social. « La Culture est au début et à la fin du Développement », « La Culture c’est tout le Développement », « La Culture est l’essence même de notre existence », ont dit, respectivement, les trois Magistrats suprêmes du Sénégal. La réalité, à deux ou trois variantes près et qui correspondent à autant d’initiatives à revoir et forcément à corriger, nous conforte dans l’impératif urgent et plus que pressant d’Assises à finalité unique de faire recouvrer à la Culture et ses lettres de noblesse et toutes ses syllabes d’accueil.

Les acteurs et conseillers dans le domaine, les artistes de toutes natures et les écrivains de tous ordres, ne demandent et n’attendent légitimement que l’essentiel. Au fond, trop peu de choses : que la Culture cesse de n’être qu’un substitut quand tout tourne en rond et, surtout, quand les faillites s ‘accroissent et que s’accumulent âpres nos affres dans le pays. Que la Culture enfin soit !.. Et soit ce « ciment social » ou « ce moyen de transformation positive de la société » qui aboutirait, pour sûr, à la cessation de mort comme des chiens de bien des comédiens et artistes, mais aussi ferait que les éditeurs et autres promoteurs ne se rongent plus ni les hardes ni les sangs et que les écrivains, délivrés d’angoisses ménagères qui érodent leurs libertés, leurs inspirations et sensations, nous livrent les visions dont chacune pourrait être des kilomètres de franchis en cette route couverte de doutes et de mâles complexités pour asseoir, de manière convenable et pérenne, « Un destin pour l’Afrique ».

C’est un fait qu’au Sénégal, singulièrement, la crise est latente dans la Culture comme le malaise est tenace dans la société. Et pourtant, il eût suffi rendre dynamique l’évidence que les questions de tous les jours sont des questions culturelles et que les questions culturelles sont les questions de tous les jours pour commencer à lénifier les plaies et œdèmes en chaque cœur d’actant dans le domaine. Autrement dit, prendre en compte un tel postulat, c’est 50% du chemin à accomplir ! Et qui est, nonobstant les aléas et surtout à cause d’eux, de l’ordre des possibles ! Tous les ingrédients existent pour relever pareil défi ! Il est un Protecteur des Arts, des Lettres et des Artistes et qui n’a jamais lésiné sur les moyens. Il est suffisamment d’idées qui, converties en faits, seraient autant d’actes et de souvenirs culturels sublimes que Me Abdoulaye Wade, non seulement laisserait comme traces et marques d’un magistère, mais apporterait en cet honorable baroud qui consiste à (ré)installer le Sénégal en pôle position. Culturellement s’entend !

Pour ce faire, il me paraît impérieux de dénaturer des « normes » et cela passe par un froid tour du propriétaire. Nous sommes irrecensables à itérer, depuis dix ans déjà, cette essentielle requête. Depuis dix ans, on vit une instabilité de la tutelle de la Culture que rend plus poignante le fait que trop de postures n’y sont aussi qu’autant d’impostures. Et pourtant, comme les initiatives, les compétences courent nos rues et, en récurrence, pavoisent et paradent en nos boulevards et avenues. Elles ne demandent qu’à judicieusement être utiles et utilisées. D’autant que trop de paris se présentent comme autant d’infrastructures à (par)achever : le Parc culturel et le statut de l’artiste, le mécénat singulièrement littéraire et la promotion de la poésie dans la Nation et en toutes les langues codifiées, la (re)naissance du cinéma et le recouvrement par « Sorano » (NDLR : la principale salle de théâtre du Sénégal) de ses termes originels de référence, les Grands Prix du Chef de l’Etat, de vrais espaces régionaux de culture et une Biennale des lettres, la dévirtualisation de la décentralisation et la sécurité sociale des artistes et des écrivains, la systématisation de la commande publique des œuvres artistiques et la mise en branle des journées et soirées qui célèbrent ou sacrent les actants méritants, la promotion dynamique du livre,, de la lecture et, forcément, des auteurs et éditeurs, le dialogue des cultures et des civilisations, mais encore la coopération entre les institutions culturelles, prioritairement du Sud et naturellement avec celles dans les diasporas, l’option senghorienne d’envoi de conseils et de nomination d’écrivains et d’artistes en postures d’ambassadeurs extraordinaires et plénipotentiaires à fin de vulgariser et bien vendre « la destination Sénégal » qui souffre de trop de laxisme et, hélas, du dilettantisme de trop d’agents assermentés, etc.

Au bout des comptes, avouer que, malgré tout, le glas de la culture ne sonne ni ne bat en nos oreilles et nos cœurs… Toutefois, il urge une vraie refondation de la culture, non pas comme secteur, mais comme espace ample englobant l’artisanat, le tourisme et les loisirs. Me Abdoulaye Wade, soucieux de laisser de sublimes et perpétuelles empreintes en nos imaginaires, et conscient de n’avoir désormais de réels interlocuteurs que la Postérité et l’Histoire, pour rien au monde, ne devra rater ce rendez-vous d’abord avec lui-même. Ensuite avec les Sénégalais et (pan)africains de toutes les latitudes de la terre.

Des menaces sérieuses se font jour, dans un proche temps, si l’on n’y prend garde, la culture ne sera plus qu’un composé de théories merveilleuses entretenues par de petits cercles de clercs et lettrés en des agoras en rien différentes de sociétés secrètes ou d’espaces réservés à des « initiés ». Tout fiche le camp, dit-on, mais je persiste à croire que tout n’est pas perdu, comme je demeure convaincu que la prise en charge de la culture en sa globalité reste pressante plus que jamais. En définitive et au seuil de cette neuve année, j’appelle de mes vœux le temps où la culture sera tellement considérée (et celles et ceux–là dont elle est la respiration, la prédestination et la quotidienneté valorisés) que toutes les perfusions, prothèses et vitamines que l’Etat aurait soit arrêtées soit décrétées en vue de la soutenir ne seront plus nécessaires.

* Elie-Charles Moreau est président de la Commission Culture, Artisanat, Tourisme et Loisirs du Conseil Economique Social (et culturel) du Sénégal

* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur www.pambazuka.org