Mécanisme de développement impropre
« Le financement de programmes dédiés à l’atténuation et à l’adaptation au changement climatique en Afrique a suscité de nouvelles formes d’impérialisme orienté vers les ressources, les investissements extractivistes et les opportunités d’accaparement des terres, en particulier de la part de compagnies européennes et chinoises. », écrit Blessing Karumbidza. Ces projets, qui font un usage intensif de surfaces foncières, affectent négativement les conditions de vie et de subsistance des personnes qui dépendent de la terre pour leur alimentation et d’autres besoins. Le cas du village Idete en Tanzanie, site d’une plantation arboricole de l’entreprise norvégienne Green Resources AS, constitue un exemple de la manière dont les projets de « développement (prétendument) propre » ne bénéficient pas toujours aux communautés.
L’utilisation de plantations arboricoles comme stratégie d’atténuation du changement climatique a été mise en avant dans certains cercles comme un moyen innovant de s’attaquer au problème du climat tout en favorisant le développement des régions où ces projets étaient implantés. Malheureusement, ces promesses n’ont pas encore été confirmées, et les effets réels de cette approche risquent fort de s’avérer peu brillants. Les résultats préliminaires indiquent que la stratégie basée sur les plantations est vouée à l’échec, et à causer davantage de mal que de bien pour les pays qui se laissent leurrer par les mécanismes de marché. Le financement des programmes dédiés à l’atténuation et à l’adaptation au changement climatique en Afrique a ouvert la voie à de nouvelles formes d’impérialisme orientées vers les ressources, les investissements extractivistes et les opportunités d’accaparement des terres, en particulier de la part de compagnies européennes et chinoises.
À cette fin, des termes comme « afforestation » et « reforestation » ont été délibérément confondus, et les plantations ont été présentées comme des forêts. De vastes savanes et des zones bio-diverses fragiles se trouvent détruites par la course à l’implantation de plantations arboricoles monoculturales, basées sur des espèces exotiques invasives et gourmandes en eau, comme l’eucalyptus ou le pin, le tout au nom de l’atténuation du changement climatique et du développement. Des think-tanks alignés sur les intérêts occidentaux (à travers principalement le FMI, la Banque mondiale ou l’ONU), ainsi que le secteur privé, sont occupés à encourager et faciliter le processus, à travers des moyens qui rappellent l’expansion coloniale du XIXe siècle. Ces think-tanks et ces entreprises s’allient pour influencer et leurrer les gouvernements africains avec des promesses de financement et de développement, afin qu’ils sanctionnent le processus d’expropriation de terres qui se développe actuellement à une vitesse alarmante, et qui a été qualifié par certains de « nouvelle ruée sur l’Afrique » [1] ou encore de « colonialisme du carbone » [2].
La terre : nouvel objet de l’impérialisme
Le financement des projets liés au changement climatique a entraîné une marchandisation accrue de la terre et des ressources naturelles de l’Afrique, toujours fondée sur l’exploitation de la main d’œuvre africaine pour en extraire une plus-value destinée à nourrir l’accumulation occidentale. Les promoteurs de ce paradigme de développement ont colporté un discours présentant la terre en Afrique comme dégradée, marginale, ou de faible valeur économique. Pour en faciliter « l’usage économique par des firmes étrangères », des milliers d’hectares sont loués (et dans certains cas vendus) sous prétexte d’assurer une régénération à long terme de la terre et la conservation des ressources naturelles, et d’en dériver en même temps des bénéfices économiques.
Selon Mwesiga Baregu [3], cette rupture se situe dans le droit fil du nouveau caractère de la globalisation, qui a rendu la main d’œuvre africaine surnuméraire. Le nouvel objet de l’impérialisme en Afrique est la terre. La justification avancée auprès d’actionnaires consciencieux, ainsi qu’auprès des voix africaines critiques, pour financer des projets dans le cadre du Mécanisme de développement propre (MDP) et de REDD+ (Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts) est que ces projets de développement contribueront de manière significative à remédier à la pauvreté que connaissent de nombreuses communautés rurales africaines.
Le transfert de la gestion des forêts vers le niveau local dans de nombreux pays en développement est perçu comme une panacée en termes d’amélioration des conditions de vie et de subsistance et en termes de bonne gouvernance. En Tanzanie, le transfert de la gestion des forêts au niveau local a ouvert grand les vannes pour l’arrivée d’entreprises étrangères qui parviennent à soutirer la terre aux structures rudimentaires de gouvernance rurale en place au nom du développement. Jagger, qui a essayé d’évaluer les effets de la réforme du secteur forestier sur les conditions de vie rurales en mesurant deux bénéfices attendus (revenu ajusté tiré de la forêt par les ménages, et proportion du revenu ajusté des ménages issu des produits forestiers), a conclu à une amélioration limitée [4]. Il nuance toutefois cette conclusion, relevant que « pour les ménages et les forêts affectés par la réforme, il n’y a pas de preuve empirique que des résultats favorables aient été atteints à la fois en termes d’amélioration des conditions de vie et de durabilité », et que « les améliorations des conditions de vie sont généralement attribuées à des défaillances institutionnelles, parmi lesquelles une application sélective de la réforme au bénéfice des plus riches et l’absence de toute implication significative des communautés » [5].
Se basant sur le cas tanzanien, Blomley et alii [6] notent eux aussi l’importance des arrangements institutionnels dans la distribution des bénéfices tirés des ressources forestières. La récente ruée sur les terres africaines pour des projets d’agrocarburants ou liés au changement climatique a conduit à une situation, dont les implications sont redoutables pour la souveraineté alimentaire nationale et locale, où les plantations arboricoles deviennent prioritaires par rapport à l’agriculture. Ceci a entraîné un accaparement des terres dans de nombreuses régions du continent africain.
Parmi les exemples de cet accaparement de terres, l’intention affichée par le gouvernement éthiopien, proche à la fois des États-Unis et de la Chine, tirant prétexte de la famine persistante dans le pays, de réserver 3,6 millions d’hectares de terres à donner en location à des investisseurs. Certains allèguent que des millions d’hectares ont déjà été « alloués », à des firmes saoudiennes qui paient 50 cents de dollar US l’acre. Derrière ces arrangements plane l’ombre de Sheik Mohammed Al Amoudi – qui figure parmi les 50 premières fortunes mondiales, et qui contrôle de larges pans du secteur privé éthiopien.
L’Arabie saoudite n’est pas seulement active en Éthiopie, mais aussi en Tanzanie, au Mali, au Sénégal et au Soudan. La Chine a loué 9 millions d’acres au Congo-Kinshasa, le Qatar 250 000 acres au Kenya, et des firmes indiennes ont loué 800 000 acres au Soudan. Des compagnies originaires de Suède et de Norvège ont acquis des terres pour y cultiver de la jatropha à transformer en biodiesel et des arbres à transformer en crédits carbone. À Madagascar, un projet de transfert de terres à une échelle similaire a suscité un mouvement de masse qui a fait chuter le président, lequel voulait donner la moitié de la terre arable de l’île à l’entreprise sud-coréenne Daewoo. Le peuple a considéré qu’il s’agissait d’une forme de re-colonisation. L’accord conclu avec Daewoo incluait la promesse de construction de routes et d’infrastructures, un aspect que l’on retrouve dans la plupart des arrangements conclus entre gouvernements africains et investisseurs étrangers. Un facteur sous-jacent de ces projets est donc l’absence de programmes de développement endogènes, dédiés à la production et à la consommation africaines locales.
La perception des forêts comme solution au changement climatique a ouvert les vannes à une ruée sur les terres africaines. Robeldo et alii [7] envisagent les forêts à la fois comme une cause et comme une solution au changement climatique, observant que « les forêts peuvent jouer un rôle central dans le changement climatique » et que « les émissions de gaz à effet de serre des forêts (…) représentent jusqu’à 25% des émissions annuelles actuelles au niveau mondial ». Cette analyse passe sous silence le fait que les principales activités qui contribuent aux émissions qui causent le changement climatique sont localisées loin des forêts dont on attend qu’elles facilitent son atténuation. L’intérêt pour les terres, forêts et plantations arboricoles africaines de la part de pays européens comme la Norvège ou la France, par exemple, se justifie au nom de la lutte contre le changement climatique. La compagnie norvégienne Green Resources AS a étendu ses investissements en Afrique, avec des plantations en Tanzanie, au Mozambique et en Ouganda, et poursuit sa recherche frénétique de terres supplémentaires pour engranger des crédits carbone, une démarche qui a été qualifiée par certains observateurs critiques d’« impérialisme du carbone ». Les opportunités d’investissement liées au changement climatique dans le « secteur forestier » sont de véritables aubaines pour les pays développés, et des menaces pour les économies et les communautés des pays en développement.
Le concept du Mécanisme de développement propre
Les financements liés au carbone sont une réponse « top-down » au changement climatique, fondée sur la conviction erronée que l’argent pourra toujours « arranger les choses ». Généralement, cela se traduit par des investissements supplémentaires dans les mêmes activités écologiquement destructrices qui ont créé le problème initialement, en évitant tout changement significatif dans le système économique dominant [8]. Cette approche bénéficie aux pays riches du Nord, en leur permettant de poursuivre l’extraction et la transformation industrielle des ressources naturelles des communautés marginalisées du Sud. Les hydrocarbures représentent une forte proportion des ressources transférées dans le cadre de ce système à sens unique, où les bénéfices des activités industrielles polluantes sont concentrées dans quelques pays et les émissions de CO2 au contraire partagées globalement, sous forme de changement climatique. À ce jour, les tentatives de financement de projets d’atténuation du changement climatique n’ont eu qu’un succès limité, et nombre d’entre elles sont apparues davantage de nature à perpétuer, plutôt qu’atténuer, les conditions qui ont conduit au changement climatique, tout en créant des problèmes supplémentaires pour les communautés locales affectées [9].
Depuis la mise en place de la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC) en 1992, les pays industrialisés ont essayé de diverses manières de maîtriser ou de limiter leurs émissions de gaz à effet de serre. Cette démarche a culminé avec le Protocole de Kyoto de 1997 (qui n’a été officiellement ratifié qu’en 2005), lequel a rendu possible les investissements dans des projets de développement « propre » ou à faible niveau d’émissions de carbone dans les pays en développement dans le cadre du MDP. Les crédits carbone accumulés grâce à de tels projets générant des « réductions d’émissions additionnelles » peuvent ensuite être utilisés par les industries polluantes et les autres émetteurs de gaz à effet de serre dans les pays de l’« Annexe 1 » pour compenser les manquements à leurs objectifs de réduction d’émissions. En théorie, cela devait avoir pour résultat une réduction supplémentaire des émissions globales et, en même temps, une stimulation du « développement durable » des pays en développement.
À l’évidence, les bienfaits attendus du MDP en termes de lutte contre le changement climatique ne se sont pas concrétisés. En dépit du battage médiatique et d’une campagne vigoureuse et coûteuse de l’ONU et de la Banque mondiale pour le promouvoir, le MDP n’a débouché que sur une infime fraction des réductions d’émissions espérées. Il a favorisé à la place la spéculation financière, source de relations malsaines entre consultants et porteurs de projets [10]. Les émissions globales de gaz à effet de serre ont augmenté plutôt que diminué, et leurs effets climatiques se feront sentir jusque dans un futur éloigné sous la forme de phénomènes climatiques extrêmes, causes de dégâts pour l’environnement et les infrastructures et de souffrance humaine.
Étude de cas : la Tanzanie
Cette étude s’est concentrée sur le projet de plantation arboricole de Green Resources localisé sur une savane humide proche du village d’Idete dans la région de Mufindi, au Sud de la Tanzanie. La Tanzanie est un grand pays, abritant des peuples divers et une vaste nature sauvage qui attire de nombreux touristes étrangers. La principale source d’emploi pour ses 38 millions d’habitants demeure toutefois l’agriculture de subsistance, associée à un vaste secteur industriel informel basé sur l’exploitation des ressources naturelles, notamment le bois des forêts denses et claires. La majorité du peuple tanzanien vit encore dans des zones rurales sous-équipées et doit faire face à des problèmes d’énergie, de communication, de transfert de technologies appropriées, ainsi que de niveau très bas d’alphabétisation – autant de facteurs qui affectent négativement le niveau de vie.
L’étude de cas tanzanienne montre que les financements du MDP sont utilisés pour influencer les structures nationales de gouvernance afin de faciliter un accès à bon marché aux ressources naturelles et à la terre. Ces projets sont motivés par la recherche de profits, aux dépens des pays en développement où ils sont mis en œuvre, avec pour conséquence des dommages sociaux et environnementaux non souhaités (mais qu’il était possible d’anticiper). L’industrie des financements climatiques se juge nécessaire et pense qu’elle sera efficace dans la lutte contre le changement climatique. Elle présuppose également qu’il n’existe pas de meilleures alternatives, et que les autres options ne sont pas à la hauteur des grands projets d’atténuation du changement climatique soutenus par les marchés du carbone. Autant d’arguments qui peuvent sembler inattaquables dès lors que le Protocole de Kyoto en a décrété ainsi, à travers son soutien aux mécanismes de marché. Des solutions plus simples, moins coûteuses et tout aussi efficaces comme l’agriculture biologique se sont trouvées exclues de fait, probablement parce qu’elles généraient peu de bénéficies pour la confrérie des marchands de carbone, et pouvaient même remettre en cause l’ordre établi de l’agriculture industrielle.
L’exemple de Green Resources, qui a endommagé de précieuses zones de savane pour tirer profit de la perpétuation de la pollution au Nord, démontre le caractère grotesque des marchés du carbone. Dans le cadre du MDP, il est possible de présenter des plantations arboricoles comme des projets visant à réduire les émissions de CO2, quand bien même de tels projets auraient bien du mal à démontrer le caractère additionnel de leurs réductions (c’est-à-dire qu’elles séquestrent davantage de carbone que la savane qu’elles remplacent). Pendant ce temps, REDD+, qui pourrait en théorie réduire les émissions des forêts d’entre 12 et 20%, ne commence que maintenant à faire l’objet de discussions en vue de son inclusion dans un régime post-Kyoto de lutte contre le changement climatique. Malheureusement, il est très peu probable qu’il soit approuvé sans être étroitement lié à des mécanismes basés sur le marché comme le MDP.
Le début des activités de financement climatique en Tanzanie
En 2002, un rapport de NorWatch, une organisation de la société civile norvégienne, soulignait le caractère problématique des activités de compensation carbone de l’entreprise norvégienne Green Resources dans une plantation arboricole en Ouganda. Green Resources, connue alors sous le nom de Tree Farms Ltd, s’était lancé dans une campagne d’acquisition de terres dans différents pays d’Afrique de l’Est en vue d’établir de vastes plantations d’arbres. Les zones ciblées étaient des régions rurales isolées, et l’entreprise a obtenu des baux de longue durée pour des terres dans le Sud de la Tanzanie. Harald Eraker, auteur du rapport de NorWatch intitulé « CO2lonialisme », levait ainsi un lièvre qui continue de courir sous le regard attentif de NorWatch.
En 2009, NorWatch mena une nouvelle enquête sur les activités de Green Resources et publia en juin de cette même année un rapport au vitriol attirant notamment l’attention sur les conditions dans lesquelles les terres des communautés avaient été louées à Green Resources. Lorsque TimberWatch apprit que l’entreprise était en train d’essayer de faire enregistrer ses plantations controversées comme projets de reforestation dans le cadre du MDP, cette organisation décida d’approfondir l’enquête. Durant le Sommet de la CCNUCC de décembre 2009 à Copenhague, TimberWatch rendit public un rapport préliminaire basé sur ses investigations initiales. La réaction défensive de Green Resources est venue confirmer les nombreux problèmes identifiés [11].
De plus amples informations sur le projet de plantation puit de carbone « projeté » à Idete dans le cadre du MDP (il est en fait déjà en place bien que non enregistré dans le cadre du MDP) peuvent être trouvées sur le site web du World Rainforest Movement, ainsi que dans le document original de présentation du projet. Les projets détaillés de Green Resources d’étendre ses plantations dans la région (disponibles sur le site de l’entreprise) constituent un sérieux motif d’inquiétude du point de vue de ses conséquences potentielles en termes d’accaparement des terres et de durabilité des conditions de vie et de subsistance.
Les plantations arboricoles liées au MDP en Tanzanie
La filiale tanzanienne de Green Resources a déjà planté 2 600 hectares sur les 14 000 hectares de terres qu’elle a acquis à bas prix auprès de la communauté d’Idete. Elle déclare l’objectif de planter au total 7 000 hectares d’eucalyptus et de pins. La communauté est encouragée à suivre l’exemple, en plantant des arbres que l’entreprise a promis d’acheter. La motivation principale alléguée pour cet investissement est de tirer des revenus du marché émergent du carbone rendu possible par le changement climatique. Une fois encore, la terre et les forêts de l’Afrique, qui ont servi de poumon à la planète entière et en particulier aux économies développées qui n’auraient pu s’industrialiser sans exploiter la terre intensivement, sont mises au service des intérêts du monde développé. Green Resources espère faire l’acquisition de pas moins de 170 000 hectares de terre en Tanzanie seulement, dont la majeure partie (142 000 hectares) proviendraient des hauts plateaux du Sud riches en biodiversité et en précipitations. Pour parvenir à s’accaparer ces terres sans trop mettre la main à la poche, l’entreprise mise sur la pauvreté, l’illettrisme, l’ignorance et le désespoir des communautés. Le gouvernement tanzanien, comme les nombreux autres régimes à courte vue qui échangent leurs ressources naturelles contre des investissements directs étrangers peu profitables, est un client et un facilitateur satisfait de projets de ce type.
L’ironie sous-jacente au soutien des Norvégiens pour ce type d’investissement doit être soulignée. La Norvège a une position ambivalente. D’un côté, elle est un producteur et un exportateur de pétrole majeur, à travers sa compagnie nationale Statoil, et contribue substantiellement aux émissions de gaz à effet de serre. D’un autre côté, la Norvège aimerait être perçue comme une puissance morale, et cherche donc à s’aligner sur des politiques progressistes (sur les questions sociales, environnementales, de droits humains et de développement). Affichant sa prétention à occuper une position de leadership en matière climatique, la Norvège s’est alliée à la France à travers l’accord Oslo-Paris, qui apparaît rien moins que comme une plateforme visant à dominer et à faire progresser l’acquisition de terres ainsi qu’à s’assurer des positions privilégiées dans les marchés carbone. En d’autres termes, la Norvège est devenu un régime colonial moderne d’un nouveau type, dont les organes sont des entreprises comme Green Resources qui asservissent les communautés locales sur leurs propres terres. Tirant avantage des débats sur le changement climatique, le gouvernement norvégien s’est engagé dans des projets d’atténuation tout autour de la planète à travers l’achat de crédits de réductions d’émissions de carbone afin de compenser ses émissions domestiques. Les plantations comme celles de Green Resources en Tanzanie sont d’autant plus importantes dans cette perspective qu’elles pourraient permettre d’engranger jusqu’à 400 000 crédits carbone.
Green Resources : promesses, activités et investissement
Green Resources est propriétaire et gestionnaire de la scierie de Sao Hill (antérieurement propriété du gouvernement tanzanien), où elle produit des poteaux de transmission ainsi que des produits de charpenterie. Selon le rapport d’entreprise 2008/2009 de Green Resources, elle est « l’entreprise leader de forestation » en Afrique, « faisant pousser des arbres pour générer des crédits carbone et de la bio-énergie, ainsi que pour fabriquer des produits à base de bois », et se targuant d’avoir « probablement planté davantage d’arbres que toute autre compagnie privée en Afrique au cours des dix dernières années, avec un chiffre record de 4 200 hectares de forêts nouvelles plantées en 2008 ». Le même rapport indique également que l’entreprise « détient plus de 200 000 hectares de terres pour des plantations et conversions futures, et a procédé à la première récole d’arbres plantés par elle-même en 2008. La composante MDP des projets de Green Resources en Tanzanie n’est qu’un élément parmi une multitude d’autres activités liées au bois. À écouter les différents dirigeants de Green Resources, il n’y a pas consensus sur le caractère prioritaire ou primordial de cette composante dans les activités de l’entreprise en Tanzanie, ni sur le pourcentage des activités liées aux plantations arboricoles qu’elle représente. Selon le rapport d’entreprise, « tous les revenus verts liés aux compensations carbone seront réinvestis dans de nouvelles activités de compensation carbone ou utilisés pour le développement communautaire africain, ce qui fait de cet investissement l’un des plus attractifs au monde ».
Impacts sociaux et économiques pour la communauté
Sur le papier, le système de propriété foncière tanzanien laisse aux communautés locales le pouvoir de décision quant à d’éventuelles transactions avec des entreprises dont leurs terres feraient l’objet. Cependant, les communautés locales comme celles d’Idete et de Makungu n’ont pas les connaissances nécessaires pour tenir tête à des spéculateurs fonciers internationaux se présentant sous le masque d’investisseurs et d’agents de développement. Pour cette raison, les investissements de ce type sont organisés par l’intermédiaire d’une agence gouvernementale nationale, la Tanzania Investment Corporation (TIC). L’opinion de l’auteur du présent article, corroborée par des expériences en Afrique australe, au Brésil et en Inde, est que la situation du foncier doit constituer la considération fondamentale sur la base de laquelle accepter ou refuser les propositions d’investissement. Le gouvernement tanzanien admet lui-même que « la terre est le moteur de la croissance économique et de la survie de la population. En Tanzanie, 80% du PIB provient de l’agriculture. » C’est pourquoi la mauvaise gestion ou le transfert inconsidéré de terres auraient des conséquences dramatiques pour la population. Comme personne ne possède la terre, mais la détient temporairement seulement pour le compte des générations futures, le fait que la génération présente puisse engager la terre dont elle a la responsabilité pour une durée plus longue que sa propre existence doit être considéré comme problématique du point de vue éthique. Dans cette perspective, les baux de 99 ans offerts aux compagnies d’investissement sont moralement et éthiquement indéfendables.
D’autres organismes internationaux indépendants tels que la FAO, l’International Fund for Agricultural Development (IFAD) et l’International Institute for Environment and Development (IIED) ont eux aussi posé la question de savoir si ces investissements massifs dans l’agriculture (et les plantations) devaient être considérés comme des accaparements de terres ou des opportunités de développement, observant que la terre est « à juste titre un enjeu brûlant, car elle est un élément central de l’identité, des moyens de subsistance et de la sécurité alimentaire ».
La terre comme ancrage des moyens de subsistance, et les impacts sur l’accès des communautés locales à l’alimentation et à l’eau
La Tanzanie est une économie majoritairement rurale et la propriété, l’accès à et le contrôle de la terre sont cruciaux pour la sécurisation des moyens de subsistance. Les investissements qui requièrent de vastes surfaces foncières, comme les plantations arboricoles, génèrent des pressions sur les communautés pauvres. Green Resources fait feu de tout bois pour persuader les membres des communautés au niveau individuel de faire pousser des arbres sur des parcelles de terre communautaire, avec l’intention de les acheter à maturité, mais également de tirer une valeur immédiate de ces plantations sous la forme la plus à la mode et la plus aisément commercialisable : comme crédits carbone. L’impact cumulé des parcelles boisées individuelles (qui vont en moyenne de 0,5 à 6 hectares) est négatif en termes de disponibilité de la terre pour la production alimentaire et les autres stratégies de subsistance de ces communautés.
Ainsi, même si la terre reste entre les mains de la communauté elle-même, dès lors que la principale activité économique menée sur cette terre est la production d’une marchandise dont la communauté locale n’a pas immédiatement besoin ou usage, on est en face d’une forme de vol de terre – car cette terre devient en pratique indisponible pour ses possesseurs légitimes. Sans oublier qu’il faut aussi prendre en compte les coûts liés au nettoyage et à la restauration de la terre après que celle-ci ait servi de support à des plantations arboricoles, coûts qui sont financièrement hors de portée des communautés locales.
L’accès à la nourriture et à l’eau a jusqu’à aujourd’hui été partiellement assuré par l’intermédiaire du marché, lequel n’est pas encore totalement développé dans la Tanzanie rurale. Les communautés rurales opèrent aux marges du marché des biens et des services, ce qui favorise une logique économique où les idiomes de l’accumulation sont constamment opposés aux populations rurales. Dans ce discours, les zones urbaines sont présentées comme complexes, mécanisées et modernes, tandis que les zones rurales largement traditionnelles sont reléguées au statut de main d’œuvre bon marché et de réservoirs de ressources naturelles. L’un des impacts les plus importants subis par les communautés rurales en termes de moyens de subsistance concerne leurs ressources en nourriture et en eau. Les arbres des plantations, notamment les eucalyptus, sont très gourmands en eau, et, dans les zones où sont établies des plantations, il n’est pas rare d’observer des réductions de débit en aval.
Comment la communauté sera-t-elle compensée pour ses pertes ?
Les principaux bénéfices attendus pour les communautés sont des opportunités d’emploi supplémentaires ainsi que le développement d’infrastructures dans la région. Dans la zone étudiée d’Idete, le très faible niveau des services sociaux tels que cliniques ou écoles restent à des années lumière de ce qui pourrait constituer une compensation juste pour la communauté. Il est également étrange que la proposition commerciale et l’étude de faisabilité de l’entreprise constituent la seule forme d’analyse coûts-bénéfices dont le projet ait fait l’objet. Le département gouvernemental qui contresigne ces accords n’a pas réalisé d’études propres afin d’évaluer dans quelle mesure un tel projet pourrait être mutuellement avantageux. Le manque de capacités au sein des institutions communautaires les empêche de comprendre les accords qu’ils signent, et encore moins de procéder à une analyse coûts-bénéfices des projets pour lesquels ils engagent leurs ressources. Même si des échanges ont eu lieu entre représentants de l’entreprise, fonctionnaires du district et leaders communautaires, la qualité de tels processus est douteuse. Les leaders villageois traditionnels ne représentent pas toujours toutes les voix de leurs communautés. Les zones rurales d’Idete et Makungu ne disposent pas d’institutions communautaires de propriété foncière, mais de systèmes d’autorité traditionnels liés aux institutions gouvernementales. Les rémunérations offertes aux autorités traditionnelles entraînent un changement d’objet de leur loyauté : non plus tant envers leurs communautés qu’envers ceux qui les paient.
Conclusion
Les financements climatiques affectés à des projets de plantations faisant un usage intensif de terres ont un impact négatif sur les communautés dans la mesure où elles sapent les stratégies de subsistance basées sur la terre des populations rurales et les rendent plus vulnérables à la pauvreté et à l’insécurité alimentaire. Avec ses efforts enthousiastes pour faire passer pour durables et avantageux des projets de plantations arboricoles écologiquement et socialement nocifs, Green Resources illustre à quel point le MDP est vicié – et constitue donc à ce titre un avertissement salutaire pour tout participant potentiel à des projets de ce type. Les conclusions de notre recherche montrent qu’un modèle fonctionnel apte à tirer les vies rurales de leur pauvreté abjecte requiert un régime redistributif d’investissement public basé sur le renforcement des stratégies actuelles de subsistance de la population. Le développement de communautés dotées d’un accès à la terre devrait se concentrer sur l’accroissement de la productivité, la souveraineté alimentaire et la sécurité alimentaire au niveau des ménages. Au-delà de la sécurité alimentaire, l’étape suivante est de relier leur production au marché afin d’augmenter les revenus du foyer. L’augmentation de la sécurité alimentaire et des revenus améliorerait l’état de santé et l’accès à l’éduction de ces ménages. Il en résulterait en retour un accroissement de la production, menant à une nouvelle amélioration du niveau de vie, à un revenu démultiplié et à une augmentation des actifs, tirant ces pauvres de la pauvreté pour les mener à la subsistance et sur la voie d’un niveau de vie en constante amélioration. Ce processus requiert toutefois une intervention plus active du gouvernement dans les secteurs pauvres de l’économie, ainsi qu’une meilleure planification et coordination. Cela signifie que le développement durable des communautés devrait se consacrer à renforcer et développer ce que ces communautés font déjà, en généralisant leurs activités. Cela implique également de généraliser les innovations technologiques qui améliorent la qualité des produits et raccourcissent leur temps de production. Malheureusement, très peu de nombreux gouvernements africains ont fait leurs preuves en termes de mise en œuvre de programmes de développement de ce type, qu’ils jugent trop lourds. C’est pourquoi ils préfèrent sous-traiter le développement à des investisseurs privés.
NOTES
[1] Southall, R. and Melber, H. (eds.) (2009), A New Scramble for Africa? Imperialism, Investment and Development, Scottsville, University of KwaZulu-Natal Press
[2] Eraker, Harald (2000), CO2lonialism: Norwegian Tree Plantations, Carbon Credits and Land Conflicts in Uganda, Oslo, NorWatch.
[3] Communication personnelle, 2010.
[4] German, Laura A.; Karsenty, Alain and Tiani, Anne-Marie (eds.) (2010), Governing Africa’s Forests in a Globalised World, Londres, Earthscan, p. 117.
[5] Ibid.
[6] Ibid., p. 126-143
[7] Ibid., p. 354
[8] ‘Carbon Trading 101’, Gloucestershire, UK, Sinks Watch (disponible à l’adresse : http://www.sinkswatch.org/campaign/carbon-trading-101)
[9] Carbon Trade Watch
[10] CDM Watch
[11] ‘Green Resources Ltd Reaction to Timberwatch Preliminary Report’, 2010, Athens, Carbon Positive (disponible à l’adresse : http://www.carbonpositive.net/fetchfile.aspx?fileID=174)
* Blessing Karumbidza et Wally Menne
Des versions antérieures de cet article ont été présentées au Centre for Civil Society de l’Université du KwaZulu-Natal à Durban ainsi que dans le cadre du projet sur la gouvernance et la corruption dans les financements liés au climat de l’Institute for Security Studies.
Blessing Karumbidza est membre de la coalition non gouvernementale Timberwatch et chercheur au Social Economic Rights Institute (SERI ) à Braamfontein, Johannesburg. Wally Menne est coordinateur des projets de Timberwatch. Traduction : Albert Caille.
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