Haïti : Où est la Mère Afrique lorsque ses enfants meurent ?
Une fois encore les enfants d’Afrique meurent. Où ? En Haïti. Un terrible séisme vient de balayer tout et de tuer - selon les estimations encore provisoires - 50.000 de nos compatriotes. D’une magnitude 7 sur l’échelle de Richter, ce séisme a ravagé la capitale du pays le mardi 12 janvier dernier. L’émotion est à son comble. Des cœurs saignent. Les médias occidentaux sont en ligne de mire pour à la fois montrer les ruines du pays, les corps déchiquetés et faire voir au monde qu’une fois encore ce sont leurs pays qui se sacrifient pour les autres et jouent aux bons samaritains, véhiculant ainsi la sous-lecture que les Noirs sont d’éternels assistés.
Les déclarations des pays occidentaux résonnent. Ceux qui en ont toujours voulu à Haïti d’avoir osé conquérir son indépendance et de ce fait l’ont sabotée, se disent, eux aussi, touchés et mobilisés. Dans ce concert de soutiens et d’actions certes insuffisants - au regard de l’ampleur du drame - et pas forcément désintéressés, les pays africains brillent par leur absence.
Régentée par des dictateurs sanguinaires, l’Afrique subsaharienne ne se porte pas mieux qu’Haïti. De plus, les tyrans africains n’ont aucune conscience de ce qu’est le peuple Africain. Pour la quasi-totalité de cette racaille politico-mafieuse, Haïti c’est dans les Caraïbes. Donc, ce qui s’y passe n’est pas son problème. Comment peut-il en être autrement lorsqu’on connaît l’insouciance et la cruauté qui sont les siennes à l’égard des sujets logés sur les territoires qu’elle administre.
La Mère Afrique, sous la férule des tyrans à la solde de l’étranger, est dans un coma tellement profond qu’elle ne ressent plus aucune douleur lorsque ses enfants périssent. Que ce soit sur ses propres terres, en mer avec ses enfants dits clandestins, ou plus loin sur d’autres continents. Il est loin, très loin le temps où cette mère protégeait ses progénitures. Aujourd’hui, sans couverture maternelle, les enfants d’Afrique sont à la merci autant des catastrophes naturelles ou provoquées qu’à celle des autres hommes qui ne cessent de les mépriser, les humilier, les exploiter, les spolier et les contrôler mentalement.
Dans cet océan de ruines et de désolation, où sont les organisations du peuple Noir? Où sont les associations de soutien à nos compatriotes d’Haïti en ces moments de douleurs intenses ? Nulle part ! Nous sommes devenus un peuple sans conscience, sans organisation, sans soucis alors que dans cette vallée humaine, notre histoire est celle qui devrait le plus conduire à l’esprit d’inventivité, de la prospective et d’interrogations permanentes en vue de la formulation de solutions inédites.
Aujourd’hui le drame de notre peuple en Haïti peut-il nous pousser à la réflexion ? Peut-il nous aider à prendre conscience de notre état ? Il le faut absolument car, un peuple qui est en guerre sans le savoir est absolument voué à l’échec. Il y a donc urgence à nous réveiller et à nous organiser au plus vite.
Il aurait été digne pour l’Afrique de prendre le devant dans le secours de ses enfants en Haïti. Mais les cris de détresse de nos frères et sœurs nous atteignent à peine. Non pas parce que nous sommes sourds. Si l’Afrique brille par son absence c’est d’une part qu’elle est guidée par des incultes sanguinaires, inconscients des menaces qui guettent le peuple noir. Ces dictateurs construits à des fins exclusivement extérieures n’ont aucune mission à l’égard de notre peuple. Ils volent, tuent et pillent. Ils planquent leur butin dans les paradis fiscaux, ou l’investissent dans l’immobilier et le luxe en Occident. Convaincus que par leurs faits l’avenir de l’Afrique est saboté, ces tyrans ont décidé de sauver le leur et celui de leurs progénitures.
D’autre part, les Africains eux-mêmes n’ont toujours pas recouvré leur conscience historique rompue par les razzias négrières. Cette rupture ayant été accentuée par la colonisation, les Africains sont isolés les uns des autres au point de ne plus avoir la conscience de peuple qui puisse les forcer à s’identifier et à s’organiser collectivement pour relever les défis communs. Nous avons plutôt accepté de marcher dans ce schéma colonial. Beaucoup continuent d’agir dans une vision nombriliste qui fait d’eux les détenteurs d’une conscience étroitement villageoise. On n’a pas fondamentalement compris que notre peuple est aussi ailleurs et qu’en toute chose, il faille inclure ceux-là bien qu’éloignés géographiquement voire psychologiquement à cause de la falsification de notre histoire collective, dans toute démarche africaine. Majoritairement, on n’a donc pas encore compris que les enjeux auxquels nous sommes confrontés sont colossaux et que seule une conscience panafricaniste peut les affronter valablement.
Qui mieux que nous-mêmes peut trouver des solutions à nos difficultés ? Mais la faiblesse de la Mère Afrique nous a collectivement contraints à manquer ce rendez-vous qu’est ce drame.
La nature a horreur du vide, dit-on. Les autres jouent le rôle qui est le nôtre en principe. Seulement, tous ceux qui courent aujourd’hui vers Haïti ne sont-ils pas les mêmes qui ont plombé ce pays et l’avenir de sa population ? La Suisse n’héberge-t-elle pas des dizaines de millions de dollars volés par Duvalier père et fils qui s’opposent, avec le conseil d’avocats genevois chevronnés, à la restitution d’une partie (qui sait ce qui est gardé et les profits réalisés sur le principal) sur la demande du gouvernement haïtien ?
Aux lendemains de la victoire de Toussaint Louverture et de ses troupes contre la puissance esclavagiste et colonialiste amenant à l’indépendance d’Haïti, la France avait exigé le paiement, par les anciens esclaves noirs haïtiens, de 150 millions francs-or soit l’équivalent de 21 milliards de dollars actuels.
Tous ces pompiers qui annoncent urbi et orbi des aides financières, alimentaires et vestimentaires … n’ont-ils pas porté et soutenu des dictateurs au pouvoir en Haïti? N’ont-ils pas renversé par coup d’états les dirigeants animés de patriotisme ?
Haïti qualifié aujourd’hui sur tous les médias comme l’un des pays plus pauvres, sinon le plus pauvre au monde, n’est pas le damné de la nature comme on veut le faire admettre. Dans toutes les analyses distillées actuellement sur Haïti, que n’a-t-on pas attendu ? Des esprits illuminés se sont naïvement ou cyniquement interrogés : «Pourquoi la nature s’acharne-t-elle sur ce pays ? » D’autres ont suggéré que ce « pays est maudit» sans jamais parvenir à pointer l’auteur de cette malédiction. Certains politiques sont allés jusqu’à suggérer dans leur magnanimité qu’Haïti soit mis sous tutelle par d’autres pays.
Pierre Weiss, vice-président du parti libéral radical suisse a vertement appelé sur la Radio Suisse Romande, le 14 janvier 2010, les Etats Unis d’Amérique à s’accaparer du pays. Selon ses termes, «pourquoi M. Obama ne se transformerait-il pas en sauveur de cette république haïtienne, je crois que la France a depuis longtemps perdu cette ambition, eh bien que les Etats Unis la trouve ». Mais ce que tous ces griots n’ont pas le courage de dire c’est que ce pays est victime aussi de l’action humaine, mieux de « la férocité blanche ».
On a endetté le peuple africain d’Haïti pour engraisser les dictateurs qui se sont succédé à la tête de ce pays. Le pays est ainsi appauvri et nombreuses sont ces personnes qui doivent leur survie en jetant leur dévolu sur un gâteau de boue légèrement mixé au beurre. Malgré cette situation infrahumaine, le FMI, la Banque Mondiale et autre Club de Paris, ainsi que toute leur horde de vampires, soumettent en toute tranquillité ces populations au paiement du service de cette dette odieuse.
De plus, quand un gouvernement arrive avec un projet patriotique, les alliances se nouent entre la meute de loups haïtiens extravertis et égoïstes et leurs amis à l’extérieur pour le congédier du pouvoir. Il en est ainsi en 2004 du président Jean Bertrand Aristide que la France et les Etats-Unis principalement ont failli lyncher sous prétexte qu’il est un « dictateur ». Alors justement que Jean-Claude Duvalier, le vrai dictateur et kleptomane attitré, séjourne sans inquiétudes en France avec une fortune estimée par l’Office des Nations-unies contre la drogue et le crime entre 500 millions et 2 milliards de dollars volés dans les caisses de l’Etat haïtien après 29 ans de terreur de père en fils.
Une bonne partie de cet argent est investie dans l’immobilier dans cette France là qui « pleure » aujourd’hui sur le sort de ce « pauvre peuple », qui plus est dans une situation d’occupation militaire camouflée sous une mission officielle qui se définit bredi-breda comme une force destinée à « assurer un climat sûr et stable, à appuyer le processus politique en cours, à assister le gouvernement d’Haïti dans le renforcement des institutions y compris celles de l’Etat de droit ainsi qu’à promouvoir et défendre les droits de l’homme ».
Il est temps de demander à la France de vendre les immeubles qui sont la propriété des Duvalier et de remettre cet argent aux Haïtiens qui en ont plus que besoin actuellement. La Suisse doit, elle aussi, livrer les fonds volés et les intérêts qu’ils ont généré depuis 30 ans aux Haïtiens. Le véritable secours passe par là et non dans une fausse et propagandiste générosité. La dette de ce pays doit être annulée impérativement afin que le peuple soit soulagé un tant soit peu de ce fardeau.
Ça suffit la tonte ! Il faudra aussi laisser les Haïtiens décider de leur système politique en fonction de leurs intérêts au lieu de les harceler incessamment et de décider constamment à sa place. Toutes les injustices et autres escroqueries, tels les dédommagements pour perte de cette colonie dont la France a bénéficié doivent être réparées. Bref, il faudra permettre à ce peuple doit mieux appréhender son avenir tout en répondant à ses besoins actuels.
Quant à l’Afrique, il faut d’une part que les tyrans débloquent une partie de leurs pillages pour venir en aide à notre peuple en Haïti. Que ceux qui veulent qu’on « sauve » Haïti exigent de la part des tyrans africains une contribution. Qu’ils appellent au démantèlement de leurs comptes bancaires numérotés, à la vente de leur immobilier en France, en Suisse, en Belgique, aux Etats Unis et ailleurs pour mettre cet argent au service d’une partie de notre peuple aujourd’hui sinistrée gravement. Il faut, en fin, que les panafricanistes s’organisent ici et maintenant en créant des structures de soutien et de collecte de dons dans tous les pays en direction de notre peuple en Haïti. Les médecins au sein de la diaspora doivent se mobiliser. Tous, en Haïti pour sortir notre peuple des décombres et aider à ensevelir les morts puis à reconstruire le pays. C’est un devoir impératif. Ce n’est que comme ça que nous maintenu le minimum de dignité qui nous reste. Sinon, un peuple qui abandonne les siens aux bons soins des autres est un peuple mort.
* Rodrigue Kpogli, Secrétaire Général de la Jeunesse unie pour la démocratie en Afrique (http://lajuda.blogspot.com)
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