RD Congo : Les promesses non tenues de la décentralisation
A l’approche du cinquantenaire de la RD Congo, les défis auxquels le pays est confronté semblent s’accroître au point de se poser la question qui sèmerait de doutes sur notre propre capacité de surmonter les obstacles qui s’invitent sur notre parcours en ces temps de la refondation de l’Etat et/ou re-construction nationale. Le premier défi, qui parait le plus important, constate Joseph Cihunda Hengelela pour Pambazuka News est celui relatif à la problématique de la gouvernance des affaires publiques.
En attendant les résultats de l’évaluation de nos cinquante ans d’existence comme entité souveraine, la situation déplorable dans laquelle se trouve la RD Congo a pour cause, entre autre, la mauvaise gouvernance. Pour éradiquer ce fléau et éviter de tomber dans les erreurs du passé, la Constitution du 18 février 2006 a consacré une gamme de techniques en faveur d’une gouvernance démocratique. La nouvelle organisation territoriale que l’on appelle confusément la décentralisation fait partie intégrante de ces techniques.
La décentralisation, conçue dans le but d’améliorer la Gouvernance publique à partir de la base, présente beaucoup d’avantages que d’inconvénients prétendument redoutés par ceux qui, par action ou omission, retarderaient la mise en place de cette réforme territoriale et administrative. Le premier intérêt est que la décentralisation (et la régionalisation) contribuera efficacement à la refondation de l’Etat. Elle permettra au Gouvernement central d’assurer son effectivité et d’accroître ses capacités d’occupation du territoire national. La décentralisation permettra également l’intégration nationale, sans laquelle l’intégration sous-régionale (SADC, CEPGL ou CEEAC) ou régionale (UA) n’est qu’une illusion pour les populations congolaises qui sont en principe les premières bénéficiaires des engagements internationaux de l’Etat.
L’intérêt le plus important de la décentralisation est qu’elle est l’école de la responsabilité. Elle permet aux populations à la base de se prendre en charge, de décider sur leur quotidien, de maîtriser leur propre destin, en parfaite harmonie avec la volonté générale incarnée par la Constitution.
Conscient de ces avantages, le constituant du 18 février 2006 a voulu la matérialisation avec empressement et a fixé le délai à l’intervalle duquel cette entreprise allait se réaliser. Ce délai est de trente-six mois, soit trois ans. Le calcul de ce délai est fait, suivant la lettre et l’esprit de l’article 226, à partir de l’installation effective de la dernière institution politique au niveau central. Au-delà de toute spéculation et interprétations de tout bord, ce délai est calculé à dater de l’installation effective du Bureau du Sénat, soit le 14 mai 2007. Le «dies a quo» ou le délai de départ étant connu, il est parfaitement aisé de connaître le «dies ad quem» ou le délai limite. En additionnant avec les trois ans, on retrouve la date du 14 mai 2010 comme le jour où la RD Congo aura les vingt-cinq provinces et la Ville de Kinshasa installées et en fonctionnement. Par ricochet, les Entités Territoriales Décentralisées (Villes, Communes, Secteurs et Chefferies) devront être également à cette date en plein fonctionnement.
Mais lorsque l’on observe le processus de mise en œuvre de la décentralisation, rien ne prouve que les autorités seront, à moins d’opérer des miracles, à mesure de respecter ce délai constitutionnel. Le processus semble avoir du plomb dans l’aile et s’est vraisemblablement arrêté. Après la promulgation de certaines lois relatives à la décentralisation (souche législative de la régionalisation/décentralisation), plus rien n’a suivi. Ni les lois complémentaires du « bloc de la décentralisation », ni le calendrier de mise en place ni la vulgarisation des lois déjà promulguées. Le Gouvernement central, tout comme les différents gouvernements, tant de provinces concernées par la régionalisation-décentralisation que celles attendant uniquement la décentralisation (Kongo central, Maniema, Nord-Kivu et Sud-Kivu), a fourni bien entendu des efforts qui n’ont pas été à la hauteur de défis engendrés par ce processus : le manque de volonté politique est criant.
La question majeure qui se pose est celle de savoir ce que l’on doit faire à huit mois de la fin du délai. Une alternative : réaliser une décentralisation/régionalisation minimale ou réviser la Constitution et allonger le délai.
Je voudrai commencer par la première option qui serait déjà en vue. La révision constitutionnelle est prévue à l’article 218 et les conditions qu’elle exige pour sa réalisation sont accessibles pour la coalition, majoritaire dans les deux chambres du Parlement. Mais la condition la plus difficile à réaliser est celle de la tenue du referendum pour l’adoption de la Constitution révisée (article 218, al.3 et 4). Eu égard aux défis de la Commission électorale indépendante, coincée entre sa mutation en CENI, la révision du fichier électoral et l’organisation des élections municipales et locales, il paraît difficile d’exiger à la CEI d’organiser un référendum sans que cela n’affecte la crédibilité du processus électoral congolais qui nécessite par ailleurs une rectification. Au-delà du formalisme juridique, on peut s’interroger sur le fondement philosophique d’une telle initiative dans un bref délai de la vie de notre Constitution.
Sans être iconoclaste et au risque d’énerver les juristes les plus orthodoxes, une telle révision ne ressemblerait pas moins, dans l’éventualité où elle venait à se réaliser, à une des formes de fraude constitutionnelle. L’on pourrait bien opposer à cette prise de position l’argument facile connu sous l’adage selon lequel « la loi est faite pour les hommes et non les hommes pour la loi ». Il faut dire d’avance que cet argument vaudrait son pesant d’or lorsque la disposition incriminée est susceptible de poser de problèmes de son application. Dans le cas de l’article 226, il n’en est pas question. Cet article ne pose aucun problème pour son application. C’est plutôt le gouvernement qui a accumulé et continue d’accumuler du retard dans la mise en œuvre de la décentralisation. Une crainte qui n’est pas moindre est qu’une révision qui interviendrait dans ces circonstances peut réveiller les habitudes de révisions constitutionnelles décriées durant la deuxième République.
Pour éviter une révision constitutionnelle précoce, qui porterait préjudice à la décentralisation, la solution qu’il conviendrait d’envisager dans l’hypothèse où le gouvernement ne serait pas en mesure de rattraper son retard, est celle d’une décentralisation minimale consistant à l’installation symbolique officielle des institutions de nouvelles provinces et des entités territoriales décentralisées à la date du 14 mai 2010. Quitte à prendre les dispositions pour accélérer le processus avant la fin de la législature. Cette option a l’avantage d’œuvrer en faveur du respect de la Constitution et de constituer une garantie de l’émergence d’une gouvernance démocratique au Congo à travers la décentralisation (et la régionalisation).
* Joseph Cihunda Hengelela est Doctorant en Droit public à l’Université de Kinshasa, RDCongo. Il est aussi membre du CODESRIA - Email : [email][email protected]
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