"Civilisation" et mythe de la "sauvagerie africaine"
Après cinq ans et demi de réflexion pour aborder le préjugé ‘’ toujours profondément ancré’’ dans le monde académique occidental, Wendy C. Hamblet remet en cause ‘’ la supposition populaire que la violence est un trait essentiel de certaines populations’’. Elle offre en même temps ‘’ une vision alternative et plus empathique, mais aussi plus réaliste de certaines des violences qui ont cours dans le monde actuel’’.
Au printemps 2002, j’ai eu une conversation avec le doyen des Humanités d’une des plus prestigieuses universités américaines. Cette conversation m’a tellement perturbée qu’elle m’a montré le chemin d’une mission philosophiques qui m’a occupée durant les cinq ans et demi de ma vie de chercheuse qui ont suivi.(1) Elle m’a clarifié, dans les termes les plus sombres, la nécessité d’une réflexion profonde qui aborderait la question des préjugés profondément ancrés dans l’esprit de personnes puissantes et très bien éduquées occupant des postes de pouvoir que Foucault décrit ‘’comme les postes de pouvoir/savoir dans le monde académique occidental’’.(2)
C’était un après-midi de printemps. Alors que j’entrais dans le bureau du doyen, je me souviens d’avoir été frappée par la somptuosité du lieu. Un brillant soleil se déversait par les fenêtres et dansait sur les murs aux tons pastels et les meubles luxueux de son bureau spacieux. Les oiseaux lançaient leurs trilles depuis les arbres au-dehors, en dépit des fenêtres scellées, suivant les normes d’une grande institution dans une nation obsédée par la sécurité. C’était la première fois que je rencontrais cet homme distingué au regard pensif et aux tempes argentées. Et moi, j’étais une simple philosophe, jetée depuis peu hors de la tour d’ivoire de mes études en philosophie dans les froides réalités du marché académique.
Nous étions assis l’un en face de l’autre sur des fauteuils assortis, couleur de lavande. Ce monsieur me souriait aimablement et la conversation courrait d’un sujet à l’autre jusqu’à finalement s’arrêter au sujet de ma recherche. A ce moment, j’ai imaginé que la pièce s’est assombrie quelque peu, comme toujours lorsque j’essayais d’expliquer mon sombre travail à quelqu’un en dehors de ma spécialité. J’ai partagé avec cet homme la question qui me brûle et qui a colonisé toutes mes pensées et à laquelle est due ma soif de savoir bien avant que mes études doctorales ne me contraignent à une articulation philosophique : Comment des humains, apparemment en toute bonne conscience, peuvent-ils en venir à s’infliger des choses effroyables les uns aux autres ?
Comment pouvons-nous expliquer l’immense abîme qui sépare les idéaux élevés qui, ostensiblement, président aux comportements des sociétés humaines, de la sombre et sanglante histoire de notre espèce ? Pourquoi, après ces longs millénaires de ‘’processus civilisateurs’’, la folie des génocides et autres crimes contre l’humanité continuent-ils à pourchasser des innocents partout dans le monde ? Je me lamentais devant mon hôte : ’’La violence inonde le globe ; les effusions de sang noient les rêves des nouvelles nations en développement dans le Tiers Monde ; la misère et le carnage minent les espoirs de paix et de progrès dans les pays les plus pauvres et les plus faibles’’.
Le monsieur dans son fauteuil luxueux a un peu remué sur sa chaise ; son regard courrait de gauche à droite, Il s’est penché en avant, baissant la voix pour me murmurer sur le ton judicieux de celui qui veut partager sa sagesse avec une philosophe naïve et sans artifice. ‘’Wendy a-t-il dit plein de sollicitude, ces gens se sont toujours entretués. Il n’y a rien que vous ou moi puissions faire à ce propos. C’est juste la façon d’être de ces gens-là.’’
Le mythe facile que m’a murmuré mon interlocuteur raffiné dans son bureau luxueux ce jour de printemps ensoleillé, le mythe que la violence globale peut être entièrement expliquée en faisant référence aux traits de caractères ancrés dans la nature de certaines populations (‘’ c’est la façon d’être de ces gens-là’’). Je le défie avec enthousiasme et de tout cœur. Je mets en cause l’hypothèse populaire que la violence est un trait essentiel de certaines populations. A la place de ce mythe, j’offre une alternative, plus empathique, plus réaliste pour rendre compte de la violence actuelle du monde.
Les philosophes, en règle générale, rechignent à quitter le cocon de l’ignorance socratique et à avancer dans la lumière vive menaçant l’âme, en quête de vérité. Le philosophe s’inquiète, avec de bonnes raisons, des grands et sinistres édifices qui peuvent surgir à partir des sols les plus humbles. Aussi périlleux soit-il, un argument doit commencer sur des fondements. L’hypothèse fondamentale qui guide cette recherche est ce que j’appelle la nature ’’ricochet’’ de la violence, selon l’expression de l’anthropologue Maurice Bloch dans son étude fascinante du peuple Orokaiva de Papouasie Nouvelle Guinée, dans Prey into Hunter. (3) L’hypothèse de base est simple : lorsqu’un peuple subit des traitements dégradants, déshumanisants, est exploité et démoralisé pour de longues périodes, sa misère envahit ses expressions politiques et culturelles.
La violence dont nous sommes les témoins en Afrique, à l’époque moderne, peut le mieux être compris dans son contexte historique comme étant un ‘ricochet’’ de violences antérieures. La violence ‘’ricochet’’ se manifeste dans une forme douloureuse de travail identitaire au travers duquel des populations affectées expriment leur misère et s’efforcent de reconquérir leur estime de soi dans le sillage d’histoires dénigrantes. Des populations longtemps opprimées émergent d’histoires de mauvais traitements avec des sentiments d’estime de soi dévastés, à l’écart de leurs voisins à l’égard desquels ils nourrissent des soupçons, cherchant désespérément à retrouver un peu de pouvoir.
Les populations victimes, désignées par leurs oppresseurs comme moralement défaillantes, subissent des changements fondamentaux dans leur vision du monde. Ayant fait l’expérience de l’horreur qui accompagne l’impuissance et l’efficacité de la violence dans les mains des puissants, les victimes, une fois libérées, adoptent le point de vue de l’oppresseur et s’accrochent au gouvernail du pouvoir avec la conviction que la violence est une outil politique de valeur et nécessaire.
Lorsque le règne colonial a pris fin, il n’est guère surprenant que les dirigeants africains, récupérant les sièges du pouvoir, ont reproduit les comportements des dirigeants coloniaux et des oppresseurs. Les régimes qu’ils reprennent étant établi afin d’exercer un strict contrôle social, il n’est pas surprenant que les nouveaux dirigeants aient reproduit les dures pratiques de gouvernements des colonisateurs. Aussi sûr que la nuit succède au jour, la violence suit les victimes dans la libération et les pousse vers un futur lourdement marqué par le passé. Les victimes émergent de leur histoire, souffrant de multiples cicatrices, blessés, cassés. Leur futur comporte souvent des efforts désespérés d’en finir avec le passé, en projetant sur leur entourage immédiat leur misère, leur ressentiment et leur colère.
Au cours des siècles glorieux des empires européens, les nations ‘’civilisées’’ modernes ont lancé de vastes assauts sur de petits groupes généralement autosuffisants et pacifiques sur la terre entière. Au nom d’une morale ou de progrès scientifique ou au nom de différents rois ou divinités, environ 50 millions de personnes appartenant à des tribus ont été contraintes d’abandonner la moitié du globe aux Européens blancs en mission civilisatrice. (5) Bien que les envahisseurs disaient répandre la parole de Dieu et les bienfaits de la civilisation jusqu’aux extrémités du globe, une bonne part de cet assaut visait la disparition de populations à grande échelle comme un acte économique et politique éclatant. Des politiques nationales et papales ont endossé ces politiques. Les quelques populations indigènes qui ont survécu l’assaut de la ‘’civilisation’’ ont été recrutées dans des formations militaires meurtrières, prédatrices de leurs voisins, réduites en esclavages, ou employées pour travailler jusqu’à ce que mort s’en suive, dans les conditions les plus misérables.
Longtemps après que les fosses communes aient été transformées en plantation de sucre ou de coton, longtemps après que les bons chrétiens aient redécouvert leur conscience et abandonné leurs possessions coloniales et longtemps après que les marchands capitalistes aient découvert de nouvelles voies profitables pour organiser des armées de travailleurs pour extraire les minerais de leur immense pays, les conquêtes et massacres des impérialistes se poursuivent et sont célébrées dans des chants, des films et les livres d’histoire comme étant les grands épisodes de la ‘’civilisation’’ occidentale.
Le flot routinier d’insultes et de blessures qui s’est abattu sur les peuples d’Afrique au cours de siècles d’abus coloniaux a poussé les Africains à découvrir cette fragilité de la condition humaine qu’il eut mieux valu ignorer, la vulnérabilité de formes sociales éprouvées par le temps et l’impossibilité d’une éthique de générosité qui aurait été bienvenue pour offrir une protection contre l’agression. Pour avoir été battus, violés et avoir subi des myriades d’humiliations, les Africains ont découvert que la confiance illimitée en leurs frères humains était naïve et folle. Pire que tout, les Africains ont découvert leur incapacité, même pour les plus forts et les plus robustes, à résister longtemps à une indignité prolongée. Là où les insultes pleuvent tous les jours et les protestations morales réduites au silence, là où des peuples ont été chassés de leurs terres sacrées, les clans éparpillés et les solidarités tribales agressées, le ressentiment communautaire finit pas donner naissance à un agenda de revanche qui transforme une personne décente en une personne assoiffée de sang. Comme une bombe à retardement qui, du moment de sa naissance, a cheminé vers une fin brutale et vicieuse qui ne s’éteindra pas avec l’indépendance.
Pour estimer les dommages causés aux victimes de la colonisation, on ne peut s’arrêter au décompte des cadavres ou à l’inventaire des propriétés accaparées. On doit considérer la désintégration des familles par de longues années de travaux forcés, les migrations, les pertes artistiques et culturelles, la corruption d’anciennes traditions, la perte de respect pour les anciens par des enfants formés dans des écoles de styles européens, l’effet des batailles sanglantes qui ont mené à l’indépendance et le clivage à long terme que ces guerres ont créées entre Africains, entre ceux qui ont été recrutés dans des armées coloniales et ceux qui ont combattu pour l’indépendance.
Des objets irremplaçables ont disparu pour toujours ; des traditions commerciales paisibles et les systèmes de gouvernance ‘’naturellement démocratique’’, non hiérarchisés, ont disparu pour toujours. Disparues l’utilisation prudente des ressources qui garantissaient la durabilité, les traditions sociales qui permettaient la longévité et la stabilité des systèmes culturelles, les institutions naturellement égalitaires et le complexe réseau social autosuffisant, ainsi que les échanges économiques prometteur d’autonomie politique en parallèle avec des relations de bons voisinages.(5) Une richesses de vies humaines, de traditions sociales, de compétences politiques et de talents artistiques ont été écrasés sous l’ethnocentrisme, l’ignorance culturelle et l’appât du lucre, nommé ‘’civilisation’’
Mais plus important encore, la défiguration des sujets et des modes de vies doivent être aussi être comptés dans les pertes africaines. Les gens changent au cours de générations de peur, d’abus et d’atteinte à leur dignité. Les opprimés sont témoins du fait que la violence est un outil hautement efficace qui imprime l’ordre sur le chaos ; elle est extrêmement fonctionnelle et utile dans ce but. Lorsque les victimes se libèrent de l’étau de leur maître, ils ont une propension à se tourner vers la violence comme moyen d’apporter de l’ordre à leur monde. Une fois le sabre en main pour une cause considérée comme morale, ils n’est pas facilement abandonné une fois le but atteint. La violence tend à persister dans l’arsenal des pratiques acceptées par les individus et la communauté, prête à servir de nouveaux maîtres et d’octroyer à de nouveaux objectifs la pureté de ceux du passé.
Il est rare que la pratique de la violence se termine avec l’enterrement des morts. La violence ne se pratique pas impunément. Plutôt, elle engendre d’interminables mutations. D’anciennes formes de violences engendrent de nouvelles formes de violence et ses consommateurs deviennent ses propagateurs. Les espaces subjectifs d’identité sont transformés, des codes sociaux réécrits et l’action sociale réparée à la lumière des violences endurées. Violence et subjectivité deviennent inextricablement liées. La violence crée, entretient et transforme les modèles d’interactions sociales, restructure le monde intérieur des réalités vécues et corrompt le monde extérieur des significations morales et sociales. La violence érode la qualité des liens qui unit les générations et fait fi des frontières culturelles et corrode la confiance qui est le liant de la sphère sociale des amis, de la famille et des voisins.
Les réactions apprises à la stimulation sociale doivent être déprogrammées après une histoire violente. Les répertoires de la mémoire sensorielle doivent être reprogrammés après des expériences brutales. En Afrique du Sud, durant l’Apartheid par exemple, les Africains noirs ont dû rapidement s’entraîner à ne pas réagir aux cris des victimes de la torture dans leur quartier, compte tenu qu’une réaction aurait entraîné une flambée de répression dans leur communauté, bien au-delà de la chambre de torture. Ignorer la souffrance d’un voisin est contraire et offensant aux yeux de l’ethos typique des Africains. Lorsque les Sud-Africains ont eu appris à durcir leur cœur contre le malheur de leurs voisins, ils ont abandonné un aspect intégral d’eux-mêmes et de leur identité sociale et morale.
Le fait est que la survie, dans les zones où la violence radicale est la norme, dépend du développement réussi d’une capacité de se dissocier de son voisin et d’apprendre à être furtif et dissimulateur, et de pratiquer la tromperie et la fraude, à moins de rejoindre la cruauté des puissants. Par exemple, au cours des siècles de la traite des esclaves qui a sévi dans l’arrière-pays de la Côte d’Ivoire, les populations autochtones ont protégé leur liberté en travaillant pour les esclavagistes. Fournies en armes, ils ont joué un rôle moralement ambigu en pourchassant les ressortissant de leur tribu et les voisins. D’autres ont échappé aux chasseurs en perfectionnant l’art de l’esquive et en se cachant, se repliant sur eux-mêmes et évitant leur voisins et en devenant des menteurs accomplis. Certaines tribus ont construit des villages clandestins inconnus même de leurs plus proches voisins. Les anciens rites sociaux africains, comme de s’enquérir de la santé du voisin et d’accueillir les passants pour partager de la nourriture attiraient le soupçon et ont été abandonnés.
Les séquences de l’histoire sont claires mais n’ont jamais été examinées d’un point de vue vraiment philosophique pour éclairer leurs implications. Les colons européens ont qualifié les Africains de sauvage afin de justifier leurs façons de traiter ces peuples (le plus souvent) généreux qui les ont accueilli dans leur village. Les Européens se sont comportés comme des sauvages à l’égard des Africains et ont justifié leur sauvagerie en qualifiant les Africains de ‘’sauvage’’. C’est la sauvagerie européenne qui rebondit sur le continent africain aujourd’hui, plaie des nouveaux Etats indépendants. La violence rebondit dans les individus et dans les sociétés qui ont souffert de dégradation. Elle rebondit perpétuellement dans de nouvelles directions, au service de nouveaux objectifs, forgeant de nouvelles pratiques et fournissant toujours de nouvelles justifications pour créer un dommage à l’autre. L’indépendance a été gagnée et les opprimés libérés de la tyrannie des abus passés, mais après avoir été agressés, les gens ne retournent pas facilement à leurs façons paisibles ; les victimes ne peuvent pas simplement retourner vers un passé perdu et reprendre leur vie là où elles l’avaient laissé, des décennies et des siècles auparavant.
Parfois l’agression historique resurgit sous la forme d’un problème politique. Les Africains détestent accepter dans la classe dominante de leur nation des gens qui ont promu la stratégie coloniale de « diviser pour régner » et qu’ils considèrent non pas comme des compagnons d’infortune de la communauté des opprimés mais comme des étrangers infectant leur pays. D’autres peuples cherchent à se venger de leurs voisins en se souvenant de la tricherie de ceux recrutés dans les armées coloniales pour combattre contre l’indépendance. La sauvagerie historique resurgit dans les rues des villes, dans les villages et sur la scène politique des nouveaux Etats africains indépendants, où les gens font désespérément un travail identitaire pathologique pour reconquérir leur puissance et leur dignité perdues. Les personnes continuent de souffrir des humiliations endurées en commun. Mais leur passé douloureux les monte aussi les uns contre les autres et contre leurs nouveaux dirigeants qui reprennent les vielles positions élitistes, maintenant la violence encodée dans les institutions coloniales dont ils ont hérité.
Le continent africain, dont la population culturellement riche et diverse, a longtemps souffert de la violence physique, psychologique et structurelle infligée par l’envahisseur colonial sous la rubrique de ‘’ civilisation’’. Cette méditation est centrée sur l’Afrique, mais cette même réflexion pourrait se focaliser sur une pléthore d’autres peuples depuis que les nations européennes/occidentales ont commencé à exporter leur marque particulière de ‘’civilisation’’. Je pourrais être en train de décrire les populations indigènes de la moitié du globe, vaincues, massacrées et réduites en esclavage par des envahisseurs étrangers dans un projet ‘’ civilisateur’’ qui a balayé d’anciens modes de vie.
Lorsque nous contemplons l’Afrique, il faut reconnaître que peu de chose ont changé. Le pillage de l’Afrique a toujours cours. Enrique Dussel observe : ’’Les héros de l’émancipation coloniale ont travaillé dans une sphère politique ambiguë et ni le Mahatma Gandhi en Inde, ni Abdel Nasser en Egypte ni Patrice Lumumba au Congo n’étaient conscients que leur nation passeraient des mains de l’Angleterre, de la France ou de la Belgique dans les mains des Américains’’. Dans le grenier à blé, les gens mangent de la terre. Ils font bouillir de l’herbe pour nourrir leurs enfants. Sur tout le continent africain, la grande majorité des Africains continue de former une sous-classe permanente. Ils sont toujours, à bien des égards, des étrangers sur leurs propres terres.
Dans de nombreuses régions, il y a toujours ce paradoxe éclatant de la pauvreté indigène qui coexiste aux côtés des colons vivant encore et toujours comme des seigneurs féodaux. Les immenses domaines des colons, qui se considèrent autochtones en raison des générations qui les ont précédées sur le continent africain, sont juste au dessus des masures délabrées de leurs serviteurs africains, souvenirs post-coloniaux d’un passé violent.
Les Africains ont recours à leur puissante tradition pour stimuler la solidarité qui les libérera de leurs histoires cruelles. Le triomphe de l’Afrique ne réside pas dans son passé glorieux qui a été étouffé par les abus coloniaux. Le futur de l’Afrique se trouve dans le paisible socialisme africain contenus dans les enseignements des grands combattants africains pour l’indépendance : Nelson Mandela, l’archevêque Desmond Tutu, Julius Nyerere et tant d’autres. Il appartient maintenant aux peuples du continent noir de montrer au monde occidental que vivre humainement n’a rien à voir avec des gains matériels ou le pouvoir ; ceci ne peut être acquis par des troupes armées et par des « blitzkrieg » pour choquer et impressionner des innocents. Vivre humainement, dans la tradition africaine, consiste à vivre des relations paisibles où les gens ont honte de posséder d’avantage que leurs voisins les plus pauvres.
En dernière analyse, le succès de la lutte pour l’indépendance de l’Afrique coloniale doit se mesurer à la capacité des nouvelles nations de surmonter leurs passés violents et de retrouver leurs traditions et leur histoire. Les Africains doivent apprendre à guérir de la rupture entre les modes de vie traditionnelle et la vie moderne, illustrée par le fossé entre les Africains urbanisés et les résidents ruraux des huttes. Les Africains doivent apprendre à se serrer les coudes face aux sinistres forces néocolonialistes qui persistent à réduire leurs populations en esclavage, à les dépouiller de leurs minerais, à usurper leurs eaux de pêches et à leur voler leurs terres arables.
Le cas de l’Afrique est une tragédie unique aux effets rémanents, mais à beaucoup d’égards l’expérience historique africaine symbolise la nouvelle situation globale avec le néocolonialisme fracturant toujours plus de communautés sur la planète, les partageant entre deux pôles extrêmes d’une poignée de riches et des multitudes sans espoir. Là où il y a peu d’espoir pour une vie décente, apparaissent les foyers où couve le ressentiment et qui sont envahis par le fondamentalisme religieux qui un jour explose sous forme de terrorisme. Ce document utilise comme son premier exemple du phénomène de ‘’ ricochet’’ de la violence historique, les conflits sanglants dont nous sommes témoins dans les nouveaux Etats indépendants de l’Afrique et qui continuent d’être interprétés par certains Occidentaux comme indicatifs de l’infériorité essentielle des peuples à la peau foncée comme ‘’ étant la façon d’être de ces gens-là’’. Dans l’effort de repenser la violence de l’Afrique moderne en terme de réponses pathologiques, reproduisant la souffrance infligée pendant l’ère coloniale, je cherche à révéler l’implication de l’Occident dans cette violence et d’argumenter en faveur de réparations et de soutiens continuels pour les victimes.
NOTES
[1] Ce projet s'est terminé en 2008 avec la publication du livre Savage Constructions: The Myth of African Savagery (Lanham, Maryland: Lexington Press, 2008).
[2] Michel Foucault, Power/Knowledge, Colin Gordon, ed. & trans. (New York: Pantheon Books, 1972.
[3] Maurice Bloch, Prey into Hunter: The Politics of Religious Experience (Cambridge, UK: Cambridge University Press, 1992), p. 3.
[4] John H. Bodley, Victims of Progress (Mountain View, Calif.: Mayfield Publishing, 1990).
[5] See Chancellor Williams, The Destruction of Black Civilization: Great Issues of a Race From 4500 B.C. to 2000 A.D. (Chicago: Third World Press, 1987), pp. 21, 26.
[6] Enrique Dussel, Philosophy of Liberation (New York: Orbis Books, 1985), p. 13
* Wendy C. Hamblet, PhD, SAC (DIP) est professeur associée à la State University in Greensboro en Caroline du Nord (USA)
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