Ananas, euros, jatropha… Saurons-nous faire les bons choix ?
Du 8 au 11 septembre 2009, nous étions près de 30 participants à un atelier pour explorer « les perspectives de développement du secteur agricole dans les espaces communautaires de l’Afrique de l’Ouest ». Réunis à Grand-Bassam, nous venions du Bénin, du Burkina, de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Mali, du Sénégal et du Togo. Mais aussi d’Allemagne et des Pays-Bas. Il y avait des représentants des Organisations Paysannes, de l’administration et des Organisations Non Gouvernementales.
Cet atelier était organisé par Inades-Formation (Abidjan) sous la responsabilité de Misereor et de la Fondation Heinrich-Bell. Pour signifier dans quel esprit nous voulions travailler, les organisateurs ont commencé par nous offrir et nous présenter un document intitulé : « Commerce sain - Agriculture durable (Un cadre multilatéral pour des marchés agricoles durables) ». Ce document, très intéressant, est disponible en plusieurs langues (dont le français, l’anglais et l’espagnol) sur le site web www.ecofair-trade.org
Nous avons donc commencé par faire une présentation d’ensemble du commerce régional, avec ses forces et ses faiblesses. Chacun a pu signaler les soutiens à l’agriculture qui sont utilisés dans son pays. Le Mali nous a également présenté sa « Loi d’Orientation Agricole ». Son application offre de réelles perspectives de développement pour les exploitations familiales. Aussi, les Organisations paysannes maliennes s’appuient sur cette loi pour obtenir la reconnaissance du statut d’agriculteur, des prêts à des taux plus abordables… en attendant une véritable politique agricole.
Les échanges ont été riches et intéressants. Mais, ce sont les visites sur le terrain qui ont emporté l’adhésion de tous. Elles ont été très intéressantes, voire passionnantes, même si elles témoignaient parfois d’une réalité très éloignée d’un commerce équitable et d’une agriculture durable respectueuse de l’environnement.
Nous avons commencé par nous rendre sur une ferme avicole qui produisait des poulets de chair. Puis nous avons visité rapidement une autre ferme avicole orientée vers la production d’œufs pour le marché local.
Ensuite nous sommes allés voir une plantation d’hévéa. Nous avons pu voir comment le latex était obtenu. Chez le même propriétaire, nous avons vu également une plantation de palmiers à huile. De là, nous sommes allés visiter une unité de transformation artisanale d’huile de palme. Cela m’a permis d’apprendre que l’essentiel de l’huile de palme provenait de la pulpe des fruits de palmier à l’huile. Cette huile est plus facile à extraire que celle qui se trouve dans l’amande de ces mêmes fruits. Elle est surtout utilisée dans l’alimentation. De nos jours, et de plus en plus, elle sert aussi à la fabrication de carburant. L’huile extraite des amandes est utilisée dans l’industrie cosmétique.
Enfin, nous avons visité une plantation d’ananas avec son unité de conditionnement où se fait le tri et d’emballage pour l’exportation. Cette double visite était vraiment impressionnante. Elle témoignait d’une maîtrise technique remarquable. Maîtrise au niveau de la sélection et de l’emballage, mais aussi, en amont, maîtrise de la production où les techniques les plus modernes étaient utilisées. L’ananas présente en effet la particularité de pouvoir déclencher sa floraison artificiellement, permettant de planifier la production et de répondre ainsi aux variations de la demande. Le Traitement d’Induction Florale (TIF), appelé aussi hormonage, est provoqué par la dépose d’éthylène au cœur du plan afin d’y faire naître la fleur. Démarre alors la phase de fructification, qui durera environ 6 mois et se terminera par la récolte.
Oui, nous avons été impressionnés par l’étendue de l’exploitation (148 ha d’ananas, sans aucun arbre…), par la maîtrise de la production et de la commercialisation. Quelque part, c’est une réussite. Mais pour qui ? A quels coûts ?
L’ingénieur agronome chargé de surveiller la plantation et de contrôler la production nous a dit que, depuis quelques années, ils ne cultivaient plus que la variété « MD2 » (pas très poétique comme appellation !). Que cette variété, en provenance du Costa Rica, correspondait mieux au goût des européens et aux normes imposées par eux. Tous les petits producteurs d’ananas qui produisaient « la Cayenne lisse » et qui n’ont pas su s’adapter ont disparu ! La biodiversité en a prit un coup !
Du côté de la sélection, nous avons vu que les ananas qui ne correspondaient pas aux normes (trop petits ou trop gros, mal formés…) étaient bradés sur le marché intérieur. Cela représentait 12 % de la production. Une chance pour la population locale qui profitait de cette production hors normes. Pour combien de temps ?
La nuit, j’ai fait un rêve (un cauchemar !). Nous étions en 2015. J’ai retrouvé l’ingénieur agronome qui nous avait accueillis sur la plantation. Il me disait qu’à partir d’une meilleure sélection des rejets (ces rejets qui poussent quand la plante a donné son fruit, et qui sont utilisés pour poursuivre la production), et une autre innovation qu’il tenait à garder secrète, ils exportaient la totalité de la production. « Il n’y avait plus de rejets. Tant pis pour la population locale ».
Et de fait, dans mon rêve, je me suis retrouvé à Paris, dans une grande surface, aux rayons des fruits et légumes, devant un étalage d’ananas en provenance de Côte d’Ivoire. En me montrant ces ananas, il m’a demandé : « Qu’est-ce que c’est ? Je n’ai jamais vu ce fruit en Côte d’Ivoire ! ».
Là-dessus, je me suis réveillé ! Et j’ai poursuivi ma réflexion : « Avec l’argent du commerce du carbone, quand les européens auront planté du jatropha sur toutes nos terres, eux non plus ne gouteront plus ce bon fruit ! »
* Maurice Oudet Président du SEDELAN
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