Promouvoir le droit foncier des femmes

Alors qu’à Syrte, en Libye s’organise le 13ème sommet de l’Union africaine, sur le thème «Investir dans l’agriculture pour la croissance économique et la sécurité alimentaire», Lyn Ossome de l’organisation Solidarity for African Women’s Rights (SOAWR) pose un défi aux chefs d’Etat africains. Celui de maintenir le droit des femmes à la possession de la terre dans l’agenda du développement. A un moment où l’économie mondiale traverse des difficultés considérables, les femmes restent fort vulnérables aux fluctuations des prix et à l’accès restreint à la terre, ce qui implique que les gouvernements africains doivent plus que jamais combattre les lois et coutumes discriminatoires, argumente Ossome. Si le sommet de l’Union africaine veut faire montre de progrès, poursuit-elle, les chefs d’Etat doivent s’engager fortement en faveur de politiques qui profitent aux femmes, comme, par exemple, leur accorder des subsides pour une agriculture non industrielle et leur garantir la possession de la terre.

Les chefs d’Etat africains et les gouvernements doivent renouveler leur engagement à honorer la dignité des femmes et leurs contributions à l’économie en des termes qui servent nos populations du continent.

Dans son préambule, à propos du droit des femmes, la Charte africaine des Droits de l’Homme et des peuples d’Afrique ‘’ reconnaît le rôle crucial des femmes dans la préservation des valeurs africaines basées sur le principe d’égalité, de paix, de liberté, de dignité, de justice, de solidarité et de démocratie’’. Et ceci résume le dilemme qui continue de définir la dialectique entre gouvernance et productivité. Au cœur de binôme réside le rôle des femmes en matière de développement, ainsi que leur accès moyens de production et leur contrôle de ceux-ci.

La question ci-dessus devrait être considérée sérieusement aussi bien par les chefs d’Etat, lors de leurs rencontres, qu’au niveau national, en particulier dans le domaine de l’application. La militarisation et les conflits ont aggravé l’insécurité à tous les niveaux et ont drainé des ressources au profit des guerres au détriment de la lutte contre la pauvreté. La pauvreté féminine s’est aggravée et, plus que jamais, il incombe aux gouvernements d’éliminer les inégalités structurelles responsables de la paupérisation et de l’exclusion d’un large segment de la population, dont les femmes.

Le droit des femmes à la terre est un facteur déterminant de statut social et économique, de bien être et de pouvoir. Dans de nombreux pays africains, leur droit à la propriété n’équivaut pas à celui des hommes et leur droit de posséder, d’hériter, de gérer ou de se défaire d’une propriété est constamment menacé par les coutumes, les lois et les individus. Des institutions qui devraient faire prévaloir ce droit et garantir aux femmes des titres de propriété doivent faire face aux contraintes imposées par des lois désuètes, hostile au principe de l’égalité, et par une interprétation du droit coutumier si restrictive qu’elle nie le droit des femmes à la propriété.

Le droit sacré à la propriété privée ainsi que sa protection doivent être réaffirmée, entre autres dans les Constitutions, et être le reflet de la correction des déséquilibres historiques qui ont traditionnellement enlevé aux femmes leur pouvoir. Les processus de révision en cours au Kenya, au Zimbabwe et en Zambie sont une opportunité pour les pays africains de rejeter des politiques foncières qui, bien qu’apparemment équitables en terme de dimension, de catégories et de capacité productive, ne se défont néanmoins pas des travers institutionnels hostiles aux droits des femmes à accéder aux crédits bancaires, aux institutions financières et autres sources de crédits.

Réduire les conflits en mettant en équilibre les éléments positifs du droit coutumier (en particulier le projet de loi) avec le droit constitutionnel et le droit international, concernant l’égalité des genres d’une part, et d’autre part, le droit coutumier et les législations discriminatoires à l’égard des femmes pour ce qui a trait au droit à la propriété foncière et à l’héritage de la terre, est un autre défi que les Etats doivent relever.

La restructuration de l’économie globale représente un défi additionnel pour les pays africains. Car il s’agit d’une restructuration qui relègue les femmes dans un espace qui rappelle leur vulnérabilité à l’exploitation agricole ayant sévi durant les années d’ajustement structurel des années 1990. Les femmes sont particulièrement vulnérables aux crises alimentaires en raison de leurs responsabilités reproductives. Elles sont aussi confrontées au manque d’accès et au manque de contrôle de la terre, des technologies et du crédit. Trente ans de politiques agricoles défectueuses ont aggravé la difficulté pour les femmes de faire face aux prix croissants des denrées alimentaires. Une série de considérations, qui font le lien entre la croissance économique désirée et le droit des femmes à la sécurité alimentaire, devraient servir de catalyseurs à la réponse des Etats africains, garantissant aux femmes la liberté d’accéder à la terre.

Si, comme l’avancent certains experts, le problème n’est pas la disponibilité des denrées alimentaires mais l’accès aux moyens de production alimentaires, quelles sont alors les stratégies prioritaires que les Etats africains doivent adopter afin de prévenir l’insécurité alimentaire ? Le moins que les Etats africains puissent faire, c’est remettre en cause les modèles de développement globaux qui ont poussé à marginaliser la moitié de la population mondiale.

Au niveau mondial et en Afrique, les femmes revendiquent désormais la souveraineté alimentaire. Une approche qui protège l’environnement et promeut les droits de l’Homme. Dans ce cadre, les changements climatiques sont une menace considérable en ce qui concerne les Objectifs de Développement du Millénaire, en particulier ceux qui consistent à éradiquer la pauvreté et la faim tout en promouvant un environnement durable. Les preuves s’accumulent, qui montre l’impact négatif disproportionné du changement climatique sur les pays les plus pauvres qui ont, ô ironie, le moins contribué au problème.

Les pays africains sont-ils prêts à faire face aux impacts potentiels du changement climatique ? Entre autres, l’impact sur la production alimentaire a des répercutions spécifiques pour les femmes. Alors que la production alimentaire diminue et que la demande pour des terres productives augmente jusqu’à aboutir à des conflits, on retourne au statu quo ante dans lequel les femmes, en quête de terres productives et de ressources, se voient contraintes à une plus grande mobilité qui les expose invariablement à la violence sexuelle et à l’exploitation, situation qu’il incombe aux Etats d’atténuer sinon d’empêcher. Ceci est possible au travers d’investissement holistique, des politiques d’adaptation aux changements climatiques favorables aux femmes et à leur utilisation de la terre.

De surcroît, la pénurie de terre productive est un obstacle majeur pour l’accession des femmes à la terre et au droit d’hériter. Le recensement, au travers d’une évaluation fiscale nationale, de la contribution des femmes à l’amélioration des terres, est une façon d’obtenir des titres de propriété. Ceci reste possible à travers une reconnaissance officielle de l’usage régulier et efficace de la terre, de même qu’à travers des allocations budgétaires destinées à des subsides agricoles pour des productions non industrielles, avec une valeur ajoutée aux petites exploitations et à la culture de denrées locales traditionnellement menée par les femmes.

La résolution de conflits qui favorisent des intérêts de classe, par-dessus le pragmatisme productif, fait également partie du problème. Car cela représente un déni de justice pour les femmes et devrait faire l’objet d’une attention particulière. Dans de nombreux pays africains, la corruption endémique se manifeste lors de l’allocation, l’acquisition et la redistribution des terres. L’existence d’un équilibre systémique, fait de transparence et de compte rendu, est souvent considérée comme un fait acquis. Les Etats peuvent cependant renouveler leur engagement en stimulant le système judiciaire au niveau local et national, lorsqu’il s’agit de protéger le droit des femmes.

Dans les périodes de conflits et de post-conflits, les Etats fournissent une aide d’urgence aux populations les plus vulnérables, travaillent avec les familles afin d’accroître leur production agricole sur le long terme et distribuent des semences résistantes à la sécheresse au travers des réseaux de ressources féminines. Des liens plus solides entre le gouvernement et la société civile sont nécessaires, tout comme il est important, pour des groupes émanant de la société civile, de faire campagne pour les droits à la terre en faveur des femmes.

Le vrai dilemme, en ce qui concerne le rôle des femmes dans la production agricole et la sécurité alimentaire réside dans leur maîtrise de tous les facteurs de production et dans le maintien d’une réciprocité qui leur accorde une valeur ajoutée et une rémunération. Au cours de la prochaine réunion de l’Union africaine (Ndlr : du 1er au 3 juillet 2009), les chefs d’Etat africains et les gouvernements doivent :

1) s’engager sérieusement à revoir les investissements en capitaux afin d’offrir des subsides à l’agriculture non industrielle au vu de la situation globale de réappropriation forcée ;
2) investir dans la recherche et les technologies qui favorisent la rétention du profit des petites entreprises agricoles ;
3) prendre des mesures pour contrer la culture d’impunité qui entrave l’application de politiques agraires progressistes
4) garantir les titres de propriété des femmes, en améliorant leurs opportunités de partager et de jouer un rôle plus substantiel dans des processus de réforme agraire

Les chefs d’Etat africains doivent renouveler leur engagement à honorer la dignité du travail des femmes et leurs contributions à nos économies. Concrètement, il s’agit de soutenir les processus de valeur ajoutée, dans le but d’augmenter le bénéfice résultant de la production et de protéger leurs droits à déterminer la croissance économique et la sécurité alimentaire du continent.

Evidemment, éliminer la pauvreté ne sera pas possible sans défier le patriarcat, le capitalisme et le modèle actuel de développement qui met le profit avant le bien public, la sécurité humaine et le bien être. Une distribution plus équitable de la terre et des autres ressources est nécessaire pour surmonter la pauvreté - en particulier la pauvreté rurale - et lorsqu’ils décideront de la direction économique du continent, les gouvernements africains devront garder en mémoire le truisme qui veut que la volonté politique est l’arme la plus puissante pour combattre la pauvreté qui pèse sur les femmes africaines.

* Lyn Ossome est une militante des Droits de l’Homme - Cet article est dédié à la mémoire du Dr Tajudeen Abdul Raheem qui a été le champion infatigable de la cause des femmes et a dénoncé la marginalisation et l’exclusion des femmes de leurs propres combats et sans qui et pour qui la lutte doit continuer

* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur