Guinée : Un candidat de rupture pour la présidentielle

Arrivée au pouvoir en décembre 2008, la junte militaire guinéenne a donné rendez-vous en décembre 2009 pour la tenue d’une élection présidentielle. Ce moment fort attendu pour une transition démocratique suscite déjà plusieurs candidatures. Mais aussi l’espoir d’une réelle avancée politique dans un pays qui, entre le Première République sous Sékou Touré et la Deuxième République sous Lansana Conté n’a jamais offert les espaces de liberté nécessaires à une véritable expression citoyenne. Cependant, les espoirs qui nourrissent les prochaines consultations cachent mal les incertitudes et inquiétudes nées de la transition militaire que connaît la Guinée, sous la direction du capitaine Moussa Dadis Camara, avec une junte qui peine à se définir des orientations claires.
Candidat indépendant à ces élections, Aliou Barry, situe les responsabilités de la classe politique guinéenne dans les errances que le pays a connues, étale son programme et décline ses ambitions.

Pambazuka : Qu’est-ce qui motive votre candidature pour la présidentielle de décembre ?

Aliou Barry : Cette candidature est motivée par plusieurs facteurs. D’abord, il y a la situation politique en Guinée. On note que l’offre politique faite par les partis de l’opposition ne motive aucune adhésion populaire depuis la naissance du multipartisme dans les années 1990. De plus en plus, on s’aperçoit que le citoyen à besoin d’une autre politique, d’un renouvellement de la classe politique.

Ce qui motive aussi cette candidature, c’est le projet politique que je propose. En Guinée, les partis se sont constitués autour de leaders auxquels ils sont identifiés. Aucun parti ne présente un projet. On adhère à une formation parce que le leader est de la même région que soi. Je pense qu’il faut privilégier l’offre politique au lieu de s’appuyer sur l’appartenance ethnique ou régionale.

Le troisième facteur, c’est qu’après une triple formation militaire, universitaire et administrative à l’étranger (j’ai vécu 33 ans en France, dont 20 ans passés dans les armées), avoir accumulé un peu d’expérience pour prétendre entrer dans le jeu politique comme candidat indépendant aux prochaines élections présidentielles. A quoi s’ajoutent mes préoccupations pour le respect des droits humains.

Pambazuka : Avec quel programme comptez-vous vous battre ?

Aliou Barry : Ce programme tient en trois points principaux, qui se rapportent aussi à l’histoire de la Guinée. Je tiens à privilégier la protection de la personne humaine parce que si ce pays n’a connu, depuis 1958, que des violations successives des droits humains, il est temps en Guinée de mettre un terme à cette situation. Le retard connu en Guinée dans le développement s’explique aussi par cela. Sékou Touré s’était attelé à détruire tout ce qui est éducation, Lansana Conté est venu amplifier cette destruction de la personne humaine. Donc je mets l’éducation, la protection humaine au cœur de mon projet politique. Et cela correspond à une attente forte des Guinéens.

Il n’y a aucune activité économique ou politique fiable si on ne met pas l’homme au centre. En particulier en Guinée. C’est un pays martyrisé où on a vécu avec une longue tradition d’impunité. Rien qu’avec les derniers événements de janvier 2007, quelque 200 jeunes ont été tués par l’armée. Et depuis 1958, on a vu des auteurs de violations des droits humains se retrouver à des postes de responsabilité et narguer les victimes ou les parents des victimes. Il y a un problème de réconciliation en Guinée, du fait que les trois quart de la population estiment que l’impunité est érigée en système. Dans l’équipe qui gouverne actuellement, par exemple, il y a des responsables des événements de janvier-février. A côté, des gens se promènent encore à Conakry avec des balles dans leur corps, sans moyen d’aller se soigner.

Pambazuka : Quels sont les autres aspects de ce programme ?

Aliou Barry : Mon deuxième engagement, c’est d’offrir à la Guinée une autre alternative politique axée essentiellement sur l’emploi jeune. Il n’y a aucune perspective pour les jeunes dans ce pays. Le troisième axe, qui rejoint le deuxième en certains poins, tient compte des potentialités agricoles. Quand on parle de la Guinée, c’est pour évoquer les ressources minières. Or c’est un pays vert, fertile. Pour moi, la Guinée ne connaîtra un développement harmonieux et équilibré que par le biais des petites entreprises agricoles.

Donner un coup d’accélérateur au secteur agricole est essentiel. Je crois plus à un développement via l’agriculture que par le biais d’extraction minière ; d’autant qu’aujourd’hui, avec la faible capacité énergétique, la Guinée, depuis 1958, se limite à l’extraction à l’état brut de ses ressources minières. Avec la bauxite, par exemple, il n’y a aucune transformation sur place et la faible industrialisation de la Guinée s’explique en partie par le fait que le pays ne transforme rien. Je pense qu’on peut jouer sur le facteur agricole sans négliger le potentiel minier.

Comme candidat indépendant, pensez-vous à des possibilités d’alliance avec des partis politiques ?

Aliou Barry : Je privilégie le projet que je suis entrain de rédiger. Une fois que je l’aurais fini, je vais le mettre sur la place publique et voir s’il y a une adhésion autour. Au cas où la Constitution qui est en train d’être rédigée ne prévoit pas de candidature indépendante, la possibilité de m’allier ou de m’associer à un parti politique sera étudiée. Pas une alliance autour de ma personne ou de la personne de quiconque, mais autour d’un projet politique.

Pambazuka : Sentez-vous la société civile guinéenne assez forte et mûre pour porter une candidature indépendante ?

Aliou Barry : Oui. D’ailleurs, je ne suis pas le seul membre de cette société à m’être déclaré candidat. C’est un signe du désintérêt de la population pour les partis politiques et j’espère que la société civile va bénéficier d’une ouverture pour participer à l’expression politique. L’ancienne Constitution avait été faite sur mesure pour Lansana Conté, pour son parti, avec l’impossibilité de candidature indépendante. Mais dans le contexte actuel, marqué par la transition, je pense que la nouvelle Constitution va le prévoir. A mon avis, c’est la seule possibilité pour permettre à des Guinéens qui ont une réelle volonté de développer le pays, qui ont une autre offre politique, une autre ambition pour la Guinée, d’être sur le terrain et d’être candidat.

Pambazuka : Depuis bientôt 20 ans que le multipartisme existe en Guinée, qu’est-ce qui explique ces faiblesses que vous reprocher aux hommes politiques ?

Aliou Barry : Le plus grand reproche que je leur fait – et pas seulement moi d’ailleurs - c’est qu’ils ont, pendant plus d’une décennie, axé leur combat politique sur la succession de Lansana Conté. Ils n’ont pas travaillé à des offres politiques alternatives réelles… Or il est scandaleux que dans ce pays, après 50 ans d’indépendance, il n’y ait ni eau ni électricité à suffisance alors que vous ne pouvez pas faire 10 km en Guinée sans voir une possibilité d’installation de barrage hydroélectrique. Ces hommes politiques se sont tous focalisés sur la mort de Conté et sur sa succession sans dire à la population guinéenne ce qu’ils feraient une fois à la tête de l’Etat.

La deuxième chose, c’est que les gens commencent à se lasser de ces leaders qui n’ont pour argument politique que leur fortune. C’est l’un des rares pays où les partis sont financés pratiquement à 80% par la fortune de celui qui les dirige, de sorte que quand il décède, le parti meurt. On l’a vu avec Sékou Touré et le PDG/RDA, on l’a vu avec Conté et le PUP. Même choses avec l’UNR qui est plus ou moins absent de la scène depuis le décès de Siradiou Diallo.

Tous ces facteurs font qu’il faut une autre approche politique pour essayer de rassembler les gens autour d’un projet et non autour d’une fortune du candidat ou du leader de parti.

Pambazuka : Le président Moussa Dadis Camara, supposé être candidat pour la présidentielle de décembre, a récemment déclaré qu’il ne le sera plus. Ne craignez-vous pas une nouvelle volte-face ?

Aliou Barry : Je crois en ce qu’il dit. Mais la difficulté, en Guinée, comme ailleurs, tient à l’entourage de nos chefs d’Etat. Des associations de femmes, des associations de jeunes, etc., se sont créées pour pousser le président à se porter candidat. Mais c’est à lui, en analysant la situation intérieure et le contexte international, pour prendre ses responsabilités. Je pense qu’il ne se portera pas candidat.

La question est surtout de savoir si les élections auront lieu en décembre. Je le souhaite. C’est une date qui a été acceptée par tout le monde. Mais quand on voit ce qui se passe en Guinée, avec le fichier électoral qui n’est pas prêt, le recensement qui n’est pas achevé, le président de la CENI (Commission Electorale Indépendante) qui disait que faute d’un financement à 100% de la part de la communauté internationale il n’y aura pas d’élection, avec l’Etat qui dit qu’il n’a pas les moyens de contribuer au processus électoral, je vois mal comment les élections peuvent avoir lieu en décembre. Mais c’est le souhait de tout un chacun qu’elles se tiennent pour ne pas que cette équipe militaire s’éternise au pouvoir.

Pambazuka : Comment jugez-vous l’action du CNDD depuis son installation en décembre ?

Aliou Barry : Les résultats sont mitigés. D’abord, sur le front de la lutte contre le trafic de drogue et la corruption, il y a eu des actions volontaristes fortes et positives. C’est important, parce que durant le régime de Conté on a assisté à un laisser-faire, à un laisser-aller. Mais je suis plutôt sceptique quant à l’aboutissement de tout cela. Car on s’aperçoit que le CNDD ne va pas jusqu’au bout de sa logique. En plus, on doit faire avec un système judiciaire qui a été corrompu et mis au service du système Conté. C’est d’ailleurs ce qui nourrit la méfiance du régime actuel et le pousse à instituer une justice parallèle mais qui elle-même n’est pas armée pour lutter contre la corruption.

Ensuite, sur le terrain politique, il y a une véritable méfiance de la part du CNDD envers les acteurs. Et c’est dommage, parce qu’on doit aller à des élections. Aujourd’hui par exemple, il est interdit aux médias d’Etat de couvrir les activités des partis. Il n’y a pas d’espace réservé dans ces médias aux activités des partis. Ce sont des situations de ce genre qui contribuent à la méfiance des populations, qui y voient un intérêt pour la junte à s’éterniser au pouvoir.

Il n’y a pas de signe fort, au-delà de la déclaration verbale du président Dadis, qui montre aux citoyens guinéens que les militaires veulent céder le pouvoir. Entre ce qu’il dit et le comportement qu’il adopte, on a l’impression que son discours est destiné à la communauté internationale.

Pambazuka : En cela, pensez-vous que Moussa Dadis Camara pourrait être prisonnier de l’armée ?

Aliou Barry : Tout à fait. Pris individuellement, il est sincère dans ses propos, quand il dit qu’il ne veut pas rester au pouvoir. Mais il s’est créé autour du camp Alpha Yaya, là où se trouve le siège de la junte, un véritable lobby. Avec des courtisans qui s’accrochent au pouvoir et estiment qu’ils perdraient beaucoup si la junte quittait. Si vous allez à Conakry, les ministères sont désertés, y compris la primature. Tout le monde est au siège du CNDD. Aussi bien des conseillers occultes que des courtisans de l’ancien régime Conté qui voient là aussi une occasion de rebondir.

Pambazuka : Des divisions sont évoquées au sein de l’armée. Quelle est leur ampleur ?

Aliou Barry : C’est une partie de l’armée qui est au pouvoir. Et elle se méfie de l’autre (1). Je crois que l’annulation de son voyage en Libye, par le président Dadis, il y a quelques mois, s’explique beaucoup par des rumeurs de coup d’Etat et par son manque d’assurance d’une adhésion totale de l’armée au CNDD. L’armée n’étant pas unie, il y a beaucoup de risques de scissions dans l’exercice du pouvoir, avec les difficultés qui vont surgir sur le plan économique, sur le plan des réformes. Il n’est pas exclus que des crises surviennent prochainement au sein de la junte au pouvoir.

Pambazuka : Pensez-vous qu’avec une transition démocratique l’armée retournerait facilement dans les casernes ?
Aliou Barry : Depuis 1984, l’armée est au pouvoir, via Lansana Conté d’abord. C’est sur elle que Conté avait assis son pouvoir. On a donc une armée habituée au pouvoir. Toute la difficulté de savoir comment faire pour qu’elle retourne dans les casernes. Et certains paramètres rendent cette perspective compliquée.

D’abord, avant sa disparition, Conté donnait des signaux forts à l’armée en disant «vous m’avez donné le pouvoir, je vous rendrais le pouvoir». Ensuite, la classe politique a donné des raisons à l’armée de se croire indispensable. Avant même que Conté ne meurt, alors qu’il était malade, des partis d’opposition faisaient des appels du pied à l’armée pour qu’elle prenne le pouvoir. Pour changer la donne, il faudrait une véritable restructuration de l’armée.

Pambazuka : De Sékou Touré à Conté, la Guinée est restée longtemps isolée. Avec un régime démocratique demain, quelles seront les urgences en matière d’ouverture ?

Aliou Barry : D’abord, sur le plan économique, il faudra bien qu’un jour la Guinée tranche le problème de sa monnaie. Est-ce qu’elle va réintégrer la zone CFA qui l’entoure ? Ou est-ce qu’elle va s’acheminer vers la ZMAO, cette zone monétaire regroupant les pays anglophones qui ne sont pas de la zone CFA ? C’est une question importante à trancher si la Guinée veut jouer un rôle important sur le plan économique dans la sous-région. Très vite, un référendum devra être organisé sur cette question.

Sur le plan politique, il faudra aussi que le pays s’affirme sur la scène africaine. Durant les 24 ans de Conté, le pays a été absent de la scène politique sous-régionale. Il faut retrouver la Guinée avant-gardiste, panafricaniste et réintégrer les instances internationales. Il faut faut tisser des rapports économiques forts avec les pays limitrophes, lever tout ce qui est barrière douanière physique avec certains pays comme le Sénégal, etc.

NOTE

1) Voir, du même auteur, «L’armée guinéenne face aux défis démocratique et au changement» (http://pambazuka.org/fr/category/features/56202)

* Aliou Barry préside l’Organisation Nationale des Droits de l’homme en Guinée. Spécialiste des questions de conflit, il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet. L'interview a été réalisée par Tidiane Kassé, rédacteur en chef de l'édition française de Pambazuka News.

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