L’Afrique n’est pas prête pour les APE, l’Europe non plus

En décembre 2007, la CEDEAO a refusé de signer un Accord de Partenariat Economique (APE) avec l’Union Européenne (UE), malgré la pression de celle-ci qui voulait que cet accord soit signé avant le 31 décembre 2007. A ce moment, la CEDEAO s’est donné 18 mois pour signer un APE, affirmant que le 30 juin 2009, elle sera prête. Qu’en est-il aujourd’hui à un mois de cette échéance ?

Les ministres du commerce et la Commission de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) ont fait un travail remarquable. Aujourd’hui, ils sont capables de faire des propositions à l’Union Européenne qui respectent les intérêts de l’Afrique de l’Ouest et qui sont compatibles avec les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).

Voici trois points essentiels de l’offre de la CEDEAO à l’Union européenne :

1. La CEDEAO est prête à ouvrir 60 % de son marché à la partie européenne, excluant 40 % de ses produits sensibles de la compétition. Et cela avec de bonnes raisons pour refuser l’interprétation de l’Union Européenne qui a imposé à la Côte d’Ivoire de libéraliser 81 % de son marché, et qui voulait faire de même avec l’ensemble de la CEDEAO. Aujourd’hui, tous reconnaissent que l’interprétation de l’Article XXIV du GATT (sur lequel s’appuyait l’Europe) est assez souple et qu’il est difficile d’affirmer que l’offre de l’Afrique de l’Ouest n’est pas conforme aux règles de l’OMC.

2. Ensuite, l’Afrique de l’Ouest se donne 25 ans pour réaliser pleinement cette libéralisation.

3. Enfin, l’accord de Cotonou précise que les APE ont pour objectifs de soutenir le développement des différentes régions. Aussi les chefs d’Etat de la CEDEAO ont mandaté les hauts fonctionnaires de la région dans ce sens. C’est pourquoi, ils ont rappelé récemment que sans un Programme APE de Développement (PAPED), il ne pourrait pas y avoir d’APE au 30 juin 2009. Un document est prêt. Ce document précise que le rythme de la libéralisation des échanges sera lié au financement de ce programme. Ce PAPED ne fait pas l’unanimité dans la société civile. Certains pensent qu’il manque d’ambition. Son apport (9,5 milliards d’euros sur 5 ans) est jugé trop modeste. Mais, comme on dit, il a le mérite d’exister !

Aux dernières nouvelles, l’Europe n’accepte, en l’état, aucun de ces trois points jugés essentiels par la CEDEAO.

Aussi, on peut dire que l’Europe n’est pas prête à signer l’APE en l’état. Les négociations vont donc se poursuivre !

Peut-on dire que la CEDEAO est prête ? A vrai dire, la CEDEAO n’est pas prête non plus !

De son côté, les difficultés viennent du niveau d’intégration régionale souhaité avant de signer un tel accord. Comment signer, en effet, un APE devant faciliter l’intégration régionale tant que les Etats membres de la région ne se sont pas mis d’accord sur un niveau et un système de protection (notamment sur un Tarif extérieur Commun) et sur un ensemble de politiques communes (comme la politique agricole, Ecowap, mais aussi une politique industrielle, environnementale…) traduisant une vision commune de l’avenir de la région.

Or, à titre d’exemple, les négociations sur le Tarif extérieur Commun (TEC) piétinent. Les Etats se sont mis d’accord sur l’introduction du 5ème bande tarifaire à 35 %, mais pas sur les produits qui doivent être classé dans cette bande. Avec d’autres, nous restons convaincus qu’un taux de douane inférieur à 50 % ne permettra pas de protéger certains produits sensibles comme le lait dont le prix est en train de chuter de façon dramatique en Europe et dans le monde !

C’est pourquoi, nous pensons que la CEDEAO doit commencer de toute urgence à faire les démarches nécessaires pour conforter son Union douanière à l’OMC, et s’y faire reconnaître comme personnalité juridique. Cela lui permettra de déterminer des droits de douane consolidés communs pour l’ensemble de la région. La CEDEAO ne devrait pas avoir de difficultés pour consolider ses droits de douanes à 73,4 %, et ses autres taxes à 58,1 %. « Soit au total un ensemble de droits consolidés à 131,5 %. »

Ceci fait, la CEDEAO sera beaucoup plus à l’aise pour continuer les négociations avec l’Union Européenne. Même si son TEC n’est pas parfait, voire partiellement déterminé, elle se sera donné une marge de manœuvre importante devant l’OMC et donc devant l’ensemble de ses partenaires commerciaux.

Toutefois, la CEDEAO ne devrait pas être pressée de reprendre les négociations. Au 30 juin 2009, elle pourrait faire le constat, avec l’Union Européenne, des désaccords qu’il reste à régler, et proposer une pause dans les négociations, les deux parties s’engageant à les reprendre quand les négociations à l’OMC, dites du cycle de Doha, seront achevées. Inutile de se presser tant qu’il n’y a pas d’accord à l’OMC.

Et pour que l’accord intérimaire de la Côte d’Ivoire ne mette pas à mal l’intégration régionale, la CEDEAO pourrait demander à la Côte d’Ivoire de notifier à l’Europe (qui ne cesse de répéter qu’un des objectifs de l’APE est le renforcement de l’intégration régionale) qu’elle commencera son programme de libéralisation dans un délais de six mois, après la conclusion du cycle de Doha.

A noter que la rédaction de cet article a été facilitée par l’atelier de concertation et d’échanges sur l’APE avec les parlementaires burkinabè qui s’est tenu à Ouagadougou le mercredi 20 mai 2009. Bon nombre des idées développées ici sont maintenant partagées par les parlementaires présents à l’atelier. Ce qui est quelque peu réconfortant !

* Maurice Oudet est président du Service d'édition en langues nationales de Koudougou (SEDELAN – Burkina Faso)

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