La révolution verte, ou quand on dort sur la natte de l’autre
Nous sommes inquiets, en tant que paysans africains, que d’autres veuillent décider à notre place de ce que doit être le développement de l’Afrique. Surtout quand cela fait sans qu’on ne soit consulté, sans aucune coordonnation avec nous. Il est vrai que nous sommes pauvres, que nous avons des faiblesses, mais nous ne sommes pas dans une situation d’abandonner notre destin entre les mains des autres. Aujourd’hui donc, plus que jamais, face à la Révolution verte, face à l’agriculture liée au biocarburant nous prenons en compte l’adage qui dit que «tout ce qui se fait sans moi est contre moi.
L’urgence devant laquelle la société civile paysanne africaine se trouve, de devoir se mobiliser et s’opposer aux nouvelles politiques agricoles qu’on cherche à nous imposer découle essentiellement d’un fait : les gouvernements africains ont cessé d’être des forces de propositions alternatives ; elles ne s’approchent pas non plus des acteurs qui peuvent les aider dans une réflexion positive pour prendre les bonnes décisions. Si les décideurs africains prenaient le parti de consulter les organisations paysannes, de diagnostiquer avec elles les situations qu’on traverse et de faire ensemble les bons choix, à travers un processus participatif, la situation du continent changerait.
Les paysans africains qui vivent la pauvreté dans ses causes comme des conséquences, sont les mieux à mêmes de proposer les solutions qu’il leur faut. Ceux qui vivent dans les villages sont les mieux à même de développer ces villages. L’Afrique ne se développera pas par la stratégie du haut vers le bas. Seulement, quand les Etats reçoivent des financements et ne veulent pas qu’on sache ce qu’ils en font, ils ne peuvent que procéder ainsi. Aujourd’hui, dans la plupart des projets de développement, on assiste à des détournements d’objectif. Les fonds sont investis ailleurs que dans les domaines auxquels ils étaient destinés, en particulier au profit des communautés de base.
Aujourd’hui que les multinationales s’engagent derrière la révolution agricole qui s’annonce, le défi est encore plus sérieux pour la société civile paysanne dont la capacité de mobilisation est encore faible. Jusqu’ici il nous faut le soutien d’organisations du Nord pour nous mobiliser, structurer nos ripostes et mettre en œuvre certains aspects de nos plans d’action. Cette dépendance ne s’explique pas toujours. Les moyens financiers de notre indépendance d’action, il faut qu’on les crée. Il nous faut expliquer et convaincre nos populations de l’importance des batailles qui se mènent pour les impliquer dans la mobilisation des ressources. Certes, nos partenaires du Nord sont conscients de s’engager dans un combat qui nous est commun, mais c’est notre destin à nous qui se joue en premier.
Un autre défi est de savoir faire face aux déstabilisations politiques. Là où elles sont assez fortes pour pouvoir influer sur les décisions, les plateformes paysannes sont fragilisées par des dissidences organisées par le pouvoir. D’un mouvement unitaire, on passe alors à un émiettement des forces, avec des organisations sans base populaire qui, puisqu’elles sont promues et soutenues, de manière directe ou indirecte, par les pouvoirs publics, se positionnent comme des cadres de validation des politiques étatiques, sans considération leur pertinence ou de leur efficacité.
Plus de vigilance et de capacité de réactions et de propositions alternatives s’imposent, au moment où on assiste à un nouveau processus de colonisation. Nous imposer les OGM, tel qu’on le voit dans certains pays africains, c’est aller vers la dépréciation de nos propres semences pour nous mettre à la remorque des multinationales qui vous nous en imposer d’autres. Ce sera la mort d’un mouvement paysan dépendant et sans possibilité de décision. Le marché africain n’existerait que pour les multinationales sans doute qu’on ne recevrait que la poubelle de l’Europe, ce dont ses paysans ne veulent pas.
La situation qui menace est là même que celle qui se dessine avec les accords de partenariat économiques, tendant à ouvrir le marché africain à un libre échange inégal. Les conséquences, sur un plan économique plus large, on peut l’imaginer à travers l’invasion de l’Afrique par les produits chinois face auxquels l’artisanat local commence à étouffer. Le jour où il nous faudra compter que sur du lait hollandais uniquement pour nourrir nos enfants, parce que nous aurions cessé de produire par nous-mêmes, nous aurons fini de compromettre notre avenir.
La Révolution verte dont il est question, nous l’avons déjà vécue avec un lourd échec au Sénégal dans les années 1970-1980, avec la promotion d’une agriculture productiviste basée sur l’accroissement des moyens de production, sur l’utilisation de l’engrais à grande échelle, etc. Les sols ont été acidifiés, leur fertilité réduite, le couvert végétal atteint, etc. Certes, pendant une certaine période la production a été largement améliorée, mais à partir du moment où on a dit aux paysans que l’engrais n’était plus subventionné ou n’était plus gratuit, la machine s’est enrayée. C’était certes une révolution, mais elle a montré ses limites. Il nous faut donc revoir les choses par rapport à nos propres réalités. Car, comme le dit Ki Zerbo, «si tu dors sur la natte de l’autre, tu es en train de dormir par terre».
La révolution verte présente sans doute des côtés positifs, mais pour que ces aspects nous soient bénéfiques, il nous faut les adapter à nos besoins et à nos réalités. Il faut voir où est l’intérêt du petit producteur et de l’exploitation familiale. C’est une question de résistance, mais aussi d’alternatives à proposer.
La mobilisation paysanne doit viser les plus hauts niveaux de décision politique. De la même manière que la résistance face aux Accords de partenariat économique a pu donner des fruits, on peut s’opposer avec succès à ces nouvelles politiques. Il faut cependant que la synergie des forces se fasse au niveau national, avant d’aboutir à une mobilisation régionale, voire continentale, sur des bases communes. Or, sur les OGM, par exemple, les organisations maliennes sont de loin en avant par rapport aux sénégalaises et aux burkinabé, en terme de veille et de résistance.
Face aux enjeux actuels, il faut alerter, sensibiliser et mobiliser l’opinion au plus tôt. Il faut prendre les devants pour développer des alternatives, faire la promotion des semences paysannes, aller vers les paysans pour leur montrer que les traditions culturales dont ils ont héritées sont à garder et à transmettre aux générations futures, que les semences qu’on a toujours utilisées valent celle qu’on veut nous imposer et que la faiblesse de la productivité tient à d’autres facteurs.
* Sidy Bâ est conseiller politique du cadre de concertation des producteurs d’arachide ; il est membre du Conseil d’administration du Conseil national de concertation des ruraux du Sénégal.
* Ce texte est provient d’une interview accordée à Tidiane Kassé, rédacteur en chef de la version française de Pambazuka News
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