Les Politiques du Pétrole et la Pauvreté
Emira Woods relève que « Pourtant, comme dans beaucoup de communautés de la région nigériane du Delta riche en pétrole, la plupart des gens de Yenagoa vivent dans des huttes construites en terre. Certains résident à seulement quelques pieds des puits de pétrole. Mais ils manquent d’électricité et de toilettes à l’intérieur de leurs maisons. Ils n’ont pas d’hôpitaux, pas d’eau de robinet, pas d’écoles. Et il y a aussi le chômage. Des compagnies pétrolières comme Royal Dutch Shell, BP, Chevron, et Exxon Mobil apportent des ouvriers étrangers même pour les postes subalternes…. Comme beaucoup d’Africains, j’ai peur que les compagnies pétrolières regardent l’Afrique à cause de sa richesse en ressources sans voir les gens. Les communautés riches en ressources sont déshumanisées et la ligne de la couleur est plus que jamais présente au moment où les plus grands profits coulent fermement vers les blancs qui contrôlent déjà d’énormes richesses et le pouvoir ».
Il est presque impossible d’imaginer, pendant que nous sommes assis dans une station de gaz bien éclairée, totalement fonctionnelle, sur Main Street, Etats-Unis, qu’une communauté qui a reçu la bénédiction de richesses en pétrole sous son sol pourrait paraître aussi appauvrie que Yenagoa dans l’Etat nigérian de Bayelsa.
Yenagoa est le site de l’un des premiers puits de pétrole, construit en 1956. Pourtant, comme dans beaucoup de communautés de la région nigériane du Delta riche en pétrole, la plupart des gens de Yenagoa vivent dans des huttes construites en terre. Certains résidents à seulement quelques pieds des puits de pétrole. Mais ils manquent d’électricité et de toilettes à l’intérieur de leurs maisons. Ils n’ont pas d’hôpitaux, pas d’eau de robinet, pas d’écoles. Et il y a aussi le chômage. Des compagnies pétrolières comme Royal Dutch Shell, BP, Chevron, et Exxon Mobil apportent des ouvriers étrangers même pour les postes subalternes.
J’ai récemment effectué un voyage à Yenagoa dans le cadre d’une tournée dans trois pays africains – le Nigeria, le Tchad et le Liberia – qui pourraient bien fournir le pétrole aux besoins des Etats-Unis en énergie. Historiquement, les Etats-Unis obtiennent les deux tiers de leur pétrole des autres pays.
La plupart des importations pétrolières des Etats-Unis viennent de l’Arabie Saoudite, du Venezuela, du Mexique, et du Canada. De plus en plus, comme les Etats-Unis, la Chine, et d’autres nations épanouissent leur soif pétrole, et l’instabilité devient plus profonde au Moyen-Orient, l’Afrique sub-saharienne est en train de devenir une source plus attirante pour le pétrole brut. Le conseil national des Renseignements des Etats-Unis estime que l’Afrique pourrait fournir 25% du pétrole américain d’ici l’an 2015.
Les trois pays que j’ai visités pourraient bien jouer un rôle dans la réalisation de cet objectif. Chacun est à différents stades de production du pétrole. Au Nigeria, l’exploration du pétrole date de l’an 1956. Au Tchad, l’extraction a commencé il y a juste trois ans. Au Liberia, où j’ai passé une grande partie de mon enfance, le potentiel du pétrole au-delà de sa ligne côtière qui s’élargit constitue une raison de garder l’espoir pour l’avenir.
Dans chacun de ces pays, une toile complexe d’acteurs géo-politiques, des cadres des compagnies pétrolières et des fonctionnaires du gouvernement aux agents militaires, prend des décisions qui ont un impact sur les vies des communautés qui produisent le pétrole qui coule vers les consommateurs aux Etats Unis.
L’injustice nigériane
Les résidents de Yenagoa manquent d’emplois et de services sociaux élémentaires. Ce qu’ils ont en abondance ce sont des dégâts sur l’environnement qui proviennent des décennies de marées noires, auxquelles s’ajoutent le brûlement constant de gaz nécessaire pour l’extraction du pétrole brut. La terre cultivable est rendue inutile tandis que des rivières et des cours d’eaux, qui étaient une fois bien peuplés par la vie marine, sont maintenant stériles.
Un chef local a expliqué qu’il a reçu de Shell Oil 150 Naira (1,15 $) pour chaque demi-hectare de terre utilisée par la compagnie. Je fus étonné lorsqu’il poursuivit en disant, « 150 naira, une fois tous les quatre ans » Les prix du pétrole étant les plus hauts de l’histoire, comment la compensation des communautés pour leur longue souffrance suite aux impacts des marées noires et des flamboiements de gaz peut-elle être une somme aussi dérisoire ?
Des membres du personnel militaires et de sécurité ont fait la ceinture autour de la zone avoisinant Yenagoa pour protéger les intérêts liés au pétrole. Les communautés sont en état de siège.
A Odi, une communauté adjacente à un puits construit en 1958, les villageois sont en train de réclamer des services de base comme l’eau potable de robinet, l’électricité, et les écoles. La réponse de la part des agents de sécurité a été sévère. Notre délégation a observé avec horreur en tant que témoin comment les jeunes gens ont, l’un après l’autre, avancé pour faire voir des blessures fraîches reçues il y avait de là 5 jours.
Ils nous ont raconté que des hommes militaires en uniforme avaient attrapé 15 jeunes gens pendant qu’ils rentraient chez eux à pieds en provenance d’un village au milieu de l’après-midi. Les jeunes gens furent frappés, torturés, et emprisonnés, et ce comme une mise en garde aux autres gens du village. Pour environ une semaine, les jeunes ont vécu le calvaire dans une prison à quelques miles du lieu. Leurs membres de familles furent forcés de marcher pendant une journée et demie pour les voir ou leur apporter la nourriture dans cette prison misérable. Leur crime ? Réclamation des droits élémentaires.
Pendant que les compagnies pétrolières enregistrent des profits et que le prix du pétrole monte en flèche vers près de 65 dollars US par baril, les communautés africaines ostensiblement bénies par la malédiction du pétrole languissent dans la misère et la saleté. En effet, sans terre exploitable ou conduits d’eau, beaucoup de gens au Nigeria disent qu’ils se trouvent dans un état pire que celui dans lequel se trouvaient leurs grands- parents avant que le pétrole ne fut découvert.
Espoir au Tchad ?
Reconnaissant la misère de leurs voisins au Nigeria, les communautés des zones productrices de pétrole au Tchad ont travaillé dur, même avant le début de la production du pétrole en 2003, pour minimiser les dégâts environnementaux et maximiser les bénéfices pour les communautés des lieux où le pétrole coule.
L’oléoduc de 650 miles entre le Tchad et le Cameroun (projet d’investissement le plus grand de l’Afrique) relie le Tchad, pays enclavé, aux marchés mondiaux d’exportation à travers la cité portuaire camerounaise de Douala. Il fut financé à travers des prêts et d’autres soutiens de la Banque Mondiale. Des mesures héroïques initiées par des activistes, la société civile, les défenseurs des droits humains et des leaders religieux de la communauté ont conduit à la loi sur la gestion de revenues qui est orientée vers l’avenir en vue de gérer le cours des revenues du pétrole de façon transparente, en s’assurant des ressources par les générations futures.
Cependant, le gouvernement tchadien a perverti sa propre législation concernant la gestion du pétrole. Il a détourné les dépenses loin des priorités initiales d’agriculture, de santé, et d’éducation et vers la « sécurité.» Le résultat en est que l’argent qui ne circule que maintenant en provenance de la production de pétrole est dépensé sur des armes et d’autres équipements militaires, au lieu d’être dépensé sur la réduction de la pauvreté et sur les intérêts des générations futures.
Les puits de pétrole au Tchad sont plus neufs, donc ses zones productrices de pétrole n’ont pas encore fait l’expérience des dégâts causés par des décennies de marée noire. Cependant, le flamboiement du gaz, avec des problèmes de santé qui en découlent et les dégâts sur l’environnement, est partie intégrante du cycle de production. Lorsque le vent souffle, l’odeur du gaz qui brûle enveloppe les villages se trouvant à plusieurs miles du lieu.
Dans une communauté tout près de Doba, avec les flammes de gaz comme toile de fond, les villageois nous ont parlé des décès en croissance et des cas de mort suite à des maladies respiratoires au cours des quelques dernières années, et des fournitures d’eau contaminée.
Entretemps, dans la zone agricole fertile du Tchad, les mangues, le coton, la gomme arabique et le bétail sont abondants. Pourtant il n’y a pas une seule usine qui transforme les produits de la matière première en biens pour les marchés locaux ou internationaux.
En dépit de ces défis, les Tchadiens maintiennent que leur vigilance va minimiser les impacts négatifs du point de vue social et environnemental. Le Tchad pourrait facilement se nourrir et nourrir ses voisins si la capacité de production était construite dans le secteur agricole. Les revenues du pétrole orientées vers la construction d’un système éducatif, la fourniture de soins de santé, de même que l’électricité élémentaire, l’eau potable, et les routes, pourraient mener loin vers l’amélioration des conditions de vie des gens.
A travers le pays, en dépit de la récente tentative de coup d’Etat et des élections en avril que la majorité de gens ont boycottées, les Tchadiens gardent l’espoir. De la capitale aux puits de pétrole du Sud, chacun semblait avoir confiance que les générations futures auront une meilleure vie.
Alternatives libériennes
Le Liberia, soit le troisième pays que j’ai visité, a récemment émergé de 25 ans de guerre. Les gens là-bas ont de l’espoir également, malgré les 85% du taux de chômage et le manque complet d’écoles qui fonctionnent et des soins de santé.
Les Libériens espèrent que les concessions actuellement garanties pour l’exploration du pétrole en mer vont conduire sur la route vers de nouvelles sources de revenues. La compagnie Nationale Libérienne du Pétrole(National Oil Campany) a négocié deux contrats avec Dranto Petroleum Limited, une compagnie basée au Nigeria, et Broadway Consolidated PLC, qui est basée en Bretagne. Comme l’exploration est déjà en cours, peu de gens au Liberia pensent que laisser la ressource non-touchée est une solution viable.
La question-clé est de savoir si le Liberia peut ou ne peut pas échapper à la malédiction du pétrole qui a si clairement fait souffrir le Nigeria, l’Angola, et d’autres pays de la région africaine du Golfe de Guinée qui est richement dotée.
Une possibilité pour les pays comme le Liberia consiste à considérer des modèles alternatifs pour le développement du pétrole. Par exemple, qu’est-ce que le Liberia peut apprendre de l’exemple du Venezuela de 61% du contrôle national des revenus du pétrole et de sa gestion ? Ou bien de l’emploi par le Norvège des revenus du pétrole pour diversifier l’économie tout en améliorant les services sociaux ?
Comme beaucoup d’Africains, j’ai peur que les compagnies pétrolières regardent l’Afrique à cause de sa richesse en ressources sans voir les gens. Les communautés riches en ressources sont déshumanisées et la ligne de la couleur est plus que jamais présente au moment où les plus grands profits coulent fermement vers les blancs qui contrôlent déjà d’énormes richesses et le pouvoir.
Le prix du pétrole a presque triplé depuis que le président George W.Bush est entré en fonction en 2001, et pourtant la majorité des gens qui vivent dans les pays à partir desquels le carburant coule font face à une pauvreté écrasante. Dans l’ensemble, les profits trimestriels de 10 milliards de dollars US réalisés par Exxon Mobil, Chevron, BP, ou Shell et le 1,15 dollars US par demi-hectare payé en compensation (tous les quatre ans) à certains agriculteurs des zones productrices de pétrole, montrent juste dans quelle mesure l’industrie pétrolière mondiale est devenue injuste.
La prochaine fois que tu tires la pompe, arrête un moment et rappelle-toi que le liquide noir épais est extrait de la croûte de la terre au grand détriment social, politique et environnemental. Puis fais tout ce qui est dans ton pouvoir pour réclamer la dignité et la juste compensation pour ceux dont la terre ou la mer pourrait être maudite avec la bénédiction de cette ressource naturelle.
*Emira Woods est co-directrice de Foreign Policy In Focus à l’Institut des Etudes de Politiques.
*Le texte a d’abord paru dans le numéro 272 de l’édition anglaise de Pambazuka News. Voir :
La traduction de l’anglais au français a été faite par Jean Nepo Simbayobewe.
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