RDC : Faire de l’électeur analphabète un électeur indépendant et efficace !

A la date 30 Juillet 2006, la République Démocratique du Congo (DRC) a connu ses premières élections libres et démocratiques après plus de quarante ans. Le deuxième tour des Présidentielles devant se tenir le 29 octobre prochain, MaîtreDieu-Donné WEDI DJAMBA soutient que l’urgence est principalement de faire de l’électeur analphabète un électeur indépendant et efficace. Selon lui, cette tâche incombe à la société civile et à la commission électorale indépendante, mais surtout aux formations politiques et aux candidats indépendants qui feraient mieux de se concentrer en amont sur la sensibilisation de leurs électeurs.

Pour les présidentielles, 32 candidats avaient concouru pour un post a la présidence tandis que pour les législatives près de 10000 candidats avaient concouru pour 500 sièges au parlement national.

Les élections présidentielles ont vu l’émergence des deux candidats ,le président sortant Joseph Kabila Kabange avec 43,8% et le vice-président sortant Jean Pierre Bemba Gombo avec 20,03%. Aucun des candidats n’ayant remporté la majorité absolue(50% + 1 voix), le deuxième tour devrait opposer les deux candidats ayant fait un plus grand score au premier tour. A savoir le président sortant Joseph Kabila Kabange et le vice président Jean Pierre Bemba Gombo.

Mais l’annonce des résultats du premier tour le 20 Août passé a été suivi des violences entre les militaires de la garde du président sortant Joseph Kabila Kabange et ceux de la garde du vice-président sortant Jean-Pierre Bemba Gombo dans les rues de Kinshasa, la capitale de la DRC. Ces affrontements qui ont duré trois jours ont fait plus de 18 morts.

Après l’installation du Parlement issu des élections du 30 juillet, le 22-09-2006, l’attention du peuple congolais est maintenant focalisée sur les élections du 29/10/2006. La première étape passée, l’électeur congolais attend les autres échéances électorales notamment, les provinciales, urbaines, locales et le deuxième tour des présidentielles. Au total quatre scrutins.

Toutefois, avant d’arriver à cette date, un élément sur les élections du 30-07-2006 passé mérite de faire objet d’une analyse. Il s’agit du vote de l’électeur analphabète congolais. La population congolaise étant en majorité analphabète, l’électorat congolais l’est aussi. Notre objet en ce jour est de voir comment faire de l’électeur analphabète congolais un électeur indépendant et efficace.

En effet, la loi 06-006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielles, législatives, provinciales, urbains, municipales et locales stipule à son article 58 al 1 ce qui suit : « l’électeur qui se trouve dans l’impossibilité d’effectuer seul l’opération de vote a le droit de se faire assister par une personne de son choix ayant la qualité d’électeur ».

Bien que la loi n’ait pas spécifié le genre « d’impossibilité », nous osons penser qu’il s’agit de l’handicap physique et du niveau d’instruction. L’handicap physique peut être inné ou accidentel. Quant au niveau d’instruction, nous pensons aux analphabètes.

Si l’assistance autorisée par la loi est avantageuse aux personnes avec handicap, elle n’a pas par contre le même effet sur les personnes analphabètes. Car si l’assistance fait de l’électeur handicapé un électeur efficace, elle fait par contre d’un électeur analphabète un électeur dépendant. En plus, l’analphabétisme en lui seul fait de l’électeur analphabète un électeur inefficace.

Partant des élections du 30 juillet 2006, notre analyse va consister premièrement à démontrer les cas de la dépendance et de l’inefficacité de l’électeur analphabète en RDCongo, deuxièmement les conséquences de cette dépendance et de cette inefficacité, troisièmement les voies de sortie et nous terminerons notre analyse par une conclusion.

La dépendance et inefficacité de l’électeur congolais analphabète

La dépendance

L’électeur analphabète sollicite l’assistance d’un tiers quand il ne sait pas déceler le candidat de son choix ou encore quand il ne se sait pas comment voter. Tel que nous l’avons souligné dans notre précédente analyse , tels des robots les analphabètes répètent par coeur les instructions de leur leader.

Pour ne pas se tromper, plusieurs analphabètes répétaient par coeur en longueur de journée les numéros des candidats qu’ils devraient voter aux présidentielles comme aux législatives. D’autres ignoraient même de visage du candidat à élire. Le plus important et le moins compliquer pour cette catégorie d’électeur était le numéro du candidat, pour ceux qui ne pouvaient pas retenir le nom et le numéro à la fois.

Pour cette catégorie, l’assistance d’un tiers était plus que nécessaire. Et dans ce cas d’espèce, la bonne foi de l’électeur analphabète pouvait être abusée par la personne qui l’assistait. Elle pouvait lui désigner un autre numéro ou un autre nom c’est à dire les coordonnées ne correspondant pas au candidat de l’électeur analphabète.

L’inefficacité de l’électeur analphabète

Lors d’un scrutin, porter un choix sur un candidat est une étape, concrétiser ce choix par un bulletin en est une autre. Au cours de scrutin tous les bulletins ne contiennent pas les voies pour les candidats, il y a aussi des bulletins d’abstention et les bulletin nuls. Si les bulletins valables expriment la volonté du votant en désignant le candidat ou en s’abstenant, le bulletin nul par contre est la conséquence de la non conformité du bulletin à la loi.

L’article 64 de la loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielles, législatives, provinciales, urbains, municipales et locales énumère les cas des bulletins nuls comme suit : - les bulletins non conformes au modèle prescrit, les bulletins non paraphés par le président du bureau de vote, les bulletins portant des ratures ou des surcharges, les bulletins portant plus d’un choix, les bulletins portant des mentions non requises, les bulletins déchirés.

Parmi ces six cas de nullité du bulletin de vote, quatre nous concernent dans ce cas d’espèce. A savoir les bulletins portant des ratures ou des surcharges, les bulletins portant plus d’un choix, les bulletins portant des mentions non requises et les bulletins déchirés . Ces quatre cas de figure ont concernés plus les électeurs analphabètes que les instruits pendant les élections présidentielles et législatives du 30/07/2006.

En effet, bien que la l’article 58 précité prévoie le principe d’assistance aux électeurs se trouvant dans l’impossibilité d’effectuer seuls l’opération de vote, certains électeurs par manque de cette assistance due soit à l’indisponibilité de la personne de son choix devant l’assister, soit à la méfiance de l’électeur vis-à-vis de l’assistance lui proposée par un tiers ou les membres du bureau de vote ou par l’indisponibilité des membres du bureau de vote pour une raison ou une autre ont effectué seuls leur opération du vote.

Toutefois, avant d’expliciter les différents cas de nullité, il est préférable que tout lecteur ait une idée sur ces bulletins de vote. Le bulletin de vote pour les présidentielles était celui à la dimension du double d’un papier A4 divisé en trois colonnes. Chacune d’elles contenant la liste des candidat. La disposition était la suivante : l’appartenance politique du candidat ou son identité d’indépendant, suivi du logo, du numéro du candidat avec son nom juste en dessous de la photo et enfin la case vide où l’électeur devrait accomplir son acte de vote.

Le bulletin de vote pour les législatives avait la même disposition que celle des présidentielles à la différence que celui-ci avait quatre colonnes des candidats. Le bulletin en forme de carnet avec des pages dont la dimension était le double du bulletin aux présidentielles. Pendant les élections présidentielles et législatives du 30/07/2006 ces différents cas de nullité de bulletin de vote ont pu se produire par le fait d’un électeur analphabète.

Le cas des ratures ou des surcharges

Un électeur qui après avoir fait une marque sur la case autre (celle portant les identités du candidat, son numéro ou sa photo) que celle indiquée pouvait naturellement effacer ses premiers écrits et refaire sa marque sur la case
indiquée ; Ou encore, l’électeur pouvait commencer par remplir la case par une mention et vouloir la changer ou l’améliorer. Ce bulletin était nul selon la loi.

Le cas de bulletin portant plus d’un choix

L’électeur pouvait, après avoir apposer son empreinte sur la case indiquée, plier le bulletin avant que l’encre ne sèche et occasionner ainsi une tache d’encre sur un autre candidat et cette tache est susceptible d’être interprétée comme une mention et partant le bulletin se retrouvait avec plus d’un choix ; Ou encore, le cas d’un électeur utilisant le stylo pour faire une mention sur la case indiquée (le signe +, x , ?) prolongeait par inadvertance l’une de manche dans la case appartenant à un autre candidat. Ce bulletin était nul selon la loi.

Le cas de bulletin portant des mentions non requises

Seules quatre mentions étaient permises dans la case indiquée, l’empreinte digitale faite en l’encre indélébile disposée par la CEI les signes + , x .ou ? en dehors de ces quatre mentions, le reste des mentions sur le bulletins de vote et dans la case indiquée rendaient le bulletin nul. Pour un électeur qui faisait un petit cercle dans la case indiquée ou sur le visage de candidat ou qui signait dans la case ou reprenait le numéro de candidat dans la case. Le bulletin était frapper du nullité selon la loi .

Le cas du bulletin déchiré

Ce cas a pu être vécu uniquement aux élections législatives qu’aux présidentielles. Car contrairement au bulletin de vote aux présidentielles constitué d’une page, le bulletin de vote aux législatives était un carnet constitué de plusieurs pages.

Ainsi, croyant que seule la page sur laquelle figurait leur candidat était concernée, certains électeurs ont arraché la page concernée pour l’introduire dans l’urne, d’autres par contre dont le nom du candidat se trouvait sur les pages du milieu du bulletin arrachaient les pages précédant celle sur laquelle se trouvait le nom du candidat. Tous ces bulletins étaient nuls (du moins conformément à la loi) parce que déchirés.

Conséquences

Si nous partons sur l’hypothèse selon laquelle dans notre pays la RDCongo la population est majoritairement analphabète. Que chaque bureau de vote avait enregistré au moins un bulletin nul dans chacun de ces quatre cas de nullité analysés ci- haut. Vous pouvez imaginer avec moi le nombre de voix perdues par les candidats aux présidentielles et aux législatives du 30/07/2006 sur les votant répertoriés par la CEI . De toute façon, quelque soit le nombre des votants, les cas de nullité de bulletin de vote affectent tant bien le candidat que l’électeur.

Le candidat

S’il est vrai qu’en démocratie les représentants du peuple obtiennent leur mandat de ce dernier, il est aussi vrai que ce mandat s’exprime par le scrutin. Et quel serait le sort d’un candidat dont la majorité d’électeur aurait commis l’un ou l’autre cas de nullité du bulletin de vote ? Il sera bien entendu préjudicié et au risque même de perdre les élections et par voie des conséquences n’est pas être le représentant de ce même peuple.

L’électeur

Si l’électeur en tant que peuple est le souverain primaire exerçant son pouvoir par le canal de ses représentants à qui il a donné mandant à travers les élections. Alors, celui qui occasionne l’annulation de ce son bulletin de vote par sa propre faute se rend un mauvais service. Car, qui sait si c’était cette voix qui allait faire la différence en faisant pencher la balance pour son candidat ?

Les voies de sortie

Depuis le 30/07/2006 les congolais ont renoué avec une pratique oubliée pendant dix neuf ans (la derniers fois que le peuple congolais est parti devant les urnes fut en 1987 pour élire les commissaires du peuple).

Si l’exercice de voter est pénible après dix neuf ans de non pratique, à combien plus forte raison une pratique oubliée pendant plus de 40 ans ou encore une pratique jamais exercée ? Car si le peuple congolais a eu déjà dans son histoire à élire démocratiquement ses représentants au parlement et d’autres instances tant provinciales que locales, c’était la première fois par contre qu’il a élu démocratiquement et au suffrage universel direct son chef de l’Etat ( le feu président Joseph Kasa-Vubu fut élu au suffrage universel indirect tandis que le feu président Mobutu ne fut jamais élu démocratiquement).

Mais, cet exercice de voter est devenu aussi plus pénible de par la nature de bulletin de vote. A cet effet, les bulletins de vote des élections du 30/07/2006 passent être pour les plus grands bulletins de vote du monde avec la dimension d’un double forma A4 pour les présidentielles et d’un qua triple forma A4 pour les législatives sans oublier son volume (un carnet contenant plusieurs pages) toujours pour les législatives.

Cette particularité de ces bulletins de vote a causé des problèmes même à certains intellectuels qui ont eu du mal à retrouver les candidats sur les différentes colonnes des photos de candidats, surtout sur le grand et volumineux bulletin de vote aux législatives.

C’est ainsi qu’il est en effet compréhensible que les analphabètes aient rencontré beaucoup de difficultés au moment du vote. Car si les intellectuels ont rencontré des difficultés pour voter à combien plus forte raison les non lettrés ! Après les élections du 30/07/2006, il est nécessaire que des leçons puissent être tirées afin d’améliorer la participation quant à la qualité de vote des électeurs en général et non lettrés en particulier aux autres échéances électorales se pointant à l’horizon.

L’éducation des électeurs en général et les électeurs analphabètes en particulier s’avère capitale pour l’apprentissage de la démocratie dans notre pays. A propos de l’éducation de l’électeur , la tache revient en notre humble avis en premier lieu aux formations politiques et aux candidats indépendants. Car, les conséquences de l’acte de vote de l’électeur les concernent directement. Les bulletins nuls pris à certaines proportions peuvent influer négativement sur l’élection d’un candidat.

Ainsi pensons nous qu’au lieu de rivaliser en avale avec une campagne telle que nous l’avons vécu pendant la campagne électorale pour les législatives et présidentielles du 30/07/2006 (cortège motorisé, distribution d’argent, pagnes, T-shirts, chapeaux, poisson), les formations politiques et les candidats indépendants feraient mieux de se concentrer en amont en sensibilisant leur électeurs. Car, en quoi cela servira-t-il à un candidat de drainer des foules pendant la campagne électorale et voir cet électorat ne pas se concrétiser à cause de l’ignorance des électeurs ?

Cette tâche revient deuxièmement à la société civile (les associations sans but lucratif, les confessions religieuses…)

La commission électorale indépendante quant à elle n’interviendrait qu’à troisième position.

Quant à l’éducation des électeurs, nous pensons que la sensibilisation par le contact direct avec les électeurs est la mieux indiquée. Car, la sensibilisation à travers les médias (radio, télévision) connaît certaines limites (la misère fait que les appareils récepteurs fassent défaut dans beaucoup de maisons. Et pour ceux qui en ont, le problème de fournir d’énergie électrique se pose ou encore la lutte quotidienne pour la survie ne laisse pas assez de place).

Le contact direct consistera à la présentation physique du bulletin de vote ou de modèle semblable aux électeurs pour leur permettre de s’habituer avec le bulletin ; l’organisation des séances simulant l’opération de vote pour permettre à l’électeur d’assimiler son comportement dans le bureau de vote, notamment le retrait du bulletin, l’isoloir, l’encre indélébile ou le stylo, l’application de l’empreinte digitale ou l’utilisation du stylo dans la case appropriée, le pli du bulletin et l’introduction du bulletin du l’urne.

Ces séances simulant l’opération de vote devraient être effectuées par les électeurs eux-mêmes sous la supervision des organisateurs de séances.
En plus, chaque candidat devrait veiller à ce que son électorat voie sa photo. En sensibilisant les électeurs de cette manière, les formations politiques ou les candidats indépendants se rassurent sur la participation indépendante et efficace de leurs électeurs.

Conclusion

Le processus électoral démarré le 30/07/2006 n’était qu’en son début en République Démocratique du Congo. Après les élections législatives et présidentielles, le peuple congolais aura à élire le Président de la République au second tour, les députés provinciaux, les conseillers urbains, municipaux et locaux au suffrage direct, et les sénateurs, les gouverneurs provinciaux, les maires des villes, les bourgmestres de communes seront au suffrage indirect. Cinq élections donc attendent encore les électeurs congolais au suffrage direct.

Pour les élections futures, les électeurs congolais en général et analphabètes en particuliers sont appelés à être sensibilisés.

Car tel que nous l’avons démontré dans cette analyse, les électeurs non lettrés qui du reste constituent un électorat considérable en RDC, devraient être bien sensibilisés afin de devenir indépendants et efficaces au moment du vote. Les différents cas de nullité des bulletins de vote prévus par la loi et imputables à l’électeur, notamment le cas de bulletins portant des ratures ou des surcharges ; les bulletins portant plus d’un choix ; les bulletins portant des mentions non requises et les bulletins déchirés ont été répertoriés pendant les élections présidentielles et législatives du 30/07/2006. L’annulation de chaque bulletin était bien entendu préjudiciable au candidat pour qui la voix était destinée. Le cas de l’électeur assisté par un tiers réduisait aussi l’indépendance de ce dernier.

Ainsi pour faire de tout électeur congolais en général et analphabète en particulier, un électeur indépendant et efficace, une sensibilisation des électeurs par le schéma proposé ci haut s’avère d’une importance capitale pour les élections du 29/10/2006

*Maitre Dieu-Donné WEDI DJAMBA est Avocat au Barreau de Lubumbashi ;Activiste des droits de l’Homme ;Assistant à l’Institution Supérieur de Droit Appliqué et Ecrivain. Actuellement en Afrique du Sud/Cape Town pour le ‘Fellowship Programme’ en justice transitionnelle organisé par le Centre International pour la Justice Transitionnelle (CIJT) et l’ Institut pour la Justice et la Réconciliation (IJR) en collaboration avec L’Université de Cape Town(UCT).
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