Fin de la mission d'observation électorale de l'Union européenne en Haïti

L’Union européenne a annoncé qu’elle mettait fin à sa Mission d'observation électorale en Haïti. Cette décision inédite marque son désaccord avec l'annulation des résultats du premier tour du scrutin, et consacre l'antagonisme entre l’ensemble des acteurs haïtiens, d’une part, et les institutions internationales, d’autre part.

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UNDP Haiti

Ce mercredi 8 juin, suite à la publication du rapport de la Commission indépendante de vérification et d’évaluation électorale, l’Union européenne (UE) a annoncé mettre un terme à sa Mission d'observation électorale en Haïti. Au vu des irrégularités et des fraudes ayant entaché les élections, la Commission haïtienne a, en effet, appelé à l'annulation du premier tour présidentiel, et à la reprise du processus électoral ; décisions qui vont à l’encontre des conclusions de l’UE. Le retrait de celle-ci consacre les décalages et contradictions qui se sont manifestés, dès le début du scrutin, entre l’ensemble des acteurs haïtiens, d’une part, et les observateurs des institutions internationales, d’autre part. 

Lors des élections législatives du 9 août 2015, l’optimisme de l’UE, jugeant qu’il s’agissait d’« un pas essentiel vers une démocratie plus solide », tranchait déjà avec les critiques acerbes des organisations haïtiennes, évoquant un « fiasco électoral ». Le scrutin du 25 octobre, qui s’était, de l’avis de tous – observateurs haïtiens et internationaux –, mieux passé, aurait pu rapprocher les points de vue. Mais, très vite, vont apparaître les indices d'une fraude massive va s'imposer. Les résultats officiels, plaçant le dauphin de Michel Martelly (alors, encore président), Jovenel Moïse, en tête devant Jude Célestin, allaient être très largement rejeté, y compris par Célestin qui refusa de se présenter au second tour, et consacrer ce qui apparaissait dès lors comme une farce électorale.

Sous la pression de la rue, le second tour des présidentielles fut reporté, puis suspendu. Une Commission d'évaluation électorale indépendante (CEE I), nommée par le gouvernement, conclut que « les élections du 25 octobre étaient entachées d'irrégularités » et émit une série de recommandations... qui ne furent pas suivies. Finalement, un gouvernement provisoire, avec un nouveau calendrier électoral, fut mis en place. Dès lors, s'opposèrent, d'un côté, le clan Martelly et les institutions internationales, qui voulaient poursuivre au plus vite le processus électoral tel quel, et, de l'autre, la majorité de la population haïtienne, qui exigeait que ces élections fassent l'objet d'une vérification indépendante.

Jusqu’au bout, l’UE aura soutenu la validité et la légitimité des élections, de ses résultats et du Conseil électoral provisoire (CEP), en charge de son organisation. Si elle reconnaissait des failles et des irrégularités, celles-ci n'étaient pas de nature à remettre en cause le processus électoral. Difficile dès lors de ne pas voir dans sa décision de clôturer sa mission d'observation, une sanction. Comment expliquer un tel décalage ? Au-delà des possibles divergences méthodologiques et  techniques, ce qui est en jeu, c'est le regard clivé de l’UE.

L'observation de l'UE s’est cantonnée à un niveau toujours plus formel, coupé d’un contexte pourtant surdéterminant : des élections retardées de 4 ans ; une réforme pour réduire à 20 le nombre de membres nécessaires pour former un parti politique ; un faible taux de participation (autour de 20%) ; un CEP dépendant... Avec son regard fixé sur la gouvernance et sur les procédures, vidées de tout contenu, l’UE aurait été prête à valider un second tour présidentiel avec un seul candidat et 10% de participation !

La neutralité même de l’UE est problématique dans la mesure où elle a largement contribué au financement de ces élections, et a soutenu Martelly durant tout son mandat. Reconnaître le fiasco des élections ne revenait-il pas à admettre son propre échec ? En raison et à la mesure de l’appui apporté au gouvernement pour poursuivre le scrutin, elle se décrédibilisait. La classe politique haïtienne manque certes de crédibilité. Ce n’est pas pour autant que l’UE soit (plus) légitime. Et, de toute façon, les Haïtiens et Haïtiennes ne demandent pas d'échanger leur problème avec la classe politique contre la « solution » que représenterait l’UE.

L'UE a ainsi reproduit le regard colonial du Nord sur le Sud, avec, d’un côté, les garants de la démocratie et des droits humains, et, de l’autre, les incapables et les corrompus, qu’il faut élever – fut-ce en les bousculant – à la hauteur des règles démocratiques. Jamais l’UE n’a remis en question ce regard et son évaluation, quand bien même elles étaient contredites par le travail des organisations haïtiennes ; travail qu'elle n'a eu de cesse de rabaisser.

Ce regard porte la marque de la politique néolibérale adoptée par l’UE. Si les irrégularités et les fraudes ont été systématiquement sous-estimées, c’est aussi que la voix du peuple ne pèse guère face à la nécessité d’une stabilité macro-économique, à même de garantir une stratégie de développement qui, elle, n'a pas à être remise en question, et est censée constituer la clé à tous les problèmes du pays.

Mais, au bout du compte, la fin de la Mission d’observation électorale de l’UE est une belle opportunité. Elle peut permettre aux Haïtiens de se réapproprier la machine politique, de renforcer leurs institutions, et de réinventer un espace public de débats et d’échanges. Bref, de faire ce que la « communauté » internationale prétendait réaliser, et qu’elle n’a pas fait ni ne peut faire, car, en réalité, seuls les Haïtiens et Haïtiennes ont la clé aux problèmes de Haïti.

 

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** Frédéric Thomas est Politologue, chargé d’étude au Centre tricontinental (www.cetri.be) – auteur de L'échec humanitaire. Le cas haïtien, Bruxelles, Couleur Livres, 2012.   

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