Madagascar : L’effet Ravalomanana à retardement
L’opinion des chancelleries et des institutions internationales est déjà faite. Ce que la communauté internationale attendait, c’est de pouvoir constater qu’aucun des prédateurs de la Transition ne soit au nouveau gouvernement. Désormais, ce sont autant de projets qui vont maintenant pouvoir être mis en œuvre. Mais le gouvernement ne promet pas de miracle.
Les médias internationaux n’ont pas souvent fait une grande place à la crise malgache. Quand ils le firent, ils ne trouvèrent pas les bons analystes qui, dégagés du discours colonial, auraient été intimement au courant de la situation malgache et auraient bien connu les différents acteurs du monde politique et économique de la capitale, ainsi que les associations et regroupements informels qui préparaient un avenir autre que celui que promettait la transition hâtive.
C’est ainsi que France 24 fit appel à l’analyse de Jean-Louis Vivier le 18 janvier, le jour où la Cour électorale spéciale proclama les résultats de l’élection présidentielle. Cet avocat avait l’avantage d’avoir commis un livre « Madagascar, une île à la dérive » que personne n’a lu à Antananarivo. C’est sans doute son éditeur qui l’a signalé à France 24 pour en faire la promotion. D’expérience, on sait qu’avoir publié un ouvrage est, pour beaucoup de télévisions, une référence incontournable. C’était la seule référence de cet avocat qui ne peut se targuer d’être un chercheur du Cnrs ni d’être associé à l’un ou l’autre des instituts de recherche en relations internationales.
Or que pense cet illustre inconnu ? « Paradoxalement, ce nouveau président venant des Hauts-Plateaux a été bien élu dans les régions côtières […]. Être un Merina qui a bénéficié du vote côtier constitue un avantage, car il peut se poser en rassembleur ».
On voit tout de suite l’ignorance de cet « expert ». Hery Rajaonarimampianina n’est pas le premier Merina à avoir bénéficié du vote « côtier ». Déjà en 1972, cela avait été le cas du Général Gabriel Ramanantsoa lors d’un référendum et, en 2001, celui de Marc Ravalomanana dans l’élection présidentielle. Vivier reste persuadé de la vérité de la « doxa » néocoloniale selon laquelle le vote malgache est ethnique ou tribal et qu’aucun « côtier » ne saurait voter pour un Merina.
Dans le cas de Hery Rajaonarimampianina, l’avocat aurait déjà dû, s’il l’avait su, se demander pourquoi ce dernier avait pu se présenter à l’élection et pourquoi le « côtier » Roger Kolo, candidat invalidé par la Cour électorale spéciale, lui avait transmis le flambeau. Hery, dit l’avocat, « peut se poser en rassembleur ». Dans son esprit et toujours selon la doxa coloniale, il comprend qu’il peut se poser en rassembleur des différentes ethnies, alors que Hery, pour qui il n’y a pas une pluralité d’ethnies, veut rassembler tous les Malgaches qui, pour défendre le bien public et commun, sont pour un Etat de droit. Ce n’est pas que le pays soit « traversé par de vives tensions internes », c’est le petit monde des politiciens qui souffre de cette maladie.
L’avocat se fait juge des capacités du nouveau président. « Hery a une formation d’expert-comptable et fut ministre des Finances, mais économie et finances sont deux choses différentes », estime Jean-Louis Vivier pour qui il y aurait eu un accord entre Andry Rajoelina et Hery Rajaonarimampianina : « Une sorte de marché à la Poutine-Medvedev ». Rajaonarimampianina serait en quelque sorte l’homme de paille du président de la Transition qui continuerait à décider de ce pays dans l’attente d’en redevenir président aux futures présidentielles, comme le lui avait formellement conseillé Laurent Fabius. L’avocat n’avait ni le don de prophétie ni le talent d’un bon analyste.
Contrairement à ce que croit cet avocat, pour Rajaonarimampianina – mais il n’est pas le seul –, économie et finances sont plus que liées entre elles. Quand il est allé à New-York, il n’a pas eu beaucoup d’efforts à faire pour convaincre Onu, Banque mondiale et Fmi, de reprendre leur collaboration avec Madagascar. L’opinion des chancelleries et des institutions internationales était déjà faite. Le prouverait aussi bien l’attitude de la France. Avec Ubifrance, des investisseurs et chefs d’entreprises français de Madagascar avaient prévu une grande rencontre à Paris avec une cinquantaine de chefs d’entreprises françaises. Quand Ubifrance apprit que Rajaonarimampianina regrettait de ne pas pouvoir y assister du fait de son agenda aux Etats-Unis, ce fut le branle-bas de combat à Paris. La réunion fut retardée et, lorsque le président de la République fit sa présentation des perspectives d’avenir de la Grande Ile, ce n’était plus 50 mais 250 chefs d’entreprises qui vinrent l’entendre et échanger avec lui.
La France n’est pas la seule. Auparavant, le Japon avait fait un don de 50 milliards d’ariary et annoncé qu’il reprenait les travaux d’agrandissement et de modernisation du port de Tamatave abandonnés depuis 2009. Quand Pékin apprit la nouvelle, la Chine décida d’envoyer son vice-ministre des Affaires étrangères pour donner 100 milliards d’ariary et, entre autres, annoncer que la Chine s’opposera à tout trafic de bois de rose et qu’elle ne protégerait pas les trafiquants chinois qui auraient maille à partir avec la justice malgache.
Ce que la communauté internationale attendait, c’est de pouvoir constater qu’aucun des prédateurs de la Transition ne soit au nouveau gouvernement. Le soir même où le gouvernement fut annoncé – ce fut le vendredi 18 avril, les Etats-Unis furent les premiers à téléphoner pour féliciter Roger Kolo. A Antananarivo, la communauté internationale avait déjà fait ses comptes : elle peut débloquer et virer trois milliards de dollars avant décembre 2014.
Mais il y a plus. C’est, à retardement, la reprise de l’effet Ravalomanana. On sait bien aujourd’hui que ce sont les bailleurs de fonds qui, en 2008, ont provoqué la crise en donnant en pâture aux médias leurs critiques du financement du Boeing présidentiel. En 2008 aussi, devant les succès économiques de la politique gouvernementale, beaucoup d’investisseurs avaient commencé à préparer l’étude de grands investissements ne faisant pas appel à l’argent public. La crise ne les arrêta pas dans ces travaux préparatoires. Et lorsqu’ils en présentèrent certains à la Transition, ils n’obtinrent pas de réponse : les hâtifs, du plus grand aux plus petits, attendaient le prix de leurs signatures. Il se trouve que nombre de ces investisseurs refusèrent de se soumettre à ce chantage.
Les Hâtifs de la Transition voulaient, au passage et vite fait, prendre un gros pourcentage et ne se souciaient pas de chercher à donner du travail et des emplois aux chômeurs qu’ils avaient réunis Place du 13 mai en 2009 avant de les envoyer au martyre à Ambohitsorohitra.
Ce sont autant de projets qui vont maintenant pouvoir être mis en œuvre.
On sait qu’il ne peut y avoir de développement sans énergie. L’un de ces projets vise, avec des sources d’énergie renouvelable, à donner de l’électricité à 6 ou 7 millions de Malgaches qui n’ont jamais vu de pylônes dans leurs régions. Un projet annexe voudrait remettre en ordre et en état de fonctionner tout le système de Nosy-Be. Pour ce dernier, les études faites ont déjà coûté 1 million 500 000 dollars.
Un nouveau projet minier prévoit un investissement supérieur à celui qu’a nécessité Ambatovy qui, de son temps, fut le plus grand investissement fait dans le monde.
Avec des bretelles vers Brickaville, Moramanga et Ambatondrazaka, le projet d’une autoroute à péage, de Toamasina à la capitale, raccourcirait le trajet de 330km à 290 km. La nationale actuelle serait interdite aux gros camions transportant des conteneurs. On réentendra la critique qui fut faite aux routes de Ravalomanana : elles ne donneraient pas à manger au peuple. Il faudra compter combien d’ouvriers et de techniciens le projet mobilisera pour être réalisé. Il faudra en estimer tous les effets collatéraux.
Le gouvernement ne promet pas de miracle. Pour le moment, il doit aussi continuer à faire le grand ménage dans le trafic de bois de rose que certains voudraient pérenniser à coup de milliards de Fmg d’argent sale. Et de dépoussiérer tous les meubles de l’administration pour pouvoir afficher que les grands chantiers seront exempts de toute corruption. Les impatients devront encore attendre. Ils attendaient les élections, elles vinrent. Ils peinèrent à attendre la nomination du Premier ministre, il y en a un. Les mêmes impatients vont croire qu’il suffit de faire appel à la bonne fée et à sa baguette magique…
Les critiques ne vont pas manquer de pleuvoir. Espérons que ce cyclone ne dure pas 365 jours cette année. Ce ne peut être plus, l’année 2014 n’étant pas bissextile.
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** Jean pierre Domenichini, historien et anthropologue, membre titulaire de l'Académie malgache
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