L’Algérie et les Printemps arabes
La guerre fratricide en Algérie a divisé les démocrates, sérieusement endommagé la société civile et laissé un vide politique face aux partis dirigeants. Il n’y a presque pas d’opposition pourvue d’une véritable base qui puisse faire progresser les exigences de la population.
Il y a un an, des vagues de soulèvements au Moyen Orient et en Afrique du Nord ont balayé, les unes après les autres, les tyrans soutenus par l’Occident. D’abord Ben Ali de Tunisie, suivi de Moubarak en Egypte. Il semblait que la liste des dictateurs déchus devait s’allonger encore et encore. Ces soulèvements étaient des évènements historiques inoubliables et l’expérience de l’émancipation a été contagieuse au point que des populations dans le monde entier s’en sont inspirées. Ceux participant aux mouvements de Occupy Wall Street ou Londres étaient fiers de "marcher comme un Egyptien".
Ces révoltes ont eu des échos dans d’autres pays parce que les détonateurs étaient les mêmes : autoritarisme, développement inégalitaire, niveau élevé de chômage, pauvreté, corruption endémique et népotisme, une jeunesse bien formée frustrée et sans perspective d’avenir, une vie politique étouffée, la répression, les violations des droits humains, une bourgeoisie parasitaire qui poursuit son pillage, l’exploitation et l’acquisition de richesse
Les populations de la région ont longtemps été victimes de stéréotypes racistes et de clichés méprisants du genre "les Arabes et les Musulmans ne sont pas aptes à la démocratie et incapables de se gouverner eux-mêmes"
Le Printemps arabe a détruit ces stéréotypes et tordu le cou à ces mythes. Le vent de la révolution a soufflé de la Tunisie à l’Egypte, la Libye, la Syrie, le Yémen, Bahreïn, la Jordanie, le Maroc et Oman. L’Algérie, à l’avant-garde dans les années 1960 avec son héroïque guerre révolutionnaire contre la France coloniale, paradoxalement, semble préservée de ces aspirations. Les médias occidentaux ont dépeint l’Algérie comme étant en marge du Printemps arabe, comme étant une exception. Ceci bien sûr est une illusion optique.
Bien que n’étant pas sous les feux de la rampe, le pays a néanmoins vu en 2010 et 2011, un nombre sans précédent de manifestations, de confrontations avec la police. Pour la seule année 2010, les autorités ont compté 11 500 émeutes, manifestations publiques et de rassemblements dans tout le pays. L’année 2011 a commencé avec l’application de mesures fiscales introduites par le gouvernement afin de contrer l’économie informelle. Celles-ci ont eu de graves conséquences pour la vie déjà difficile de la population comme, par exemple, une augmentation substantielle des prix des denrées alimentaires de base (sucre + 30%). Pour les réseaux qui contrôlaient le marché informel cela signifiait des pertes financières considérables.
Dans plusieurs villes, les réactions se sont cristallisées en des émeutes violentes entre le 4 et le 10 janvier, Celles-ci ont bien entendu été contenues par des forces de police en nombre excessif. "Alger la blanche" est devenue "Alger la bleue"en référence aux uniformes des policiers qui ont réussi à supprimer toutes les marches et manifestations organisées par les partis politiques et par des représentants de la société civile la semaine suivante.
Ce qui précède indique que l’Algérie n’a pas été épargnée par le vent de la révolution et à l’instar des citoyens d’autres pays arabes, les Algériens ont exprimé les mêmes aspirations à la liberté et à la dignité. La rapidité avec laquelle le feu de la révolte s’est étendu - grâce à Al Jazeera - a donné l’illusion que les changements prendraient place du jour au lendemain et les régimes tomberaient les uns après les autres comme des châteaux de cartes. Cela ne s’est pas produit.
Pourquoi l’Algérie ne marche-t-elle pas sur les traces de l’Egypte et de la Tunisie quand ces pays ont destitué leur dictateur ? Une expérience révolutionnaire, selon le scénario de l’Egypte et de la Tunisie, sera très difficile à reproduire en Algérie mais ceci ne signifie pas que l’Algérie est immune ou à l’abri du vent de changement.
POURQUOI UNE TELLE TACHE EST DIFFICILE A MENER A BIEN ?
En Algérie, le despotisme est collégial. Il est partagé et non concentré dans les mains d’une seule personne ou famille sur laquelle projeter sa haine et ses rancunes. Une dictature diffuse comme celle en Algérie est plus difficile à déloger que celle qui offre une cible précise aux ressentiments populaires comme ce fût le cas du Shah d’Iran, Suharto en Indonésie ou Ben Ali en Tunisie, pour ne mentionner que ceux-là. Les coalitions oligarchiques ont une base plus large qu’une dictature personnalisée, ce qui les rend moins fragiles. Elles sont aussi plus résistantes parce qu’elles ont dévolu un certain pouvoir à la population, en particulier aux grands réseaux complexes.
A quoi s’ajoute les rentes pétrolières qui ont contribué de façon significatives à la longévité du régime et à la stabilité, en apaisant la population et en retardant la radicalisation de la colère populaire, en particulier lors de la récente redistribution des pétrodollars à la Bouteflika.
La classe dirigeante algérienne aime à répéter que l’Algérie a eu sa révolution démocratique en octobre 1988, lorsque le régime a été contraint, après des semaines d’émeute, de s’ouvrir au pluralisme politique et de permettre une presse indépendante. Ces gains de libertés civiles ont été dilués et la transition démocratique s’est perdue dans la guerre civile des années 1990 qui a laissé le pays blessé, traumatisé et moins disposé à se soulever contre un régime qui a triomphé de l’islam radical au prix de centaines de milliers de morts.
Cette guerre fratricide a divisé les démocrates, sérieusement endommagé la société civile et laissé un vide politique face aux partis au pouvoir. Il n’y a presque pas d’opposition pourvue d’une véritable base qui peut faire progresser les exigences de la population.
Le spectre de la guerre civile et la peur de violences sanglantes ont été exacerbés par le drame libyen et les évènements récents au Yémen et en Syrie. L’intervention en Libye était une guerre pour le changement de régime et a été perçue comme un complot impérialiste dans l’esprit des Algériens, faisant ressurgir les sentiments anti-colonialistes. De nombreux amis et membres de ma famille m’ont dit : "L’Algérie va bien. Nous ne voulons pas suivre le chemin du désastre libyen et nous ne voulons pas d’un retour de la France que nous avons expulsée en 1962."
QUE FAIRE POUR PARVENIR A UN AUTHENTIQUE CHANGEMENT DEMOCRATIQUE ?
La somme de mécontentement social, comme nous l’avons connu l’année précédente, semble insuffisante pour menacer un régime qui a toujours écrasé les révoltes dans le sang. Il y a une urgence criante pour qu’une authentique opposition politique se revitalise et politise les demandes légitimes d’une population qui pour l’instant ne s’exprime que de manière confuse
Certains disent que le changement démocratique viendra d’en haut, c'est-à-dire de la citadelle du régime. Mais aussi longtemps que les masses n’exerceront pas une pression depuis le bas, ne lutte pas radicalement pour changer le statu quo, celui-ci restera ce qu’il est et les intérêts de la caste des profiteurs demeureront inchangés.
Cette année, l’Algérie célèbrera le cinquantenaire d’une indépendance contrariée, un anniversaire témoin des tromperies et déceptions qui ont suivi, une célébration teintée d’amertume alors que les Algériens se sentent trompés sur les fruits de l’indépendance et comprennent que le pouvoir corrompu a trahi la révolution.. Il est temps pour les Algériens en Algérie et ceux de la diaspora de revitaliser la ferveur révolutionnaire admirée par le monde entier, afin de renouveler notre lutte pour une véritable libération et des changements démocratiques conséquents et de construire une société civile démocratique et un mouvement de masse puissant contre l’autoritarisme et toute forme d’oppression et d’injustice.
Dans cet esprit, quelques amis algériens et moi-même, inspirés par les évènements historiques du Printemps arabe, avons fondé une organisation basée à Londres, Algeria Solidarity Campaign, qui fait campagne pour des changements démocratiques pacifiques et le respect des droits humains en Algérie. Nous nous efforçons de construire une tribune pour les débats et les échanges d’idées concernant les défis auxquels le peuple algérien doit faire face.
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** Hamza Hamouchene est militant et membre de l’Algerian Solidarity Campaign basé à Londres
Cet article a d’abord été publié dans Opendemocracy. Il a été traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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