L’Afrique doit s’unir, mais derrière qui ?

cc W E FAlors que cinquante-quatre dirigeants africains doivent tenter à nouveau d’élire un président de la Commission de l’Union africaine avec le prochain de l’UA en juillet, n’est-il pas temps que les Africains aient leurs mots à dire plutôt que de subir l’influence d’intérêts extérieurs ?

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F C O

En juillet, l’heure sera de nouveau venue pour une élection dans toute l’Afrique, avec le 19ème sommet de l’Union africaine qui doit se tenir entre le 15 et 16 juillet 2012 à Lilongwe au Malawi, au cours duquel la Commission de l’Union africaine (CUA) devra décider qui la dirigera pour les quatre prochaines années. Chose intéressante, à moins d’un mois de la conférence, le comité ad hoc des 8, établi afin de soumettre des candidats aux cinquante quatre membres de l’Assemblée, se sont rencontrés pour la première fois le 17 mars 2012 et de nouveau le 14 mai 2012 à Cotonou au Bénin, sans produire de résultat. Plus intéressant encore, le comité ad hoc prévoit une réunion finale à la veille de l’élection, par l’Union africaine, des candidats à la présidence de la Commission, laissant ainsi moins de douze heures aux électeurs pour faire leur choix du prochain président.

Le mandat de quatre ans de Jean Ping, communément appelé "l’ère de la diplomatie de l’Union africaine", est arrivé à son terme en janvier 2012. Souhaitant obtenir un deuxième mandat pour conduire l’Union africaine, il est entré en compétition féroce avec Nkosazana Dlaminini-Zuma sans qu’un vainqueur émerge clairement. Après avoir répété l’épreuve trois fois de suite, Jean Ping s’est retrouvé seul, son rival ayant renoncé. Néanmoins, le président de la Commission de l’Union africaine n’a réussi à obtenir que 32 voix, quatre de moins que les 36 requises pour un nouveau mandat de 4 ans. La première réaction de l’Assemblée de l’UA a été de nommer le vice-président de la Commission de l’UA, Erastus Mwendcha, comme président intérimaire de l’UA pour une période de 6 mois, jusqu’à la prochaine élection. Mais finalement, cette décision a été annulée et le président sortant a été reconduit pour la période intérimaire.

A la différence d’autres élections, l’absence de choix du président de la CUA le 31 janvier 2012, parmi les deux candidats, Ping et Nkosozana, a démontré l’importance de la fonction considérée dans les affaires de l’Union africaine. En fait, la présidence de la CUA confère à une personne la fonction suprême la plus importante de toutes les institutions de l’Union africaine. Ceci est différent de tout ce que nous avons connu au cours des 49 dernières années de l’histoire de l’Union.

Les récentes élections prouvent qu’avec quelques modifications minimes afin d’élargir la participation et les procédures pour l’élection à ce poste suprême, la présidence de la CUA peut facilement acquérir un statut équivalent à celui du président américain ou chinois ou tout au moins indien. Ceci nous épargnera l’humiliation de voir l’Union africaine divisée par des dirigeants d’Etats membres comme c’est le cas avec le prof. Atta Mills du Ghana, Boni Yayi du Bénin et de Meles Zenawi d’Ethiopie qui se précipitent aux Etats-Unis, à l’appel de Barack Obama, apparemment pour participer au sommet du G8. Bien sûr cette tradition avait été le privilège de Goodluck Jonathan du Nigeria et de Jacob Zuma d’Afrique du Sud, jusqu’à ce qu’ils tombent en disgrâce.

Mais qu’est-ce que les gens peuvent attendre d’une personne qui n’est contrôlée par personne, du fait que nous ne nous sommes pas unis derrière l’un d’entre eux au niveau continental en dépit du désespoir qui prévaut dans toute l’Afrique en l’absence de leadership ? Avons-nous donné le pouvoir à quelqu’un pour qu’il discipline ceux qui défient les normes de l’Union africaine ? Pourquoi ces intérêts conduisent-ils à une bataille féroce, dans un sursaut soudain d’intérêt dans la personne nommée à la présidence de la CUA ? Pourquoi maintenant et pourquoi ce poste précis ? Peut-on dire qu’il s’agit là d’un désaccord normal qui a traditionnellement caractérisé le processus de décision des 54 membres de l’Assemblée de l’Union africaine ou s’agit-il de plus que cela? Assisterait-on à une résurgescence de la Guerre Froide entre les intérêts européens et américains contre ceux du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) sur le continent africain ?

Maintenant que des puissances extérieures combattent vicieusement pour que leurs intérêts se reflètent dans la nomination du président de la CUA, dans quelle mesure les intérêts du citoyen ordinaire des 54 pays membres sont-ils représentés ? Cette élection offre-t-elle la moindre place à l’homme ou à la femme de la rue au sein des Etats membres de l’Union africaine ?

L’élection de janvier et celle à venir du mois de juillet nécessitent l’attention des citoyens ordinaires du continent africain et du monde en général, pour savoir qui dirige l’Union africaine. Ces deux élections appelés à désigner le représentant de l’Union pour une période de quatre ans, soulèvent beaucoup de questions et, pire encore, à un moment où le continent est mis sous pression par les réalités qui l’entourent. Ceci explique notre consensus sur l’absence de leadership comme un problème pour l’Afrique.

Dans le monde d’aujourd’hui, les intérêts européens et américains n’existent pas seulement sur le continent africain mais sont ressentis par tous, quelles que soient leur race ou leur croyance. Les dernières élections à la CUA - comme ce fût le cas sans que nous y fissions attention - ont clairement exposé les manœuvres des Européens et des Américains pour promouvoir ceux qu’ils pensaient le mieux servir leurs intérêts au sein de l’Union africaine. On apprend même, dans le rapport d’Addis Ababa, la présence d’individus qui font spécifiquement référence aux Français, recevant des ordres de Nicolas Sarkozy et de la Commission européenne à Bruxelles, faisant la navette parmi l’électorat pour s’assurer que leurs candidats favoris s’arrogent la plus haute position africaine. Ainsi, avec 25 des Etats membres étant d’anciennes colonies françaises et compte tenu de la forte influence de la France dans celles-ci, on ne peut que s’étonner du du fait que Jean Ping n’a pas réussi à obtenir une majorité simple pour être élu.

L’anomalie de l’élection de janvier à la tête de la Commission de l’Union africaine est en effet un signe manifeste de la présence du pouvoir et de l’influence des pays du BRICS sur cet organe du continent. Il faut se souvenir qu’au cours de cette même période la Chine s’est fendue d’un somptueux cadeau de 200 millions de dollars à travers la construction du quartier général de l’Union. Il est également important de se souvenir que l’Afrique du Sud est un membre des BRICS. Nkosazana dirigeant la Commission de l’Union africaine, signifie que le citoyens d’un pays des BRICS est aussi à la tête de la CUA et possède un moyen pour promouvoir les intérêts des BRICS en Afrique. On blâme ces pays pour la promotion de leurs intérêts au travers de Nkosazana et de l’Afrique du Sud, sans que personne ne s’offusque des tendances de Jean Ping à promouvoir les intérêts français et européens en sa qualité de citoyen du Gabon.

Nous sommes tous nés avec le slogan "l’Afrique doit s’unir", ce qui a conduit à la création, en 1963, de l’Organisation de l’unité africaine (OUA). La plupart d’entre nous sommes conscients que l’unique raison de la formation de cet organe continental, et maintenant de l’Union africaine, a été d’offrir un front plus uni en lieu et place des Etats membres relativement plus faibles, afin de faire progresser les meilleures intérêts des peuples. En 1963, le consensus parmi les pères fondateurs était que l’Afrique décimée, au passé douloureux, requiert un nouveau futur pour sa population, sous la bannière de l’Union. En résumé, l’objectif de l’Union est de canaliser l’environnement naturellement compétitif qui monte les Etats les uns contre les autres pour le bénéfice d’intérêts extérieurs.

La meilleure façon d’exprimer les intérêts africains consiste à adopter la vision de l’Union qui dit : "Une Afrique intégrée, prospère et pacifique, conduite par ses propres citoyens et représentant une force dynamique dans l’arène globale". En termes plus simples, l’objectif de l’Union africaine est de créer une Afrique industrialisée par ses propres citoyens comme solution à son sous-développement, son insécurité, ses famines, ses guerres, son chômage et fondamentalement exportatrice de matière brute avec peu ou pas de valeur ajoutée. En d’autres termes, la création d’industries par les Africains sur le continent africain, capables de produire toutes les machines imaginables comme provision de sécurité pour sa population dans notre rêve commun. La construction de voitures blindées, de voitures, de trains, de barrages hydro-électriques, de machines de forages pétroliers pour les explorations sur terre et offshore, des produits pharmaceutiques et des intrants agricoles, des avions et des navires, des vaisseaux spatiaux et les aventures nucléaires forment le rêve de l’Union africaine. Bref. Les limites de l’Afrique dans l’Union africaine seront l’imagination conquise.

Aussi grands et louable que soient nos rêves, nous ne savions guère que nos intérêts étaient naturellement en conflit avec ceux de non Africains qui défendent leurs intérêts à notre détriment.

La grande question, dès lors, est de savoir qui doit diriger l’Union africaine et prendre soin de nos intérêts communs si ces intérêts sont en conflit avec ceux des Africains ? Si cette personne est le président de la CUA, alors que peut-il si la population des Etats membres de l’Union ne le suit pas pour réaliser la vision de l’Union ? Comment les 986 millions de personnes qui constituent la population des Etats membres peuvent soutenir le vainqueur lors des élections si, à moins de deux mois des élections, ni les chefs d’Etats des pays membres ni les citoyens ne savent qui va se présenter pour réaliser cette vision commune ? Comment en effet la grande vision de l’Union précédemment décrite peut-elle être réalisée pour la population de l’Union si cette population n’est pas unie derrière le chef administratif de l’Union ?

L’évidente réalité est que la vie des citoyens de tous les 54 Etats membres et de leur chef respectif reste le désespoir, l’incapacité à résoudre leurs problèmes de développement tous seuls. La vie des citoyens est aussi bonne qu’elle l’était sous la colonie, avec des dirigeants toujours sous influence coloniale quant à la façon de gérer leurs citoyens et leurs économies. Bien sûr qu’il y a eu un changement dans la garde des colonies, mais ils soutiennent toujours les intérêts dominants des maîtres coloniaux, avec la collaboration de la puissance américaine, sous le déguisement de "communauté internationale".

Donc, compte tenu de l’appel pour l’unité africaine à tous les citoyens des Etats membres, et pas seulement ses dirigeants, le bon sens veut que les Africains s’unissent derrière quelqu’un, en l’occurrence le président de la CUA, afin de faire progresser la cause des intérêts de l’Afrique tels qu’exprimés dans la vision pour l’Afrique.

En faisant la promotion des intérêts industriels des Etats-Unis au détriment des intérêts africains, le président de l’Union apparaît comme une personne qui a vendu sa vision de l’intérêt commun alors qu’il est élu pour la défendre. Cette personne travaille alors avec les 27 pays européens développés qui luttent pour établir un marché commun en faisant la promotion de leurs intérêts au détriment des citoyens de l’Union, au travers d’un président qui a obtenu son poste grâce aux Européens et aux Américains. Compte tenu de ce que les Russes, les Brésiliens, les Chinois et les Indiens font de même au travers de l’Afrique du Sud, aussi vulnérable que les 54 autres Etats membres, l’appel pour permettre une participation directe de la majorité de notre population à l’élection du président derrière lequel il est attendu que nous nous unissions, devient très important.

Nous tous membres de l’Union cheminons vers l’inconnu et ce cheminement doit se faire derrière un dirigeant au-dessus de tout soupçon, sans ambiguïté, si l’on veut éviter que cette marche ne se termine de manière plus compliquée que prévu. Pour que chacun d’entre nous comprenne où il va et pourquoi il y va, la démocratie demande que chacun d’entre nous sache qui nous conduit.

L’élection nous a fourni l’occasion de découvrir ce qui est caché à la majorité de notre population qui est la ressource vitale et l’énergie nécessaire pour l’actualisation de ce cheminement qui dure depuis 49 ans. Les moutons sont conduits en faisant le choix du berger qu’ils vont suivre. Le continent africain est peuplé d’humains. Si nous devons suivre quelqu’un sous la bannière de l’Union africaine, comme un peuple uni, le jour du 25 mai 2012, journée de l’Union africaine, doit être utilisée pour faire savoir clairement à celui que nous considérons comme responsable, qu’il y a plus de 54 peuples dans l’Union qui doivent participer à l’élection du président de la Commission de l’Union africaine.

Bien sûr que l’Afrique doit s’unir afin que nous puissions faire progresser nos intérêts collectifs et continentaux de manière plus organisée, mais comment pouvons-nous réussir dans cette noble tâche si nous ne savons pas derrière qui nous unir ? "Si Mahomet ne va pas à la montagne, la montagne va à Mahomet". Nombreux sont nos frères et sœurs panafricains qui aiment lever les bras au ciel, désespérés et disent : "L’Union africaine doit descendre vers la population et l’informer de ses droits dans l’Union". Notre population ne pourra jamais participer aux élections du président du CUA sans luttes. On nous a nié le droit de voter pour l’élection du président de le la CUA de notre choix afin qu’il nous conduise vers la Terre Promise. Certains auteurs ont parlé de la main invisible des intérêts extérieurs. Il s’en suit que nous devons ériger en droit la participation à l’élection du président de la Commission de l’Union africaine.

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** Kofi Ali Abdul Yekin* est le coordinateur/président de l’Action Group of Africa (AGA) (www.aga4fed.com Skype : kofialiabdul1) – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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