Y a-t-il eu un vote ethnique lors du scrutin du 26 février ?

C’est un des monstres de la politique en Afrique. On le pensait exorcisé au Sénégal, il a surgi dans la férocité de la campagne pour la présidentielle. L’ethnicisme dans la politique est ainsi devenue un débat dans ce pays où, avec l’ampleur du brassage ethnique et linguistique, d’aucuns pensent abusif de l’évoquer.

Lors de la campagne électorale, Abdoulaye Wade, en meeting à Matam, avait indiqué que le candidat de la coalition Macky 2012 exhortait ses parents Haal Pulaar à voter pour lui ; l’accusant d’ethnicisme. « Si j’avais demandé aux wolofs de voter pour moi, uniquement pour moi et que les Diolas en fassent de même, où est-ce que cela nous mènerait ? C’est irresponsable. Ce genre de discours ethiniciste ne doit pas passer car pour gagner une présidentielle, il faut avoir un programme », avait indiqué le chef de l’Etat.

Faisant écho à ces propos et voulant expliquer sa défaite et celle de sa coalition FAL (Front pour l’alternance) 2012 dans la grande banlieue dakaroise le ministre de la Solidarité, Mme Aminata Lo Dieng, invoqua elle aussi le vote ethnique accusant Macky Sall d’avoir bénéficié du vote ethnique Haal Pulaar. Hier, c’était le tour de Penda Mbow porte parole de la coalition Benno Siggil Senegal d’emprunter la même rengaine : «Qu’on le veuille ou non Macky Sall a bénéficié du vote identitaire »

Ces propos aux relents ethnicistes dénotent d’une profonde méconnaissance des réalités historiques et sociologiques du Sénégal, ou le combat politique a toujours transcendé le fait ethnique a.

Durant des siècles au Sénégal, le parti maraboutique opposé aux pouvoir « ceddo » (pouvoir traditionnel) lié à la traite atlantique était composé aussi bien de « cerno » foutankés (marabouts originaires du Fouta) que de « serigne » wolof (marabouts originaires du pays wolof). A la fin du XVIIIeme siècle, l’almamy Abdou Khadr Kane avait comme alliés principaux les marabouts wolofs du Ndiambour dirigés par Malamine Sarr, lors de la guerre qui l’opposa au damel (roi) Amary Ngoné Ndella Fall.

Notons aussi que c’est à l’université islamique de Pire, au cœur du Cayor, que pendant des siècles toute cette classe maraboutique d’origine ethnique diverse fit ses études. Les musulmans sénégalais ont toujours suivi les enseignements de leurs marabouts d’origine hal pular portant des patronymes comme Lo, Dia, Mbacké, Wéllé, Bâ, Sy et Bousso. Cheikh Amadou Bamba Mbacké et El Hadj Malick Sy, fondateurs des deux plus grandes confréries du Sénégal, sont tous le deux d’origine hal pular des villages du Fouta de Soueima et de Golléré.

En superposant la carte ethnique du Sénégal avec les résultats du scrutin du 26 février, on voit bien que les suffrages accordés aux candidats Abdoulaye Wade et Macky Sall ne correspondent point à un vote identitaire comme en Guinée où, lors des dernières élections présidentielles, le candidat peulh Celou Diallo a obtenu 90% des suffrages au Fouta Djalon et seulement 10% en pays mandingue où, par contre, le professeur Alpha Condé a recueilli plus de 90 %. Au Sénégal on est loin de ce vote guinéen qui n’a fait qu’épouser les clivages ethniques entre peuls et mandingues.

Pour preuve, le candidat Wade est arrivé en tête dans les départements de Kolda, une région à majorité Peulh, à Médina Yoro Foula, Ranérou et Vélingara. Abdoulaye Wade occupe aussi la première place dans le département de Podor avec 32 229 voix contre 30 906 voix pour Macky Sall arrivé en deuxième position. Dans tous les pays du monde, tous les candidats sont d’office vainqueur dans leurs fiefs, leurs terroirs d’origine : Bush dans le Texas, Mit Romney en pays mormon, Chirac en Corrèze. Certes, Macky Sall a gagné dans la région de Matam, mais autant on ne parlera pas de vote saloum saloum pour Moustapha Niasse à Nioro, ni de vote sérère pour Tanor dans le département de Mbour.

Mais parler de vote identitaire c’est méconnaitre, l’ampleur du brassage ethnique et linguistique au Sénégal. Il n’y a pas de frontière sociale fixe entre les groupes ethniques, parce qu’il y a eu une interaction, une interpénétration entre eux depuis des siècles. Ainsi, savoir qui est réellement wolof ou hal pular ou sérère ou diola ou mandingue est une gageure. Macky Sall est le prototype de ce Sénégalais issu de ce melting pot. Originaire de la vallée du fleuve Sénégal, plus précisément du Tekrur, actuellement Fouta, qui a toujours été peuplé de Pular, mais aussi de Wolofs, de Soninkés et de Sérères.

Ces derniers, le peuple sérère, la plus ancienne population de la vallée du Sénégal, fuyant la sécheresse mais surtout l'islamisation à l'époque de l'empire du Ghana, vers le XIe-XIIe siècle, s’installèrent définitivement dans les régions du centre-ouest du Sénégal, au sud de la région de Dakar jusqu'à la frontière gambienne où ils ont créé les deux royaumes sérères, le Sine et le Saloum. Plusieurs siècles après, Macky Sall le Hal pular a suivi le même chemin de migration, de l’axe nord est-centre ouest, que ses cousins sérères.

Y a il plus Sénégalais que cet homme pétri de pulagu, né et vivant en pays sérère et parlant la langue wolof, principal idiome véhiculaire du Sénégal, dont l’épouse sérère est la cousine à plaisanterie des diolas ? Macky Sall sera le dénominateur commun de tous les Sénégalais, le Sénégalais par excellence, car rien de ce qui est sénégalais ne lui est inconnu. Ses meilleurs scores électoraux, le candidat Macky Sall les a obtenus au niveau de l’électorat « sénégalais » détribalisé de la banlieue des départements de Dakar, de Guediewaye et de Pikine. (…)

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* Amadou Bakhaw Diaw, Responsable politique du Walo


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