Sénégal : Obasanjo ou l’échec d’un missionnaire en eaux troubles

Il était venu en observateur pour se retrouver comme médiateur. Mais en s’engageant dans cette crise politique sénégalaise à laquelle il disait vouloir apporter une solution pour la paix et la stabilité, Olusegun Obasanjo n’a fait que rendre l’imbroglio plus complexe encore. Retour donc sur quatre jours de mission qui ont déstabilisé l’opposition et la société civile sénégalaises, décrédibilisé la démarche initiée par l’UA et la CEDEAO, mais aussi offert un répit au régime de Wade alors qu’il était au plus devant la révolte populaire.

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GC Comm.

L’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo est arrivé à Dakar le mardi 21 février, à la tête d'une mission d'observation électorale conjointe UA-CEDEAO pour la présidentielle du 26 février 2012. Dès qu'il a atterri à Dakar, à la tête d'une forte délégation qui comprenait des personnalités comme l'ancien secrétaire général de l'OUA Edem Kodjo, il a déclaré être à Dakar non seulement comme observateur, mais aussi pour aider à négocier une issue acceptable à la situation de crise prévalant entre l'opposition et le Parti démocratique sénégalais (PDS) au pouvoir, en vue de mettre fin aux fréquents déchainements de violence qui ont marqué le Sénégal au cours des dernières semaines.

Beaucoup a déjà été écrit sur ces élections (notamment dans les colonnes de Pambazuka News), rappelant que parmi les treize candidats se trouve le président sortant Abdoulaye Wade, âgé de 86 ans et déjà comptable de deux mandats, ainsi que trois de ses anciens Premiers ministres (Mustapha Niasse, Idrissa Seck et Macky Sall) et son ex-ministre des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio, qui a servi dans son gouvernement pendant neuf ans. Tous les quatre se sont retrouvés dans le cadre d'une coalition d'organisations de la société civile et de partis politiques, le Mouvement du 23 juin (M23), ainsi dénommé en référence au jour où le peuple sénégalais a forcé l'Assemblée nationale à suspendre le vote d’un projet de loi visant à amender la Constitution pour introduire un ticket «président-vice président» qui pourrait être élu avec 25% seulement des suffrages exprimés.

Le noyau et la force motrice du M23 reste un mouvement de jeunes dirigés par des rappeurs et journalistes dénommé Y en a marre, créé en décembre 2010-janvier 2011, à la même époque où émergeait le «printemps arabe». Ses fondateurs entendaient protester contre les fréquentes coupures de courant, l’augmentation du coût de la vie, etc. Au cours de ses huit mois d’existence, les actions du M23 ont tendu à répliquer ce qui se passait avec le «Printemps arabe», jusqu’à la création d’une «place Tahrir» (place de la Liberté au Caire), avec des rassemblements de masse réguliers sur la place de l'Obélisque à Dakar. Ces rassemblements ont ensuite convergé vers la place de l'Indépendance, au cœur du quartier administratif et commercial de Dakar, à quelques centaines de mètres du palais présidentiel.

La course pour la présidentielle a été ainsi marquée par une violence croissante au cours des manifestations qui ont jalonné la campagne électorale, avec 12 personnes tuées au cours des quatre dernières semaines, la plupart du fait de la brutalité policière. Les points principaux de protestation, les débats et les mouvements de révolte de ces derniers semaines se sont cristallisés é notamment sur la validité d'une troisième candidature pour Abdoulaye Wade, élu une première fois à la tête d'une vaste coalition des forces d'opposition qui ont déraciné le régime du Parti socialiste en 2000, alors au pouvoir depuis 1960. Wade avait été réélu en 2007 pour un second mandat de cinq ans, suite à une modification de la Constitution. Une nouvelle Constitution qui limite le nombre de mandats présidentiels à deux. Mais pour Wade et ses partisans, le premier mandat ne comptait pas. Assertion contre laquelle le M23 et l’opposition se sont révoltés.

La campagne principale de Y en a marre, de la Coalition des partis d'opposition Benno Siggil Sénégal (Unité pour la redresser la dignité du Sénégal) et d'autres membres du M23 a été de pousser Abdoulaye Wade à renoncer à un troisième mandat. C’est le 27 janvier 2012, quand le Conseil constitutionnel a validé la candidature de 14 candidats à la présidentielle, dont celle d'Abdoulaye Wade, que la violence a commencé à monter vers son paroxysme, avec les initiatives du M23 de multiplier les rassemblements de masse et les appels à manifester pour pousser Abdoulaye Wade à respecter la Constitution et à retirer sa candidature. C'est dans ce contexte que s’est tenue la Mission d’observation UA-CEDEAO.

DE L'OBSERVATION A LA MEDIATION

Même s’il n'a pas été clairement précisé qu'il a été désigné comme un médiateur devant la crise politique aiguë que vit le Sénégal, tout le monde s’attendait à voir Obasanjo s’engager dans une médiation. De son arrivée à Dakar le 21 février, au vendredi 24 février, il a rencontré les dirigeants du M23, y compris ceux de Y en a marre, les principaux candidats à la présidence et, bien sûr, le président sortant Abdoulaye Wade. Tous les responsables du M23 et les candidats à la présidentielle lui ont réaffirmé que Wade ne pouvait briguer la présidence une troisième fois et se trouvait ainsi contraint de retirer sa candidature.

Dans les discussions, certains dirigeants M23 ont soutenu l'idée d'un report de l’élection, mais cette position n’était pas partagée par tous au sein du mouvement. Un camp dirigé par Alioune Tine, président de la Rencontre Africaine des Droits de l’Homme (RADDHO) et coordinateur du M23, par Idrissa Seck et par Ibrahima Fall (ancien professeur d’université et ancien fonctionnaire de haut niveau des Nations Unies), tous deux candidats à la présidentielle, ont plaidé pour le report de l'élection, faisant valoir que l'environnement n'était pas favorable pour un scrutin pacifique. Pour d’autres candidats comme Macky Sall (ancien président de l'Assemblée nationale sénégalaise et l'ancien Premier ministre), Moustapha Niasse (ancien Premier ministre) et Tanor Dieng (secrétaire général du Parti socialiste), un tel report ne se justifiait pas. Quant au président Wade et l'Alliance FAL qui le soutient, sa position demeurait ferme sur cette position de non report.

Après les trois jours de réunions avec les acteurs politiques, les dirigeants du M23 et de la société civile, mais aussi avec les leaders d'opinion et autres missions d'observation ainsi que des diplomates, le président Obasanjo a émis les propositions suivantes le samedi 25 février :

1. Qu’Abdoulaye Wade soit autorisé à «présider» pendant deux années supplémentaires (ce qui implique alors le report des élections) et qu’ensuite un gouvernement de transition soit formé pour organiser une élection présidentielle sans la participation de Wade ;

2. Qu'un audit du fichier électoral soit effectué par un expert indépendant choisi par l'opposition (la raison étant que des rumeurs existent, selon lesquelles le système informatique a été trafiqué afin de permettre au pouvoir de gagner les élections) ;

3. Qu’une Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) soit mise en place ; la structure actuelle ayant été érigée sans aucune implication des partis d'opposition).

Face à ces propositions, Alioune Tine, au nom de M23, est revenu vers la mi-journée du samedi avec les contre-propositions suivantes :

1. Les parties concernées (le camp de Wade et le M23) s'engagent à reporter les élections, puis à former un gouvernement de transition dirigé par Wade et chargé de préparer une élection à tenir dans six ou neuf mois à laquelle celui-ci ne devrait pas participer ;

2. Pour cette période de transition des discussions sont engagées immédiatement en vue de mettre en place un nouveau Conseil constitutionnel ou une Cour constitutionnelle indépendante ;

3. Les deux parties conviennent d'établir une Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) responsable de la préparation et de l'organisation du processus électoral dans son ensemble, en lieu et place du ministère de l'Intérieur et du ministère chargé des élections (comme c'est le cas actuellement);

4. Pendant cette période, les deux parties conviennent de nommer une personnalité «apolitique» comme ministre de l'Intérieur ;
5. Les deux parties conviennent de revoir le Code électoral.

Il reste qu’après sa rencontre avec Obasanjo, le vendredi 24 février au soir, Macky Sall, dont la coalition est un membre du M23 et qui a mené une campagne vigoureuse jusqu’à être considéré comme un concurrent sérieux pour la présidence, a déclaré qu'il n'avait pas discuté (une façon de dire qu’il n’était pas d’accord avec) les scénarios de report avancés pour l'élection, rejetant ainsi les propositions faites par Obasanjo et par Alioune Tine. Une position exprimée par plusieurs autres candidats à la présidentielle, y compris le camp de Wade.

Le samedi 25 février au soir, Obasanjo se retrouvait ainsi obligé de reconnaître, au cours d’une conférence de presse, qu’il y avait «un grand fossé» entre l'opposition et le camp au pouvoir à cause d'un manque de dialogue entre les deux parties. Curieusement, il ajoutait que la mission UA-CEDEAO ne s’était alignée sur aucun des deux camps et que sa mission principale restait de construire la paix. Reconnaissant l’existence de «rumeurs» l’accusant de d’être pour tel ou tel parti, il a invité les candidats à s’engager pour la paix et à calmer leurs partisans. « Ce qui est en jeu c’est le Sénégal et rien d'autre", lancera-t-il.

Cette conférence de presse d’Obasanjo s’est tenue dans une atmosphère particulière, marquée par la forte présence de jeunes membres du parti politique de Macky Sall, avec des pancartes sur lesquelles les slogans disant : “Tomorrow will be election here” («Demain, il y aura élection ici», “Obasanjo go home” (Obasanjo rentre chez toi », “Alioune Tine is not our leader” (Alioune Tine n'est pas notre chef). Faisant tout un raffut à l’arrière de la salle, ils criaient leurs messages en anglais. Obasanjo avait, dès lors, du mal à sortir de cette image suspecte de membre du «syndicat » des chefs d’Etat africains venu négocier la survie et l’extension du mandat d’un pair.

Plus tard dans cette journée du 25 février, veille de la présidentielle, Alioune Tine soutiendra qu’il n’avait pas concédé qu’une année de plus soit accordée à Wade au pouvoir. Mais d’autres dirigeants de la société civile tels que Mouhamadou Mbodj du Forum civil s’étaient déjà braqués contre les propositions faites par lui et par Obasanjo, les accusant de vouloir fermer les yeux sur une violation flagrante de la Constitution. Les voix des principaux dirigeants de l'opposition (Macky Sall, Mustapha Niass, Tanor Dieng, etc) viendront leur faire écho.

Il est donc clair que le M23 dont la fragilité était perceptible, a fini par se diviser en plusieurs factions, et que l'aile politique la plus significative se trouvait en total désaccord avec la partie de la société civile dirigée par Alioune Tine. Cette fragilité relevait d’un défaut structurel propre à un mouvement dont le fondement a été l'opposition à Wade, sans autre programme commun de fond pour la transformation sociale. Il était difficile de voir comment une telle coalition pouvait être maintenue à moyen et long terme. Déjà, il était difficile de d’entrevoir une logique dans la prise de décision au sein du M23, entre partis politiques et société civile.

Alioune Tine s’était-il concerté avec tous les membres du M23 avant de faire des propositions au nom du mouvement ? Car il est étonnant de constater que tous les candidats de l'opposition à la présidentielle ont rejeté les propositions du M23 telle qu'exprimée par ce dernier. Le clivage principal semble se situer entre les organisations de la société civile et les partis d'opposition traditionnels au sein du mouvement. Les lignes de fractures au sein du mouvement s’avèrent ainsi tout à fait claires.

Y en a marre semble désormais se positionner comme un nouveau mouvement social dont les slogans et les actions indiquent le début d'une transformation sociale profonde. Le mouvement n'a pas seulement mobilisé pour le respect de la Constitution (« Touche pas ma constitution »), mais aussi pour pousser les jeunes Sénégalais à s'inscrire comme électeurs et - plus intéressant – pour promouvoir un Nouveau Type de Sénégalais (NTS) vecteur de patriotisme, d'intégrité, de professionnalisme, de conscience des urgences de l’heure, de non-violence, etc.

De son côté, l'opposition sort affaiblie dans ce processus de médiation UA-CEDEAO. Avec la confusion qui a prévalu autour d'un report de la présidentielle, elle est apparue au public comme mal préparée à aller au scrutin. Une idée renforcée par le camp de Wade qui a continué à l’accuser de vouloir éviter d'aller au vote parce que consciente de sa défaite. Pourtant, même si cela n'a jamais été affirmé publiquement, des sources fiables soutiennent que le camp de Wade a envisagé des scénarios alternatifs, y compris la possibilité d’un schéma proche de quelques-unes des propositions faites par Obasanjo

Durant ces quatre jours de négociation, l’opposition a perdu un gain considérable. Il ne serait d’ailleurs pas exagéré de déclarer qu’Obasanjo a maintenu le M23 suffisamment occupé à discuter jusqu’à abandonner l'organisation des manifestations de rue qui étaient devenues une réalité quotidienne. Dès sa présence à Dakar, il a subtilement réussi à déplacer le centre de gravité des confrontations politiques de la place de l'Indépendance à son hôtel (le plus prestigieux et le plus coûteux du Sénégal) où il recevait son monde. Cela pourrait rester dans l'histoire comme une diversion merveilleuse dont a bénéficié le plus expérimenté, et peut-être la figure politique la plus brillante du Sénégal : le président Wade lui-même. Au lieu de voir la campagne électorale se terminer avec des débats sur les programmes des candidats et les offres faites en direction du peuple sénégalais, les électeurs sont allés se coucher, la veille de la présidentielle, plus confus que jamais dans leur tête.

Encore une fois, les Sénégalais se sont retrouvés floués par leurs dirigeants politiques et la société civile. Certains pourraient ajouter avec la complicité d’un certain Olusegun Obasanjo.

Amer et sans doute conscients d’avoir été dupés par Wade, les dirigeants de l’opposition se sont rabattus à la dernière minute sur les médias pour finalement reconnaître qu’ils n'ont pas réussi à empêcher Wade de participer à la présidentielle, mais aussi pour appeler à un vote massif contre sa candidature, tentant de faire comprendre qu'ils n'ont jamais plaidé pour un boycott de l'élection. Quant à Y en a marre, sa position des dernières semaines avant le vote a été d’envisager que Wade se présente et, dans ce cas, le considérer comme candidat illégitime et s'abstenir de de voter pour lui.

A la veille de cette présidentielle du 26 février, on pouvait envisager que le lendemain serait un autre jour. Un jour d'incertitudes et de surprises. En espérant pour le mieux pour le Sénégal et pour l'Afrique.

CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS


* Hawa Ba est ancienne rédactrice en chef de l’édition française de Pambazuka News. Elle dirige actuellement le Bureau Pays Sénégal ‘Open Society Initiative for West Africa (OSIWA)


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