Idéologie coloniale, mission civilisatrice et hiérarchie des cultures
Sur le terreau empoisonné du racisme qui se développe en France, le musulman a remplacé le juif. Avec des dérapages verbaux clairs ou sens entendus, la classe politique joue sur les basses pulsions d’une population française au sein de laquelle on cultive la haine de l’autre, la haine de la différence. La sortie récente du ministère de l’Intérieur Claude Guéant, évoquant une hiérarchie entre civilisations participe de l’idéologie imprégnant une classe qui ne se s’embarrasse plus de nuances
Le racisme de l’establishment politique français est un fait qui ne se discute pas. Avec l’approfondissement de la crise et la montée du désespoir, le racisme institutionnel prend aujourd’hui un tour dangereusement offensif. Malgré ses dénégations, l’élite politique, qu’elle se proclame de droite ou de gauche, de l’UMP ou du PS, est l’héritière, plus ou moins assumée, de l’idéologie coloniale fondée sur la mission civilisatrice et la hiérarchie des cultures. Il n’y a pas de rupture dans le continuum raciste.
Aujourd’hui, cette élite fondamentalement conservatrice, au-delà de nuances formelles, est confrontée à une très grave crise économique et sociale. Cette élite « de gouvernement », est globalement d’accord sur le maintien de l’ordre racial hiérarchique remis en question par la transformation démographique française et la place dans l’espace public occupée par des populations d’origine non-européenne. Cette contestation de l’ordre raciste n’est pas relayée par les acteurs politiques conventionnels.
Au contraire, il existe un consensus politique contre ces minorités que l’on voudrait confiner à la périphérie des centres urbains, à la périphérie du pouvoir, à la périphérie de l’économie. Dans un contexte d’aggravation de la crise et de préparation d’une agression militaire contre l’Iran, ces populations marginalisées et exclues sont placées au centre d’une surenchère démagogique. Il s’agit, par le martèlement du mensonge et de la diabolisation, de nourrir les diversions et de fabriquer de faux ennemis. Les médias sont réduits de plus en plus ouvertement à une mission de propagande.
De dérapages en aveux candides, la droite « décomplexée » n’hésite plus à reprendre directement le discours de la hiérarchie des civilisations historiquement connotés de la droite nationale-fasciste. Dans ce système, le musulman a bel et bien remplacé le juif.
Mais le paravent le plus utilisé par les élites de pouvoir est celui d’une conception dévoyée de la laïcité républicaine pour stigmatiser, exclure davantage et mettre à l’index des catégories entières de Français coupables d’être de religion musulmane et de ne point s’en cacher. La campagne anti-islam n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel d’été, il s’agit d’un développement de la campagne anti-immigrés impulsée par l’extrême-droite dès les années soixante. C’est sur terreau empoisonné, mais avec un argumentaire plus « politiquement correct », que les propagandistes néoconservateurs cultivent inlassablement la haine de l’autre, la haine de la différence pour mieux imposer leurs guerres contre la société toute entière. C’est au nom d’une laïcité dévoyée et du respect de soi-disant « valeurs » que le combat est mené contre des musulmans présentés, sur tous les registres, comme obscurantistes, antirépublicains et violents. Le commentaire du philosophe Finkielkraut en 2005, qui prétendait que les jeunes des banlieues qui « ne se sont pas révoltés parce qu’ils sont pauvres mais parce qu’ils sont musulmans », exprime clairement l’articulation idéologique dominante.
De manière parfaitement claire, en dépit de précautions oratoires et de professions de foi hypocrites, l’offensive contre l’islam englobe bien entendu tous ceux dont les apparences trahissent une altérité originelle irréductible. Et ce ne sont pas les quelques Arabes ou Noirs « de service » que l’on exhibe qui peuvent masquer une sordide réalité. A mesure que le pays s’enfonce dans la crise et que les tambours de guerre battent crescendo, la surenchère islamophobe prend de l’ampleur. Et il est plus que regrettable qu’une partie de la gauche radicale succombe à la pathologie essentialiste, en la niant ou en ne lui donnant qu’une importance secondaire dans la bataille idéologique en cours.
La dernière sortie de l’extrémiste Guéant sur la hiérarchie des civilisations renvoie précisément au vieux fond commun suprématiste des élites politiques françaises et à la guerre civile de basse intensité comme moyen de gestion de la société. L’abjecte loi « foulardière » défendue au Sénat par le PS n’en est qu’une autre déclinaison. Gestionnaire d’un système politique verrouillé et n’offrant aucune alternative réelle, la classe politique française de gouvernement, libérale et néoconservatrice, n’a plus rien à proposer en dehors d’un discours de haine et de guerre. En alimentant le racisme et en jouant sur les plus basses pulsions, cette classe politique prend la responsabilité d’une dérive extraordinairement dangereuse. La souillure sur le visage de la République est bien de son fait.
CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS
* Mireille Fanon-Mendès France, présidente de Fondation Frantz Fanon, est experte de l’ONU pour le groupe de travail sur les personnes d’ascendance africaine - Ce texte de a été prononcé lors du meeting organisé le 9 février à Paris le Collectif Mamans Toutes Égales. Cette organisation soutient les mamans musulmanes, victimes de discriminations à l'école au mépris de la Loi de 1905 sur la laïcité.
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